Interview de Laurence Dudek BIENVEILLANTE DANS UN MONDE DE BRUTES

Issue d’une famille prolétaire franco-polonaise, deux grands-pères mineurs de fond, avec des liens familiaux étroit avec le monde arabo-musulman et la “Culture Sourde” (son mari appartenant à l’une et l’autre), et des liens amicaux ancien dans le monde de la culture et de la gauche radicale, c’est peu dire que la psychopédagogue Laurence Dudek a été confrontée très tôt et très souvent à l’altérité.
Psychothérapeute, praticienne en PNL et en Hypnose Ericksonienne, créatrice d’outils thérapeutiques pour enfants et adultes, elle est aussi l’autrice de la méthode “Education Efficace”. Une mise en pratique de la “bienveillance éducative illustrée par l’exemple“.
Après avoir, pendant quinze ans, exercé son métier dans la ville cosmopolite de Tanger, cette nordiste habite aujourd’hui à Dieppe.
J’aurais aimé être une petite mouette pour comparer les marchés aux poissons de ces deux ports – couleurs frétillantes de la Méditerranée versus iode sur glace de l’Atlantique – et peut-être aussi, la patientèle de ses salles d’attente.
Elle vient de sortir aux Éditions Hatier : “La bienveillance, ça marche! 63 questions, réponses et témoignages pour éclairer votre quotidien de parents“.
Et si l’école ne servait à rien ?

 

J’avais lu avec beaucoup d’intérêt son précédent livre, “Parents bienveillants, enfants éveillés“, sorti aux Éditions First en 2019. Pour de “vieux” parents, élevés à la gifle et aux bisous au début des années ’60 ou ’70, c’était une lecture passionnante, mais parfois un peu déroutante – tant certaines de ses propositions semblaient parfois “contrintuitives” par rapport à notre propre vécu.
Comme vous le lirez dans son interview, Laurence Dudek porte aussi en elle des convictions fortes et des choix parfois radicaux qui n’évitent pas toujours le piège du paradoxe. Aussi bienveillante soit-elle, elle ne craint pas d’aller au clash, et vous surprendra peut-être par ses affirmations sur l’école toxique, l’islam moderne, les écrans bienveillants et les hamburgers vomitifs. Mais dans ce monde où tant de gens pensent en rond, je tiens plutôt cette capacité à nous surprendre pour une qualité. Et puis, la clé de voûte de sa méthode n’est-elle pas magnifique et magique ?
Déraciner la violence de nos rapports familiaux les plus intimes !
Qui n’a jamais rêvé d’être “bienveillant” pour les autres en général, et pour ses proches en particulier ?
Reste que, comme beaucoup de nouvelles pédagogies, son efficacité dépendra sans doute beaucoup des qualités humaines et des connaissances de ceux et celles qui les incarnent.
N’importe quel imbécile est capable de donner une gifle ou un bisou.
Pour être à la fois bienveillant et efficace, il faudra au moins avoir lu le livre de Laurence Dudek.

Claude : Le mot clé de ton nouveau livre et de ta “méthode” éducative, c’est la “bienveillance”. Cela signifie-t-il donc qu’il y a des parents et des éducateurs qui ne le sont pas ?

