Carte blanche : DES NOUVELLES DU MINISTÈRE DES ALGORITHMES
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Carte blanche : DES NOUVELLES DU MINISTÈRE DES ALGORITHMES

Publié le 10 mars 2023 par Contribution extérieure
Faire bosser gratuitement des dizaines d'auteurs sur une "nouvelle", pour en payer un seul des cacahuètes, telle est la géniale idée du Ministère de l'Enseignement de la FWB.

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Faire bosser gratuitement des dizaines d'auteurs sur une "nouvelle", pour en payer un seul des cacahuètes, avec un cahier des charges clouté de "politiquement correct" et interdisant toutes les références mémorielles, telle est la géniale idée du Ministère de l'Enseignement de la Fédération Wallonie Bruxelles.
72 auteurs et autrices ont signé une carte blanche pour répondre à cette étrange "offre". Nous publions par ailleurs ce document bureaucratique dans son intégralité.

Aux initiateurs du "marché de services" portant sur la rédaction d’une "nouvelle" pour les évaluations externes CE1D en français.

Le 27 février, vous avez eu le plaisir de nous inviter, nous, les auteurs de la Fédération Wallonie-Bruxelles, à vous remettre une offre dans le cadre du marché de services portant sur la rédaction d’une nouvelle pour les évaluations externes CE1D en français, ceci au plus tard pour le 6 mars, soit 7 jours seulement après l’envoi de votre courrier. Cette offre serait censée déjà contenir un synopsis de 300 mots maximum pour vous présenter une nouvelle qui aurait fleuri en quelques jours dans nos cerveaux d’écrivains toujours disponibles à l’aventure. Pourquoi pas !
Les contraintes, on aime ça, elles nous vitaminent le système (oh… un néologisme… On ne peut pas…). Mais !
Vous mentionnez que notre proposition serait évaluée par des points, comme dans la sélection de ces projets d’envergure destinés à l’Europe et en quête de subventions. Parmi vos critères (délai le moins élevé, conformité du résumé avec vos exigences), celui qui vaut le plus de points : un montant total le moins élevé. Nous serions “récompensés” pour la somme modeste que nous demanderions. L’ubérisation est bien en marche ! Pour information, la SACD propose une charte de rémunération “juste” pour ce type de service (soit 1 200 € pour 14 500 signes).
Nous ne trouvons aucun point, par contre, pour la qualité stylistique de l’œuvre.

On demande l’épuration programmée de la mémoire

Cette nouvelle devrait, mentionnez-vous, éviter tous les “sujets sensibles”. Ce que nous pouvons encore comprendre pour un texte destiné à un examen et à des élèves issus de milieux multiculturels. Parmi ces sujets sensibles (harcèlement scolaire, sexualité, convictions religieuses ou politiques) : la mémoire collective…
Voilà qui est effarant : l’épuration programmée de la mémoire. Notamment, celle des auteurs classiques (Colette, Balzac…).
Vous le mentionnez, le texte devra comporter certaines “valeurs”, comme l’équité, l’égalité de genre, l’inclusion… Aucun souci. C’est dans l’air du temps.

Une censure qui ne dit pas son nom

Nous sommes bien d’accord. Nous n’aurions, de toute manière, jamais eu la mauvaise idée de dénigrer, dans notre nouvelle, un individu par son apparence, sa couleur de peau, son sexe… bien que, il faut l’avouer, nos lectures privées ne seraient pas toutes en odeur de sainteté à l’aune de vos contraintes. Et ce, depuis l’adolescence.
Le revers de cette censure qui ne dit pas son nom, c’est ce qui s’appelle le “politiquement correct”.
Or, ce qui donne son sens à la littérature, ce sont justement les pas de côté, la poésie, les irrévérences, l’ouverture à d’autres mondes possibles.
La littérature peut offrir à l’adolescent une chance de s’ouvrir à l’esprit critique. Elle donne l’autorisation.
Nous avons le sentiment que le contenu de votre “marché de faible montant de services portant sur la rédaction d’une nouvelle” aurait pu être écrit par quelques membres d’un pays totalitaire. Il n’aurait pas été fort différent du vôtre, avec, je vous l’accorde, des “valeurs” autres.

