“L’HISTOIRE D’UN NOUVEAU CAUCHEMAR” par Simon Moutquin

Il a quelques jours, je vous partageais cette nouvelle affaire d’enfermement d’une jeune étudiante en dentisterie d’origine marocaine, Ouiam Ziti.
Hier j’ai eu l’occasion de m’entretenir par téléphone avec Ouiam, son récit provoque une nouvelle fois un sentiment de honte, mais appelle surtout à des actions au Parlement pour une véritable remise en question des décisions d’enfermements à nos frontières, du fonctionnement de la police qui le gère et de l’Office des étrangers.
Bien entendu, ce sera aussi la responsabilité du Secrétaire d’Etat à l’Asile et la migration et de la Ministre de l’intérieur de faire la lumière sur cette histoire et le fonctionnement, visiblement défaillant, de leur institution. J’y veillerai…
Ouiam raconte son choix de vie; elle a quitté son pays et sa famille il y a 7 ans dans l’unique but d’obtenir un bon diplôme. Elle est arrivée en 2015 en Europe, a obtenu son Bac en France et elle étudie la dentisterie en Roumanie depuis quelques années. Ouiam est une étudiante brillante, dans le top 10 de sa promotion. Son avenir comme dentiste reconnue est garanti, avec tous les projets qu’elle veut mener au Maroc.
Son frère jumeau vit à Lille, son oncle à Bruxelles. Elle fait donc le trajet entre la Roumanie et ces deux pays depuis des années, sans aucune difficulté.

Jusqu’à cette arrivée à Charleroi le 13 décembre…
À 10h, on commence à l’interroger sur ses intentions en Belgique malgré un visa Schengen parfaitement en ordre. On lui demande de pouvoir prouver des liquidités, ce qu’elle explique pouvoir faire sans problème vu ses cartes de banque et son compte approvisionné. Son oncle peut aussi se porter garant comme la procédure le permet. L’agent se braque et ne veut rien entendre. Il lui demande des liquidités. Il annonce d’entrée que de toute façon « elle ne rentrera pas en Belgique» (alors que celui-ci n’a pas d’autorité pour cela et n’a pas d’éléments) et lui dit, sur un ton humoristique, « si tu veux, j’ai une carie, on peut s’arranger ».

L’interrogatoire et l’acharnement de la police aux frontières vont durer 8h. Malheureusement, ces 8 heures ne sont que le début du calvaire de la jeune étudiante en dentisterie qui se prolongera les 11 jours suivants.
Alors qu’elle est coincée à l’aéroport de Charleroi, Ouiam demande de pouvoir boire de l’eau, d’utiliser son GSM ou de manger ce qui lui sera refusé à plusieurs reprises par les agents de la police aux frontières. Elle finit par avoir le droit d’appeler son oncle, entretien durant lequel elle sera obligée de lui parler en français sur ordre des policiers alors qu’ils se parler habituellement en arabe.
Au bout de quelques heures, un agent lui propose de signer des documents pour prendre un vol retour le lendemain pour la Roumanie. Elle dit être prête à accepter à la condition, comme toute logique l’impose, de lire attentivement les documents. On la menace ensuite, « soit tu signes les papiers maintenant sans lire, soit tu vas être enfermée, car arrêtée administrativement ». Elle refuse toujours de signer des papiers dont elle n’a pas connaissance du contenu. Elle apprend que l’Office des Étrangers a décidé, sur base des éléments transmis par les agents de la police aux frontières, de son arrestation. Elle demande s’il y a possibilité de parler à un avocat, de faire un recours, etc. ce qui lui sera aussi refusé.
L’étudiante explique dans une interview donnée à des journalistes. Les policiers ont construit un scénario sur la base de déclarations que je n’ai jamais gardées. A aucun moment je n’ai dit que je voulais rester 22 jours en Belgique. La seule chose que j’ai dit c’est que j’avais un billet d’avion pour rentrer en Roumanie le 3 janvier afin de poursuivre mes études universitaires. Mais mon intention était de passer les vacances en France avec mon frère jumeau et de ne passer que deux ou trois jours en Belgique avec mon oncle. C’est lui qui devait me conduire à Lille.
Ouiam Ziti sera par la suite emmenée au Centre fermé de Steenokkerzeel « Le caricole » où elle sera enfermée dans une cellule d’isolement durant… 6 jours !
Pendant ces 6 premiers jours, elle aura l’autorisation de sortir une seule fois 15 min dehors. Ouiam a son cœur qui bat vite, elle a besoin de bêtabloquants et les médicaments qu’on lui fournit ne sont pas ceux qu’elle prend d’habitude. Cela provoquera une réaction allergique sur peau.
Pour avoir le même problème au cœur, je sais à quel point des situations de stress peuvent vous accélérer le rythme cardiaque au point de vous bloquer la respiration et aggraver des moments de paniques.