Laurence Dudek (qui prend le temps de la réflexion) : La définition de la bienveillance, c’est de s’attacher d’abord au bien-être de l’enfant. Et il y a effectivement des gens qui ont d’abord d’autres exigences. Ca ne veut pas dire qu’ils soient nécessairement “malveillants”. Mais ils ont d’autres priorités. Par exemple, la réussite. L’obéissance. La soumission ou l’excellence des apprentissages.
Pour moi, la bienveillance, c’est une démarche politique, très politique même.
Mais pour la plupart des parents, c’est simplement une démarche éducative, parce que, comme dit le livre, “ça marche”.
Et aussi, parce que cela produit des choses qu’on ne peut obtenir autrement, y compris la qualité des apprentissages – sans avoir les effets négatifs d’autres méthodes d’éducation.
Dans la méthode “éducation efficace”, le postulat de base, c’est que la “bienveillance” n’est pas un objectif, mais un moyen.
“La bienveillance”, c’est aussi le respect et la connaissance de la nature humaine, du “vrai soi” : le corps, le cœur, le mental, et “l’âme” (sourire), qui est peut-être une notion un peu éthérée, mais qui englobe pour moi le développement spirituel.
Si on garde cette bienveillance en ligne de mire, et si on s’attache à tout cela, on obtient le meilleur. Et surtout, on évite la violence et ses débordements, qui ne passe pas seulement par les gifles, mais aussi par les mots et les situations.
Car un second point crucial dans l’éducation, c’est que les enfants, … les adultes aussi, d’ailleurs… enfin, nous, les “primates”,… on apprend par l’exemple, par “imitation”. On reproduit ce qu’on voit, ce qu’on vit.
Et donc, quand on est violent avec un enfant, qu’on le force ou qu’on le manipule, on lui apprend à faire pareil, à opprimer les plus petits et à respecter les plus grands, toutes ces choses qui font qu’on reproduit ensuite un système de domination et d’oppression sans même avoir besoin d’user de coercition… Ca marche tout seul, en fait, on fait tourner la machine.
C’est pourquoi la bienveillance est subversive en soi, parce quelle crée, développe et encourage d’autres valeurs et d’autres relations humaines.

Claude : Dans le premier livre que j’ai lu de toi, “Parents bienveillants, enfants éveillés”, tu soulignais aussi les capacités d’apprentissage “naturelles” des enfants, celles qui font, par exemple, qu’un enfant de trois ans peut apprendre à parler deux ou trois langues sans jamais avoir eu ni le moindre cours ni le moindre professeur !

Laurence : Les psychopédagogues se rendent compte aujourd’hui (du moins certains d’entre eux, ceux qui ne sont pas trop enferrés dans les croyances vis-à-vis de l’éducation scolaire…), ils constatent que le “unschooling”, c’est à dire les enfants qui ne vont ni à l’école, ni à “l’école à la maison” (qui enseigne le même programme mais dans un cadre familial)… ça marche !
On met à leur disposition des outils qui correspondent à leur appétit d’apprendre, puisque l’apprentissage est un processus naturel chez les petits humains, on a un cerveau qui est programmé pour ça, c’est une des particularités des primates …
Et si on met à leur disposition tout ce dont ils ont besoin, car l’apprentissage est un vrai “besoin”, il n’est pas indispensable d’aller à l’école. Ils “apprennent” autant, et parfois mieux, que les enfants qui suivent un cursus scolaire.

Claude : Il y a des données statistiques à ce sujet ?

Laurence : Pas en France, parce que c’est une catastrophe, ni d’ailleurs en Europe en général. Mais aux Etats-Unis, on sait qu’on trouve statistiquement dans les grandes écoles de nombreuses personnes issues du “unschooling” (1).

Claude : Et quel est alors le statut de ces enfants ? Chez nous, l’enseignement est quand même obligatoire ?

Laurence : Pas aux Etats-Unis. Et puis en France, je ne sais pas comment c’est en Belgique, mais en France, ce n’est pas l’enseignement qui est obligatoire, c’est l’instruction. On n’est donc pas obligé de les mettre à l’école : on est tenu de les instruire. Et il y a un contrôle des connaissances à postériori. C’est là que le bât blesse, mais les enfants du “unschooling” s’en sortent généralement très bien, puisqu’ils sont généralement “en avance”. Pas dans tous les domaines, mais ils se débrouillent généralement très bien.

Claude: Si je résumais l’éducation “classique” par la célèbre formule de “la carotte et du bâton”, c’est à dire la récompense et la punition, quelle formule définirait-elle “l’éducation bienveillante” ?

