ÊTRE PAUVRE N’EST PAS UN JEU par Anne Löwenthal

1 enfant sur 4 vit dans la pauvreté, c’est un fait et c’est grave. Ca veut dire que les gens qui en ont la charge (que les mots sont littéraux, parfois) n’ont pas de quoi vivre décemment, ni les faire vivre décemment.
Ce qui est encore plus grave, c’est de diriger un pays, en tout ou partie, d’abandonner cette réalité à des oeuvres caritatives, a fortiori d’un service public financé par nous et d’y aller de son petit chèque financé par nous devant des caméras financées par nous dans des opérations caritatives organisées parce qu’on ne fait pas le job.
Ce qui est super indécent aussi, c’est la forme de cette opération caritative-là.

Qu’on ne se méprenne pas : moi aussi je fais dans le caritatif, ça fait d’ailleurs des jours que je vous ennuie avec mes récoltes. Il faut bien et il faudra de plus en plus, puisque nos pouvoirs publics ne font que produire des urgences. Il faut bouffer, s’habiller, se loger, des gens ne peuvent pas et rien n’est fait pour empêcher cette pauvreté (au contraire), ni pour les aider à en sortir.
Donner des colis alimentaires, des fringues et des abris, ça n’endigue pas la pauvreté, ça permet juste aux pauvres de survivre. Et ce n’est pas ça qu’on attend de l’État. Ca, c’est la conséquence de politiques qui poussent dans la pauvreté et qui enfoncent encore et encore, à coups de mesures punitives, d’ultracapitalisme, de négligence et de discours imbéciles et stigmatisants (car les pauvres sont coupables de tout, n’est-ce pas).

Il y a trois choses que je ne supporte pas dans cette opération caritative-ci :

– Se relayer dans un cube h24 pendant 6 jours, soit, why not. Mais, je cite, “Pour renforcer leur effort et soutenir la cause, ils ne mangeront que des aliments liquides”, c’est juste sale. C’est d’une indécence crasse.
Être pauvre n’est pas un jeu. Manger des soupes de grands chefs devant les caméras, c’est un jeu. Un challenge super con qu’on fait bien au chaud, sous surveillance médicale, le temps d’une opération, avant de rentrer à s’baraque et de fêter Noël en famille avec son salaire.
Être pauvre, c’est se demander comment on va payer de quoi se chauffer, ou bouffer, ou s’habiller. Quel poste on va sacrifier pour financer les deux autres, quels postes on va sacrifier pour financer l’un des trois. N’avoir aucun des trois. Être pauvre, c’est se demander si on va bouffer aujourd’hui, si il y aura de la place à l’abri de nuit, si on pourra remplacer les chaussures du petit ce mois-ci (et si oui, on mettra ça sous le sapin, si on a un sapin, comme ça il n’y aura pas rien dessous). Être pauvre, c’est se priver de soins médicaux parce qu’on doit payer la cantine des enfants. Être pauvre, c’est avoir un noeud dans la gorge en permanence parce qu’on ne sait pas combien de temps on va encore tenir, parce qu’on ne sait pas si on va nous retirer nos enfants, parce qu’on ne sait pas ce qu’il y aura au courrier aujourd’hui, parce qu’on sait déjà que si le petit veut faire des études plus tard, on ne saura pas les financer. Être pauvre, ce n’est pas un putain de défi qu’on fait au chaud dans un studio le temps d’une opération caritative en faisant croire aux gens qu’être pauvre, c’est manger de la bonne soupe pendant 6 jours avant de rentrer chez soi et toucher son salaire.

– La RTBF fait une opération caritative ? Allez, d’accord. Admettons, après tout, ça soulage un peu les associations. Mais pitié, qu’on arrête d’accepter que des politicien.nes y apportent des chèques ! Si Viva for Life et toutes les autres opérations caritatives existent, c’est parce que l’associatif crève la gueule ouverte, faute de moyens. Et si l’associatif existe, c’est parce que les politicien.nes ne font pas leur job. Amener des chèques financés par nous dans une opération caritative financée par nous pour aider des associations financées par nous, c’est juste une grosse imposture bien dégueulasse et ça n’empêchera pas la pauvreté d’augmenter, ça permettra juste de la gérer et de nous faire croire que ces gens font le job. (Et pour info, gérer l’urgence coûte bien plus cher que la prévenir et en sortir les gens).

– Il paraît que Viva for life apporte l’espoir aux familles. Sans doute. L’espoir de manger, de se chauffer, de s’habiller, de s’abriter avec l’argent d’une opération caritative. Pas l’espoir d’avoir un jour suffisamment d’argent pour ne plus devoir recourir à celui de Viva for life.
Qu’on continue à donner aux opérations caritatives, c’est important si on veut aider les gens à survivre. Mais si on fait dans le caritatif, on doit le dénoncer. Répéter que ce n’est pas normal. Exiger que le politique fasse le job. Le huer quand il participe à des opérations caritatives. Mieux, refuser qu’il s’y présente, à moins que ce ne soit pour nous annoncer des mesures de fond qui vont mettre fin à l’hémorragie.
Et, pitié, arrêtez ce jeûne ridicule. Ne soyez pas insultant.es.

Anne Löwenthal (sur Facebook, et avec son aimable autorisation, dans l’Asympto)

2 Commentaires
  • Françoise Michel
    Publié à 21:00h, 19 décembre

    Sans oublier les grosses entreprises qui font des “dons” magistraux, profitent ainsi d’une publicité gratuite et déduisent ces mêmes “dons” de leurs impôts. Ils appauvrissent alors un peu plus les finances publiques et creusent plus profondément le fossé entre charité et solidarité.

  • Pascal Piette
    Publié à 09:07h, 18 décembre

    D’un point de vue international : “L’impérialisme humanitaire” / Jean Bricmont

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