Le 24 décembre, c’est Noël. Ouaim sera expulsée vers la Roumanie, à ses frais.
Quand l’entretien se termine, j’essaie de rassurer Ouiam. Sa voix tremble et elle m’explique sa seule et unique crainte; le fait que les autorités belges lui ont abrogé son Visa « Je ne vais plus pouvoir faire mes stages à l’étranger, indispensable pour ma réussite. Je risque de rater mon année. J’ai tout quitté pour devenir dentiste… ils vont me briser mes rêves ». Ouaim fond en larme et je ne trouve pas les mots pour la réconforter face à ce qu’elle a subi. J’essaie tant bien que mal d’encourager Ouiam à se concentrer sur ses examens qui arrivent les prochains jours, la meilleure manière de ne pas les laisser briser ses rêves.
Une fois l’entretien terminé, je raccroche avec une colère monstre. L’histoire d’Ouiam c’est celle d’autres médiatisées depuis plusieurs semaines; Junior Masudi, Madame Ragini Grela, Yves Yao Kouakou, etc. Et c’est aussi l’histoire de centaines de personnes inconnues dont les injustices n’ont pas été relayées.
Aujourd’hui, ça n’est plus possible de nier qu’il y a un vrai problème dans l’attitude de la police aux frontières. Quelles sont les directives qui leur sont données pour les contrôles ? Quelles questions sont posées dans quelles conditions ? Qu’est-ce qui est transmis à l’Office des étrangers et par qui ? Qui contrôle ces échanges d’informations et leur véracité ? Pourquoi certaines personnes sont contrôlées plus sévèrement que d’autres ? Sur quelle base ? Puisque Ouiam est passée à de nombreuses reprises dans les mêmes conditions, est-ce que les agents précédents sont des mauvais policiers qui ne font pas leur travail ? Ou certains font-ils de l’excès de zèle et pratique un acharnement arbitraire ? Peut-être la raison de la mauvaise humeur de l’agent est une mauvaise carie ?
Quoiqu’il en soit, c’est du grand n’importe quoi, et il est vraiment temps de comprendre l’attitude de la police aux frontières, déjà pointée du doigt à de nombreuses reprises pour ces dysfonctionnements et ses pratiques douteuses.

J’interrogerai à la fois la ministre de l’intérieure sur cette question, mais aussi le Secrétaire d’État à la migration avant de demander une audition au Parlement de la police aux frontières.
Par ailleurs, les conditions d’enfermements de la jeune étudiante posent aussi de nombreuses questions ; pourquoi a-t-elle été placée 6 jours en isolement ?! Avec une sortie autorisée de 15 min ? Pourquoi ces données médicales n’ont-elles pas été prises en compte ?
À côté du combat politique, un combat juridique commencera aussi pour annuler l’abrogation du Visa de l’étudiante et lui permettre de continuer ses stages, de finir ses études, et de réaliser ses rêves.
Pour Ouiam, et pour toutes les autres personnes dont cette politique migratoire brise les rêves, je ne lâcherai pas avant d’obtenir des réponses à toutes ces questions.

Simon Moutquin (sur Facebook via Patrick Dupriez)

2 Commentaires
  • Esther Bourree
    Publié à 08:30h, 21 janvier

    Scandale innommable et acharnement dû au racisme ordinaire caractérisé. Je ne vois pas de nouvelles récentes dans internet, merci de nous tenir au courant ici par exemple. Une pétition pour que Ouiam puisse récupérer urgemment son visa? En solidarité totale avec elle, soutien et courage dans sa juste cause

  • Claude HUGON
    Publié à 18:58h, 09 janvier

    Merci Simon, c’est vraiment ça qui devrait être le combat écologiste, on a déjà suffisamment avalé de couleuvres dans ce gouvernement pour ne plus rien lâcher

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