Laurence : La bienveillance, c’est l’écoute… et le respect. L’égalité, aussi. Qui est quelque chose de très très très compliqué pour les adultes, le rapport d’égalité avec les enfants. C’est déjà compliqué l’égalité entre les gens. Même quand on est bienveillant, on a appris à traiter avec condescendance ceux qui nous semblent moins instruits que nous, moins ceci, moins cela, dans la systémique des dominations.
Et c’est donc très difficile de détricoter cela quand on est adulte, alors que c’est une condition de la bienveillance et de l’efficacité éducative : “ne jamais penser, dire, faire ou faire faire quoique ce soit à un enfant qu’on n’accepterait pas qu’un enfant puisse penser, dire ou faire vis à vis de nous”. Du coup, ça nécessite de repenser complètement la relation.
Par exemple, on n’a pas l’habitude de demander leur avis aux tout petits avant de les manipuler physiquement. Ne serait-ce que pour les coiffer, les habiller, etc… Et c’est pourtant quelque chose qui génère des réactions violentes chez les enfants, et donc de la violence en retour chez les parents. Les enfants, quand ils ne veulent pas s’habiller, cela provoque des crises, tu vois ?
Une des particularités de mon parcours de psychopédagogue, c’est que je m’inspire beaucoup de l’éthologie (ndlr : étude du comportement des animaux), et en particulier des primates. Je suis une admiratrice inconditionnelle de Frans de Waal, je ne sais pas si tu connais ?

Claude: Non, pas du tout (2).

Laurence : Frans de Waal un chercheur qui est éthologue et docteur en psychologie qui a beaucoup étudié les primates, et qui est je crois né en Hollande, du côté de chez vous.

Claude : L’éthologie me passionne aussi : connaître et reconnaître le grand singe qui est en nous. Mais cela nous piège aussi parfois. Par exemple, notre corps est attiré par le sucre et la graisse, toutes ces saloperies qui nous font grossir (rire), parce qu’elles sont rares dans la nature et que notre corps en a besoin. Mais si tu lui en donnes en abondance, comme souvent dans la bouffe industrielle, cela peut se transformer en poison. Comment apprendre à maîtriser ces mécanismes ?

Laurence : Le maître mot, c’est “apprendre”. On vit dans une société, avec des règles communes qu’on peut difficilement changer. Mais on peut par contre assez facilement changer ce qui dépend uniquement de soi. Et pour cela, il faut connaître le fonctionnement naturel de notre cerveau de primate, et apprendre, avec bienveillance, à l’apprivoiser.
La clé numéro un de l’Education Efficace, c’est : “Tout ce que nous faisons, nous avons appris à le faire”. Or les enfants apprennent d’abord par l’exemple.
Si soi-même, on est grand consommateur de cochonneries, de gras, de sucres, et qu’il y en a à profusion à la maison, si on en ramène des brouettes du grand magasin, après, c’est très difficile d’encourager le bien manger si soi-même on se nourrit mal, et si c’est la seule nourriture qu’on propose à nos enfants.
Mais si on ne consomme pas soi-même de cochonneries –sans les priver d’en faire l’expérience pour autant, parce qu’on sait que la frustration augmente le désir… – et qu’on leur propose des tas d’autres choses…
Je l’ai observé moi-même avec mes enfants, mais aussi avec des tas de gens que j’ai accompagnés…
Bon, évidemment, mon aîné à trente-deux ans… et le petit dernier, quatorze ans… Il y a une grande différence entre les deux, et entre ce que j’ai fait “subir” entre guillemets à l’aîné (rire), et l’éducation je dirais “presque parfaite” du petit dernier (rires) il y en a qui ont essuyé les plâtres, tu sais !
Mais avec le dernier, j’ai vraiment appliqué “ma méthode” à la lettre. Et je me suis rendu compte qu’il y a des choses qui étaient chez moi des croyances, par exemple cette histoire de goût sucré et gras. La première fois que mon fils cadet a été dans un fast-food, il avait trois ans, il était invité pour l’anniversaire d’un petit copain. Il avait le choix entre “hamburger” et “nuggets”, il a croqué dans l’hamburger, et il a tout recraché en faisant la grimace. Et je me suis dit : “En fait, on leur fait croire qu’ils aiment ça, on leur fait croire que c’est bon”, avec tout un environnement publicitaire autour, mais cela ne correspond pas à leur goût profond. Ce n’est qu’un petit exemple, avec la nourriture, mais il y a des tas d’autres situations où il a ainsi réagi de façon “atypique”.

Claude: Comment expliques-tu par exemple les addictions des enfants, des ados et des adultes aux écrans ? Pour le coup, les primates n’y ont jamais été confrontés. Comment apprendre à gérer ces nouvelles technologies ?

