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Christiane Stefanski est morte ce lundi 6 mai dans sa petite maison au Peri, au bout de la rue Pierreuse, sur les hauteurs de Liège. Elle avait septante-quatre ans.
En 24 heures, j’ai vu défiler non-stop, des dizaines et des dizaines de fois, son portrait sur mon fil Facebook. Un signe de l’immense place qu’elle avait su prendre et garder dans le cœur du public. Si on ne l’avait plus guère entendue sur nos antennes ces vingt dernières années, elle s’était en effet imposée, dès le milieu des années septante, comme une des figures majeures de la chanson belge, féminine et francophone.
Dans le monde un peu particulier des « auteurs-compositeurs », sa voix si caractéristique de blueswoman francophone, cassée au tabac à rouler et aux p’tits blancs à descendre, faisait oublier qu’elle n’était « que » interprète – tant Christiane se réappropriait avec force et conviction les chansons des autres.
Elle eut en outre rapidement quelques plumes attitrées (comme Henri Goldman et… notre asymptomatique Irène Kaufer !) qui lui écrivirent des textes originaux et sur mesure.
Du côté des ACI français, elle interpréta Anne Sylvestre, Gilbert Laffaille, Nougaro, Léo Ferré, Michèle Bernard, France Léa, Annkrist et Gilles Servat.
Et du côté belge, Henri Goldman, Irène Kaufer, Michel Gilbert (du GAM), André Bialek, Luc Baba, Jacques Delcuvellerie… et votre serviteur.
Mais à la sortie du studio, toutes ces chansons étaient pourtant devenues « les siennes ».
Photo Lara Herbinia (2018)
Christiane semblait porter en elle toutes les révoltes sociales du bassin liégeois, toutes les émotions et toutes les amours de nos vies cabossées, toutes les luttes des femmes, d’ici et d’ailleurs, plus tous les doutes qui balisaient entre-temps nos destinées incertaines.
Sa reprise du « Pays Petit », en 1982, fut pour moi un étrange cadeau de la vie.
Sur un bel arrangement de Marc Hérouet, cette chanson, qui donna son nom au second 33T de Christiane, fut d’abord chantée victorieusement au Festival de Spa (1).
Puis nos mystérieux « convoyeurs » s’envolèrent régulièrement, plusieurs années durant, sur toutes les antennes de la RTBF, et au-delà, vers les grandes radios de la francophonie.
Ce fut la seule de mes chansons qui connut un destin aussi « médiatique » – et je le dois évidemment d’abord à Christiane.
Mais assez curieusement, si elle reprit aussi trois autres de mes titres (« La Ballade du Passant », « Devenir Vieux » et « Les Petites Filles » – cette dernière, sur son dernier CD, en duo avec Jacques-Ivan Duchesne), elle ne chanta jamais la chanson que j’avais écrite spécialement pour elle : « La Trentaine » (2).
La raison en reste pour moi assez « mystérieuse ». Je ne sais toujours pas si, jouant au « parolier-médium », j’étais complètement passé à côté de la plaque, ou si, au contraire, elle s’y sentait impudiquement dévoilée.
Sans doute un peu les deux (dis-je dans un bref moment de lucidité).
Christiane était en effet assez exigeante dans sa réappropriation intime des textes des autres. Par exemple, dans la « Ballade du Passant », quand je chantais « … en allant de Marseille en Norvège », elle avait tenu à chanter « … en allant de Bretagne en Ardennes » – ce qui correspondait sans doute mieux à sa géographie personnelle. Mais ce qui faisait aussi « sauter » la rime au passage (-è-è-ge). Or si elle avait cette exigence pour une « bête » question de géographie routière (ce qu’on appelle généralement une « licence poétique » – car je n’ai jamais foutu les pieds en Norvège non plus !), que dire alors du choix des mots qui auraient pu décrire sa vie amoureuse !? Dans ce registre, rien n'égalera d'ailleurs jamais la "Chanson d'amours" de Roudoudou et du Gam, dont elle interpréta une très belle version (à écouter ci-dessous).
J’ai donc fini par chanter « la trentaine » moi-même, sur mon album en duo avec Charles Loos (1984). Ce qui, au passage, a dû jeter un doute sur ma pourtant très rigoureuse hétérosexualité (hihi). Pour un auteur-compositeur mâle, il est en effet assez rare de pouvoir chanter : « Vous me faites en amour si belle / Quand nous jouons dans notre lit / Mon corps souvent se le rappelle / Comme un poème qu’on relit / Si je vous donne rendez-vous / Dans dix ans vous y rendrez-vous ? / Pour cette réponse incertaine / J’ai mis mes amours en trentaine… ».
Quand vous aurez fini de réécouter toute la discographie de Christiane (3), écoutez donc aussi cette chanson-là – ne fut-ce que pour les sublimes variations harmoniques de Charles au piano, qui a improvisé en « free style » tout au long de la chanson, dans la version que nous avons finalement gardée sur le 33T.
photo Lara Herbinia
J’avais rencontré Christiane vers la fin des années ’70 – il y a près de 45 ans de cela.