Essayez un générateur de textes en ligne

Nous ne nous sentons pas concernés par le non-sens de votre proposition bureaucratique. Votre offre, pour un texte qui “présenterait une certaine résistance nécessitant un travail d’inférence du lecteur, présence d’ellipses, bouleversements chronologiques, narrateurs pluriels…” devrait être réorientée vers les techniciens du verbe, plus habilités que nous à répondre à votre demande.
Nous vous conseillons également l’usage de ces générateurs de textes en ligne dont on parle tant aujourd’hui. Leur avantage sur nous : la rapidité, la gratuité, la conformité à la demande, l’absence de personnalité.
Il leur manquera l’âme, le plaisir de l’écriture, mais surtout celui de la lecture.

Un enseignement des plus chers d’Europe, avec les résultats les plus désastreux

Si vous désirez mettre l’un(e) de nous en valeur auprès des enseignants et des élèves, pourquoi ne pas aborder une nouvelle que l’un(e) de nous aurait déjà écrite, et s’intéresser, en amont, à l’ensemble de son œuvre ?
Vous confondez “promotion du livre” et “enseignement”. De nombreux professeurs expriment leur lassitude et se plaignent de voir leurs élèves contraints de se coltiner des textes indigents, sans auteur, en provenance de manuels.
Comment, dès lors, apporter ce goût de la lecture ? Surtout quand cela aboutit essentiellement à leur donner des “points”.
Auparavant, la pratique usuelle dans le choix des textes pour ce genre d’épreuve scolaire avait au moins l’avantage d’obliger les décideurs à avoir une connaissance plus large de la littérature.
Apporter le goût de la lecture, n’est-ce pas le principal enjeu pour les enseignants de la région Wallonie-Bruxelles où, paraît-il, l’enseignement est l’un des plus chers d’Europe, avec les résultats les plus désastreux.

En espérant que cette réaction collective vous permette de réviser vos pratiques algorithmiques qui, pour vous rassurer (ou pas), semblent s’amplifier ces derniers temps dans divers autres secteurs.
À celles et ceux d’entre-nous qui seraient tenté.es de faire offre, sachez qu’un marché de faible montant de services ne peut dépasser la somme de 29 999 €. Et que, ces dernières années, les auteurs auraient perçu entre 250€ et 500€ !

Nous, les auteurs et les autrices, mais aussi nous, les enseignant.es, les parents, les citoyen(nes).

Claire Allard, Line Alexandre, Nicolas Ancion, Catherine Barreau, Isabelle Bats, Caroline Berliner, Frédérique Bianchi, Delphine Cheverry, Muriel Clairembourg, Stanislas Coton, Kamini Daems, Véronique Danneels, Alain Dantinne, Serge Delaive, Claire Huynen, Isabelle Douillet-de Pange, Pauline Duclaud-Lacoste, Françoise Dupal, Patty Eggerickx, Rebeca Fernandez Lopez, Janie Follet, Pascale Fonteneau, Virginie Gardin, Dominique Gratton, Aliette Griz, Elsa Guenot Sophie Hubert, Séverine Hennard, Françoise Hoste, Isabelle Jonniaux, Virginie Jortay, Éva Kavian, Bernard Kerger, Michael Lambert, Sylvie Landuyt, Aurore Latour, Pascal Leclercq, Elisabeth Lenoir, Lune Leoty, Françoise Lison-Leroy, Céline Lory, Marie Luçon, Veronika Mabardi, Julie Maes, Jean-Louis Massot, Marie-Rose Meysmans, Vinciane Moeschler, Anaïs Moreau, Layla Nabulsi, Colette Nys-Masure, Guylène Olivares, Catherine Pierloz, Philippe de Pierpont, Eric Piette, Magali Pinglaut, Nadine Plateau, Jean-Philippe Querton, Milady Renoir, Adeline Rosentstein, Sophie Schneider, Antoinette Smars, Emilienne Tempels, Lucie Thocaven, Pascale Tison, Isabelle Urbain, Vanessa Verstrappen, Carmelo Virone, Christine Van Acker, Régine Van Damme, Edith Van Malder, Thierry Van Roy, Odile Vansteenwinckel. 