Laurence : Tu verras, dans le livre, il y a tout un chapitre consacré au sujet. Et j’ai écrit sur ma page Facebook un article qui a été très très controversé, pour “défendre les écrans”, ou plutôt, pour défendre les enfants des stigmates qu’on leur inflige sur leur façon d’utiliser les écrans. Alors que concrètement, ils sont souvent beaucoup plus avancés que nous dans leur capacité à faire des choix, si tant est qu’on leur en laisse la possibilité. Et pour peu qu’on utilise “les écrans” comme des outils.
Après, il y a évidemment aussi la question des contenus.
Mais avec mon fils cadet, personnellement, je n’ai jamais limité les écrans.
Il avait, comme nous, à disposition, un ordinateur, une tablette, à côté de plein plein d’autres choses.
Évidemment, on contrôlait les contenus. Et on les regardait souvent avec lui sans dénigrer ses goûts. Les enfants, ils ont besoin d’être accompagnés. Tu ne leur mets pas une bouteille de whisky comme ça sur la table.
Et aujourd’hui, il n’est pourtant pas du tout dans la surconsommation.
Il fait une recherche internet pour un de ses dessins, ou il utilise son téléphone pour ses relations sociales, ou pour jouer à des jeux vidéo. Mais il fait aussi des tas d’autres choses. Il est épanoui dans sa vie sociale, il va à la piscine, il sort tous les jours…
Le problème ce n’est donc pas en soi “les écrans”, mais ce qu’on en fait, et ce qu’on fait ou non à côté et autour.
Après la publication de cet article, il y a énormément de parents autour de la trentaine qui m’ont remerciée, parce qu’ils font partie d’une génération qui a été fortement stigmatisée pour son usage des écrans. On les traitait de “geeks”, d’abrutis du web. Ils avaient honte de ce parcours et ne savaient pas comment faire avec leurs propres enfants.
Ils avaient donc tendance à appliquer les fameuses restrictions : jamais d’écran avant trois ans, une heure par semaine de trois à six… Or je ne sais pas d’où ces soi-disant experts sortent ces règles-là, car cela n’a aucune validité expérimentale…

Claude: Tu disais : “on a contrôlé les contenus”. Mais le problème avec les ados, c’est précisément qu’ils s’autonomisent, et qu’on n’a plus aucun contrôle sur le contenu de ce qu’ils regardent. Sur Tik-Tok, c’est en permanence dans un festival de consommation, de frime, de défis stupides, de violence verbale, de sexisme, …

Laurence : Mais s’il y a une addiction à ces images-là, il faut souvent la voir comme la conséquence d’un problème, et pas comme la cause. Par exemple, il va peut-être se gaver d’images parce qu’il angoisse, et que cela le calme. Mais pourquoi angoisse-t-il ? L’école, par exemple, c’est un milieu extrêmement toxique pour les enfants, en particulier pour ceux et celles qui on une sensibilité particulière.
La compétition, la comparaison, le dénigrement, la punition, la récompense, toutes les valeurs du capitalisme, et l’école est en plein là-dedans, elle fabrique les petits soldats dont l’économie a besoin.
Je ne sais pas comment cela se passe Belgique, mais en France, depuis Blanquer encore plus qu’auparavant (3), l’école n’a plus aucun rôle sur le plan éducatif. C’est du formatage, de la propagande et de la manipulation.
Quand j’étais une jeune mère, j’étais intimement convaincue que si je ne mettais pas mes enfants à l’école, cela allait provoquer une catastrophe au niveau des apprentissages, une catastrophe au niveau de leurs relations sociales, je le croyais vraiment.
Ceux qui ne mettaient pas leurs enfants à l’école avaient même une image de marginaux maltraitants.
En plus, je viens d’un milieu ouvrier pour qui l’école, c’était l’émancipation, l’ascenseur social. Mon grand-père était mineur de fond, mon père a fait l’Ecole Normale, c’est donc essentiellement l’école qui l’a instruit et plus tard l’Université, c’est ce qui lui a donné une conscience politique, j’ai été élevée dans ces valeurs-là. Mais c’est complètement fini tout ça, ça n’existe plus.