Je sortais à l’époque de ma période « révolutionnaire full time » à l’hebdomadaire « POUR ».
Au bout de quatre ans, j’avais fait une sorte de « burn-out » militant, et, avec la bénédiction de mes camarades, en guise de « thérapie », j’avais recommencé à faire des spectacles et de la chanson – tout en restant « militant » du groupe.
Comme beaucoup de ceux (et de celles) qui croisèrent alors la route de Christiane (ou qui la croisèrent tout au long de sa vie), j’en étais rapidement tombé un peu amoureux. Mais la romance tourna court : son cœur était, je crois, déjà pris ailleurs (et le mien, couturé comme celui d’un vieux bouc). Ce ne fut donc pas ensemble que nous écrivîmes nos histoires d’amour. Mais nous sommes restés amis, sans jamais être vraiment intimes. Irène Kaufer, par exemple, me semblait beaucoup plus proche d’elle que moi.
Pour lui rendre hommage, c'est ce lundi à Liège.
Tout autre chose : parallèlement à sa « carrière de chanteuse », Christiane a également longtemps bossé à plein-temps comme « monteuse » film et vidéo à la RTBF-Liège, puis comme assistante de production pour l’émission « Carré Noir ». Pensionnée depuis belle lurette, Christiane était malade et se savait condamnée.
Nous le sommes évidemment tous et toutes. Mais en cas de maladie, le calendrier soudain s’emballe, perd au vol des mois et des années, et finit par ne plus décompter que les semaines, puis les jours et les heures. Il nous ôte brusquement l’illusion de l’immortalité.
La dernière fois que j’ai vu Christiane, c’était en 2018, pour la sortie de mon « intégrale » à Liège et à Bruxelles, où elle chanta avec nous une version originale de « La Ballade du passant », accompagnée à la guitare par Antoine Paterka (4).
Une chanson qui prend évidemment aujourd’hui une résonnance très particulière :
« Tu finiras la chanson toi-même / Tu sais bien que mon temps est pesé / Voici l’air : il faut dire que je t’aime / Mais que je n’aurai fait que passer ».
Claude Semal, le 7 mai 2024
NB : Bernard Hennebert vous raconte par ailleurs dans l’Asympto la place que Christiane Stefanski occupa dans sa propre existence. Et je reprends également ci-dessous quelques témoignages glanés au fil des multiples commentaires Facebook.
(1) Au festival de Spa 1982, Christiane repartit avec le Prix de la Presse, et le Prix de la Meilleure Chanson. Pas pour « Le Pays petit » … mais pour une chanson d’Henri Goldman.
(3) 33T « Christiane Stefanski » (1980) / 33T « Pays Petit » (1982) / 33T « La Ville » (1984) / CD « Carnets de Doute » (1994) / CD « Sawoura » en public à Liège (1997) / CD « Belle saison pour les Volcans » (2007).
(Paroles et musique : Claude SEMAL / Reprise sur le 33t «Semal et Loos » 1984)
Le cinéaste et réalisateur Thierry Michel
Christiane nous a quitté, une belle personne, s’en est allée, une artiste engagée, une superbe voix qui résonnait autour des usines durant ces années où le fond de l’air était rouge.
Elle a monté mon premier long métrage documentaire à la RTB de Liège, mes premiers pas dans le métier oú elle partageait ses enthousiasmes, son énergie. Souvenir de petits matins épuisés, après des nuits blanches au studio de mixage.
Je pense à sa famille, ses proches, sa sœur Gabrielle, son vieil ami, Marc HEROUET, qui composa nombres des musiques de son répertoire et l’accompagna sur scène.
Avec le départ de Christiane c’est une page de nos vies qui se tourne, une époque exceptionnelle qui va sombrer un peu plus dans l’oubli. Christiane nous n’avons pu te dire un dernier au revoir, mais nous n’oublierons pas ces jours heureux …
Le guitariste, chanteur, auteur et compositeur Jean-Pierre Froidebise.
Merci Antoine Cirri pour cette photo... de tous ces voyages, de tous ces concerts, de ces enregistrements, je n'ai d'autre trace que mes souvenirs. Paris, Marseille, la Bretagne, Québec, de mémorables soirées copieusement arrosées, des discussions jusqu'au petit matin, et ces dernières années de longs coups de téléphone... Tu vas me manquer, mon amie.
Je pourrais moi aussi raconter ma vie au travers de celle de Christiane, puisqu'elle en a fait partie depuis la fin des années septante jusqu'à il y a quelques semaines, quand elle m'a annoncé au téléphone " qu'elle mettait de l'ordre ".
Bien sûr je n'ai pas compris, je n’étais pas au courant de sa maladie.