 

 

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Faire bosser gratuitement des dizaines d’auteurs sur une “nouvelle”, pour en payer un seul des cacahuètes, avec un cahier des charges clouté de “politiquement correct” et interdisant toutes les références mémorielles, telle est la géniale idée du Ministère de l’Enseignement de la Fédération Wallonie Bruxelles.
72 auteurs et autrices ont signé une carte blanche pour répondre à cette étrange “offre”. Nous publions par ailleurs ce document bureaucratique dans son intégralité.

Aux initiateurs du “marché de services” portant sur la rédaction d’une “nouvelle” pour les évaluations externes CE1D en français.

Le 27 février, vous avez eu le plaisir de nous inviter, nous, les auteurs de la Fédération Wallonie-Bruxelles, à vous remettre une offre dans le cadre du marché de services portant sur la rédaction d’une nouvelle pour les évaluations externes CE1D en français, ceci au plus tard pour le 6 mars, soit 7 jours seulement après l’envoi de votre courrier. Cette offre serait censée déjà contenir un synopsis de 300 mots maximum pour vous présenter une nouvelle qui aurait fleuri en quelques jours dans nos cerveaux d’écrivains toujours disponibles à l’aventure. Pourquoi pas !
Les contraintes, on aime ça, elles nous vitaminent le système (oh… un néologisme… On ne peut pas…). Mais !
Vous mentionnez que notre proposition serait évaluée par des points, comme dans la sélection de ces projets d’envergure destinés à l’Europe et en quête de subventions. Parmi vos critères (délai le moins élevé, conformité du résumé avec vos exigences), celui qui vaut le plus de points : un montant total le moins élevé. Nous serions “récompensés” pour la somme modeste que nous demanderions. L’ubérisation est bien en marche ! Pour information, la SACD propose une charte de rémunération “juste” pour ce type de service (soit 1 200 € pour 14 500 signes).
Nous ne trouvons aucun point, par contre, pour la qualité stylistique de l’œuvre.

On demande l’épuration programmée de la mémoire

Cette nouvelle devrait, mentionnez-vous, éviter tous les “sujets sensibles”. Ce que nous pouvons encore comprendre pour un texte destiné à un examen et à des élèves issus de milieux multiculturels. Parmi ces sujets sensibles (harcèlement scolaire, sexualité, convictions religieuses ou politiques) : la mémoire collective…
Voilà qui est effarant : l’épuration programmée de la mémoire. Notamment, celle des auteurs classiques (Colette, Balzac…).
Vous le mentionnez, le texte devra comporter certaines “valeurs”, comme l’équité, l’égalité de genre, l’inclusion… Aucun souci. C’est dans l’air du temps.

Une censure qui ne dit pas son nom

Nous sommes bien d’accord. Nous n’aurions, de toute manière, jamais eu la mauvaise idée de dénigrer, dans notre nouvelle, un individu par son apparence, sa couleur de peau, son sexe… bien que, il faut l’avouer, nos lectures privées ne seraient pas toutes en odeur de sainteté à l’aune de vos contraintes. Et ce, depuis l’adolescence.
Le revers de cette censure qui ne dit pas son nom, c’est ce qui s’appelle le “politiquement correct”.
Or, ce qui donne son sens à la littérature, ce sont justement les pas de côté, la poésie, les irrévérences, l’ouverture à d’autres mondes possibles.
La littérature peut offrir à l’adolescent une chance de s’ouvrir à l’esprit critique. Elle donne l’autorisation.
Nous avons le sentiment que le contenu de votre “marché de faible montant de services portant sur la rédaction d’une nouvelle” aurait pu être écrit par quelques membres d’un pays totalitaire. Il n’aurait pas été fort différent du vôtre, avec, je vous l’accorde, des “valeurs” autres.