Claude: Tu es devenue aussi radicale que ça par rapport à l’école (rires) ?

Laurence : J’observe des générations d’enfants depuis vingt-cinq ans. Et je me rends compte combien notre inconscience politique collective est vraiment induite par l’éducation. Bon. Mais on très loin du livre, “La bienveillance, ça marche”, là.

Claude: On va y revenir.

Laurence : Contrairement à mon premier bouquin, “Parents bienveillants, enfants éveillés”, qui était un peu “politique”, ce livre-ci ne l’est pas du tout. Il est très… pragmatique. Les trois-quarts du livre, ce sont des exemples concrets, des analyses de “cas”, des “questions-réponses”, “quoi faire, comment faire”, “comment ça marche”, etc…
Et le dernier quart, c’est ma méthode éducative, très résumée, chaque “clé” présentée comme un mémo dont les gens puissent se souvenir. Car il faut que cela leur soit utile, et que cela leur apporte concrètement une aide et de l’amélioration.
Chaque petit pas gagné sur la violence aide les enfants, les familles, mais aussi le monde.
Le fameux battement d’aile du papillon…

Claude: Tu as pratiqué ton métier pendant une quinzaine d’années dans un pays du Maghreb…

Laurence : Oui, au Maroc.

Claude: Est-ce que cela t’a amené à modifier certains points de ta “méthode”, ou est-ce que cela t’a au contraire conduit à en constater “l’universalisme” ?

Laurence : Cela m’a libéré de nombreuses croyances. J’ai pratiqué mon métier au Maroc, mais surtout dans une énorme ville cosmopolite, Tanger, une ville de deux millions d’habitants, avec des influences culturelles très diverses, à commencer bien sûr par la culture arabo-musulmane. Cela m’a donné plein de permissions, en fait, plein d’ouvertures.
Par exemple, de par mes études, je ne connaissais que les auteurs psycho-machin qu’on lit en France. Là j’ai découvert l’incroyable richesse de la culture arabe, mais aussi, au-delà, d’autres recherches internationales, les différences de point de vue, etc…
Une autre chose fondamentale dans mon histoire personnelle, c’est ma rencontre avec la Culture Sourde, avec les “locuteurs natifs de la langue des signes”, ceux qu’on appelait autrefois les “sourds-muets”. Tu sais que mon mari est Sourd ?

Claude: Je le sais, mais pas les lecteurs de l’Asymptomatique (sourire).

Laurence: Note que j’avais déjà fait, pendant mes études de thérapeute, une formation à la langue des signes. La personne qui partage ma vie depuis dix-sept ans maintenant, c’est une des figures militantes de la langue des signes et de la culture Sourde. Cette dernière est basée sur un fonctionnement neurocognitif complètement différent du nôtre, puisque l’apprentissage du langage n’est jamais passé par l’écoute et la production de sons. Littéralement, nous n’avons pas le même cerveau.
Et tout cela a aussi une dimension politique. Cela m’a amené à accueillir les différences comme quelque chose de positif et d’enrichissant, au-delà de tout formatage éducatif, à faire beaucoup “d’ethno psychologie”, de comparaisons entre les différents systèmes pédagogiques, etc…

Claude: Tu parlais tantôt du “formatage” de l’école de la République sous l’ère de Blanquer. Dans les pays du Maghreb, et ailleurs dans le monde, c’est souvent aussi la religion qui sert d’ossature à la société et édicte un certain nombre de règles et de préceptes qui sont imposés à tous et à toutes. Comment adapter tes principes éducatifs avec des règles transcendantes qui  sont souvent imposées “de l’extérieur” ?

Laurence: Alors cela, ça fait partie des choses qui ont vraiment été une découverte pour moi, et qui se sont transformées en un combat contre l’islamophobie. Je l’ai vécu de très près, et de l’intérieur, puisque mon mari est musulman et que j’ai vécu dans un pays musulman pendant quinze ans. J’ai pu observer combien les représentations que “nous” (les occidentaux) avons en Europe de l’islam est fortement influencée par ce qu’on voit généralement sur BFM TV. Et ne correspond pas, en matière d’éducation, à la réalité concrète des gens de “culture musulmane”.
Je ne sais plus quel sociologue a dit que l’Islam, en fait, était une religion marxiste.