Je voudrais juste réchauffer un peu l'atmosphère en vous racontant ceci : Je ne sais plus très bien quand, quelque part dans les années 80, cinq ou six mecs et une chanteuse militante dans une camionnette à la frontière française. Le douanier lui fait - " Alors comme ça vous êtes chanteuse ? Chantez-moi une chanson ". Autant demander à Sitting-Bull de chanter l'hymne national américain. Moralité : silence radio.
Une heure passe, puis une autre, le mec est buté, elle aussi, puis encore une autre heure, puis c'est marre, l'un de nous (Marc ou John, je ne sais plus) lui dit " Oh merde, Christiane, chante-lui n'importe quoi et barrons-nous ! ". Elle accepte finalement, se pointe devant le préposé, lui colle presque le front contre le sien, lui hurle " L'internationale " en pleine gueule et nous nous en allons, hilares. En v'là du Stefanski. J'en ai encore mille kilos dans mon sac. Merci Christiane, on t'adore !
L’éditeur Luc Pire. Ooooh. Quelle triste nouvelle. La formidable Christiane Stefanski nous a quitté. Elle m’a inspiré comme des milliers de jeunes qui voulaient changer le monde. Quand nous allions à ses concerts elle nous régalait de chansons magnifiques qu’elle interprétait génialement. Elle chantait Anne Sylvestre, Brel, Semal, Irène Kaufer et tant d’autres. (Et j’étais un peu amoureux). Puis j’ai eu l’occasion de la connaître, d’organiser plusieurs de ses concerts. Quel bonheur. Et waw elle est venue chanter à mon mariage, avec Claude Semal et Serge Utge Royo. C’était son cadeau. Elle était comme ça Christiane. J’ai envie de pleurer. Ah ben voilà je pleure.
Jean-Luc Dieu, amateur de chanson.
Tristesse ! La voix rauque de Christiane Stefanski s'est éteinte. La chanteuse belge d'origine polonaise était moins connue que Maurane et pourtant il fut une époque où on l'entendait régulièrement sur nos ondes.
Mais il est vrai que c'était une époque où les animateurs de la RTB avaient encore toute liberté de passer les artistes qui leurs tenaient à cœur.
Et du cœur, elle en avait. Ses chansons avaient souvent pour auteurs des Anne Sylvestre, Michèle Bernard, André Bialek, Irène Kaufer ou Henri Goldman et parlaient de nous, les gens. Ceux qui travaillaient en usines ou celles qui travaillaient en vitrine.
Elle chantait les victimes, les exploitées comme ces Petites filles (de Claude Semal, ici en compagnie de Jacques-Yvan Duchesne) ou dans sa reprise de Lily de Pierre Perret. Elle chantait notre pays, avec notamment Le pays petit, également de Claude Semal. Elle chantait des chansons de combat, de révolte, de résistance, elle dénonçait les injustices. Aujourd'hui, l'injustice, c'est son départ.
Philippe Dechambre, public.
Chère et belle Christiane, toi aussi tu es partie. Je me sens un peu orphelin. Ta chaleur humaine, ta bienveillance, tes concerts qui m'ont empli le cœur de tant d'émotions. Ta révolte aussi, toujours. Toi, femme de cœur et d'engagement. Ta voix, unique. Sœur d'Anne Sylvestre. Tes rires, tes larmes, tes colères, tes amours. Tu es dans mon cœur au côté de Michel et de sa Soupape où je t'ai souvent écoutée, applaudie, où nous avons pris des verres ensemble. Ton regard s'est toujours posé avec tellement de douceur, parfois de douleur et aussi de révolte. Chère Christiane, MERCI.
Premier groupe et première affiche de Christiane (dessin JC Salémi)
Le journaliste et producteur Philippe Reynart.
J'apprends par mes amis Thierry Michel et Jean-Christophe Yu le décès de Christiane Stefanski. C'est une sacrée voix et une sacrée personnalité qui s'effacent du tableau de mes plus beaux souvenirs de jeune adulte. A l'époque, "quand le fond de l'air était rouge" comme l'écrit joliment Thierry, je jouais dans un groupe folk et on croisait régulièrement Christiane. Quand nous avons décidé d'enregistrer notre unique 33T dans le studio de Michel Dickenscheid à Ougrée, elle nous avait prêté son appartement en bord de Meuse avec vue sur la Grand Poste !
J'ai toujours en tête sa version du "Pays Petit" de Claude Semal et c'est sa voix que j'entends quand je relis ces paroles :
C’est un pays doublé de régions transitoires
Je dirais même plus que ce sont deux pays
Tombés par accident dans un trou de l’histoire
Et où depuis ce temps entre Bonn et Paris
Les convoyeurs attendent
C’est un pays debout que je porte en mon ventre
Creusé par les houilleux bâti par les maçons
Ce pays mes amis, il nous faudra le prendre
Et c’est ce pays-là qu’au seuil de leurs maisons
Les convoyeurs attendent
Car nous n’attendrons pas qu’il neige des oranges
Ou que l’ogre d’argent daigne enfin nous quitter
Pour vivre dans les rues cette passion étrange
Qu’on appelle parfois simplement Liberté
à force de l’attendre