AUJOURD’HUI, MON FILS PLEURE. DEUX SUICIDES CETTE NUIT (PAR LOLA RASTAQUOUERE )

Aujourd’hui, mon fils pleure.
Deux suicides cette nuit. Deux potes.
Encore. Oui, parce que ça défile ces derniers temps. C’est presque comme une collection.
Aujourd’hui mon fils pleure. Et je suis très très en colère.
C’est mon moyen de défense, la colère. Mais ça vous l’avez compris.
Je lui ai dit que nous étions devenu des vieux cons. Nous les adultes.
La jeunesse est l’âge des extrêmes. Et tout extrême est passionnant, bouleversant, bouillonnant, révoltant et si fragile. Mais tellement fragile. C’est l’âge des toujours et des jamais. Des poings levés et de la tête dans les chiottes. C’est l’âge de tous les possibles. Celui des illusions et des désillusions. C’est la conviction de faire l’inverse des parents sans savoir qu’on fera peut-être pareil. Sans savoir …. Et c’est tant mieux. Parce que savoir, c’est réaliser que notre société actuelle est une impasse. Et la société actuelle, c’est ma génération qui l’a construite.
A vingt ans, j’ai jeté des bouteilles en verre dans la mer, j’ai écrasé 1000 mégots sur les trottoirs, je hurlais qu’il fallait voter, je m’habillais en noir et j’écoutais du punk en cultivant amoureusement mon début d’alcoolisme.
A vingt ans, je traînais dans les bars, je lisais des auteurs sombres et je vomissais dans les talus des festivals. A vingt ans, je faisais de la moto sans casque, je volais des paquets de henné chez des épiciers plus pauvres que moi et mes potes consommaient plus de l’héro que du thé au jasmin. A vingt ans, j’étais amoureuse de tous les gars avec qui je couchais, je mangeais tous les deux jours et je reniais avec force le milieu bourgeois duquel je sortais.

C’était il y a trente ans et c’était hier.
Et je me souviens aussi de cette fragilité en moi. De ces nuits d’ivresse où je flirtais avec la mort. Parce qu’il n’y a rien de plus vivant que de savoir qu’on peut choisir de crever.
Si j’ai décidé de vivre, c’est parce que je pouvais me projeter. Des études, du boulot, entrer dans le rang ou pas. Tout était encore relativement possible. On avait le choix de nos rêves.
Qu’est-ce qui est encore possible là, aujourd’hui ?
Qu’est-ce qui a encore du sens ?
Quand je vous lis, vous les autres vieux cons, qui jugez les jeunes, j’ai honte.
Quel jeune étiez-vous ?
Où est passé le gosse rêveur en vous ?
Qu’est devenu votre souffle, votre rire, votre délire ?
La seule réponse que vous apportez à ces jeunes est l’obéissance.
Votre manière de penser est devenue tellement rigide que vous n’envisagez plus la vie qu’en terme de hiérarchie. Vous avez laissé des personnes décider pour vous, vous les avez même élues et vous consacrez une énergie de fou à écrire que vous avez raison. Et qu’il faut obéir. OBEIR !
Ces jeunes ne sont que le reflet de vos propres frustrations. Ils s’opposent. Parce que leur santé mentale est au-dessus de leur santé physique. Et, à leur âge, nous pensions pareil. Et fondamentalement, nous pensons toujours pareil. Mais nous nous sommes transformés en donneurs de leçons, comme si nous savions mieux qu’eux. Comme si l’âge nous donnait le privilège de les déconsidérer.

Quand un enfant se pend ou se jette sous un train, c’est toute la société qui devrait être en deuil. C’est toute la société qui devrait se remettre en question. C’est toute la société qui devrait demander pardon à leurs parents.
Je continuerai à défendre ces jeunes qui prennent la rue, les pelouses et les parcs. Je continuerai à pousser mon fils à voir ses potes. Je continuerai à lui dire « sois plus malin que les flics ». Je continuerai à discuter avec lui de l’actualité, des groupes qu’il écoute et des semis qui poussent. Et j’emmerde ceux qui me parlent des privations d’une guerre qu’ils n’ont pas vécue, de la peur dont ils s’abreuvent quotidiennement dans les medias, de l’obéissance aveugle aux forces de l’ordre.
Parce que je n’ai pas envie de venir vous annoncer que mon fils s’est suicidé.
Notre jeunesse est en danger. Et cela n’a rien à voir avec un virus.
Gabriel, Séraphin, pardon.

Lola Rastaquouère (sur sa page Facebook)

Suite à la publication de ce “post”, une initiative “jeunes” / “vieux” a été lancée sur Facebook par Lola Rastaquouère pour susciter en photos une ébauche de dialogue entre générations. “Comment vas-tu ?” demande le / la plus âgé·e . Et le / la plus jeune répond sur un panneau ou un carton. Cela se passe par ici :

https://www.facebook.com/groups/259187705912435/

 

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