Essayez un générateur de textes en ligne

Nous ne nous sentons pas concernés par le non-sens de votre proposition bureaucratique. Votre offre, pour un texte qui “présenterait une certaine résistance nécessitant un travail d’inférence du lecteur, présence d’ellipses, bouleversements chronologiques, narrateurs pluriels…” devrait être réorientée vers les techniciens du verbe, plus habilités que nous à répondre à votre demande.
Nous vous conseillons également l’usage de ces générateurs de textes en ligne dont on parle tant aujourd’hui. Leur avantage sur nous : la rapidité, la gratuité, la conformité à la demande, l’absence de personnalité.
Il leur manquera l’âme, le plaisir de l’écriture, mais surtout celui de la lecture.

Un enseignement des plus chers d’Europe, avec les résultats les plus désastreux

Si vous désirez mettre l’un(e) de nous en valeur auprès des enseignants et des élèves, pourquoi ne pas aborder une nouvelle que l’un(e) de nous aurait déjà écrite, et s’intéresser, en amont, à l’ensemble de son œuvre ?
Vous confondez “promotion du livre” et “enseignement”. De nombreux professeurs expriment leur lassitude et se plaignent de voir leurs élèves contraints de se coltiner des textes indigents, sans auteur, en provenance de manuels.
Comment, dès lors, apporter ce goût de la lecture ? Surtout quand cela aboutit essentiellement à leur donner des “points”.
Auparavant, la pratique usuelle dans le choix des textes pour ce genre d’épreuve scolaire avait au moins l’avantage d’obliger les décideurs à avoir une connaissance plus large de la littérature.
Apporter le goût de la lecture, n’est-ce pas le principal enjeu pour les enseignants de la région Wallonie-Bruxelles où, paraît-il, l’enseignement est l’un des plus chers d’Europe, avec les résultats les plus désastreux.

En espérant que cette réaction collective vous permette de réviser vos pratiques algorithmiques qui, pour vous rassurer (ou pas), semblent s’amplifier ces derniers temps dans divers autres secteurs.
À celles et ceux d’entre-nous qui seraient tenté.es de faire offre, sachez qu’un marché de faible montant de services ne peut dépasser la somme de 29 999 €. Et que, ces dernières années, les auteurs auraient perçu entre 250€ et 500€ !

Nous, les auteurs et les autrices, mais aussi nous, les enseignant.es, les parents, les citoyen(nes).

Claire Allard, Line Alexandre, Nicolas Ancion, Catherine Barreau, Isabelle Bats, Caroline Berliner, Frédérique Bianchi, Delphine Cheverry, Muriel Clairembourg, Stanislas Coton, Kamini Daems, Véronique Danneels, Alain Dantinne, Serge Delaive, Claire Huynen, Isabelle Douillet-de Pange, Pauline Duclaud-Lacoste, Françoise Dupal, Patty Eggerickx, Rebeca Fernandez Lopez, Janie Follet, Pascale Fonteneau, Virginie Gardin, Dominique Gratton, Aliette Griz, Elsa Guenot Sophie Hubert, Séverine Hennard, Françoise Hoste, Isabelle Jonniaux, Virginie Jortay, Éva Kavian, Bernard Kerger, Michael Lambert, Sylvie Landuyt, Aurore Latour, Pascal Leclercq, Elisabeth Lenoir, Lune Leoty, Françoise Lison-Leroy, Céline Lory, Marie Luçon, Veronika Mabardi, Julie Maes, Jean-Louis Massot, Marie-Rose Meysmans, Vinciane Moeschler, Anaïs Moreau, Layla Nabulsi, Colette Nys-Masure, Guylène Olivares, Catherine Pierloz, Philippe de Pierpont, Eric Piette, Magali Pinglaut, Nadine Plateau, Jean-Philippe Querton, Milady Renoir, Adeline Rosentstein, Sophie Schneider, Antoinette Smars, Emilienne Tempels, Lucie Thocaven, Pascale Tison, Isabelle Urbain, Vanessa Verstrappen, Carmelo Virone, Christine Van Acker, Régine Van Damme, Edith Van Malder, Thierry Van Roy, Odile Vansteenwinckel. 

 

 

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