(éclat de rire de Claude)

Mais c’est vrai ! C’est incroyable, tu sais.

(Claude continue à rire)

Il y a quelque chose qui domine toutes les cultures, musulmanes comme judéo-chrétiennes, c’est le patriarcat. Et c’est cela, ce qui nourrit les fondamentalismes, le sexisme, l’âgisme et toutes les formes de dominations systémiques.
Mais l’islam est une religion très moderne par rapport aux cultures judéo-chrétiennes.
Par exemple, on ne force un enfant à rien avant l’âge de sept ans. Tu as déjà vu cela en France ?
On ne le force pas à manger, on ne le force pas à se laver, on ne le force pas à aller quelque part. On l’accompagne, on le suit. Et moi j’ai vu des mères qui suivaient des enfants qui commençaient à marcher sans jamais les empêcher d’aller.
C’est ma belle-mère qui m’a appris cela, la mère de mon mari, qui est une femme du peuple, qui ne sait ni lire ni écrire, comme c’est souvent le cas au Maghreb dans cette génération, mais qui connaît le Coran par cœur, qui connait aussi plein de superstitions, de traditions culturelles, parce que tout cela se mélange un peu.
On sait peu en Europe, par exemple, que l’immense majorité des musulmans sont des asiatiques. Or la culture qu’on connaît, nous, de l’islam, c’est essentiellement celle du Maghreb.
On voit bien qu’entre les deux, ce qui domine, ce n’est pas l’islam, ce n’est pas la religion, mais c’est la tradition, l’origine ethnique, l’ethnologie, etc…
Bref, tout ça pour dire que pour moi, la religion en soi, c’est un faux problème. Ce qui compte, c’est la lutte pour l’égalité et contre le patriarcat. L’égalité entre les hommes, les femmes… et les enfants.
Et peu importe ce que disent les “fransaoui”… ça à l’air d’une insulte, cela veut juste dire “français” en arabe… qui peuvent aller parler de “liberté” aux terrasses des cafés avant de rentrer chez eux taper sur leur femme.

Claude: Tu as bien fait de parler de ton expérience de l’éducation dans une grande ville musulmane. Par contre, tu n’as pas vraiment répondu à ma question. Toutes les sociétés ont des lois, des préceptes, des règlements, des habitudes, qui régissent, parfois de façon très autoritaire, la façon dont les enfants (et les adultes d’ailleurs) doivent se comporter. Comment concilier cette rigidité avec une éducation basée d’abord sur la bienveillance, la liberté et le libre-arbitre ?

Laurence: Mais précisément, toutes ces sociétés-là maintiennent leur système de domination “grâce” à ces formes traditionnelles d’éducation. C’est bien en cela que l’Éducation Efficace est aussi subversive que politique. C’est Marshall Rosenberg qui disait : “Je ne reçois jamais autant de violence portée sur moi-même que lorsque je prône la non-violence vis-à-vis des enfants”.
En France, la loi “contre le séparatisme” va interdire à moyen terme l’instruction en famille. Or il y a de plus en plus de gens qui se rendent compte qu’il devient très difficile d’éduquer les enfants à la liberté et à l’égalité à l’intérieur de l’actuelle institution scolaire. L’État veut garder un contrôle sur ces écoles alternatives, sur ces rassemblements de familles.
Ils font croire que c’est pour lutter contre la maltraitance des enfants, ou contre l’islamisation, ou contre certaines dérives sectaires, mais ce n’est pas du tout pour cela.

Claude : On sort d’une double période de confinement sanitaire, pendant lequel toutes les écoles en Belgique ont été fermées. Par la force des choses, tous les enfants ont ainsi été renvoyés “dans les familles”, avec des parents transformés en profs et en gardiens de prison. Or ce qu’on a constaté, surtout chez les ados, c’est plutôt un net regain de la violence intrafamiliale.

Laurence: Ce n’est pas ce dont j’ai personnellement eu connaissance. Mais je travaille surtout avec des familles qui ont de “petits” enfants (avant 10 ans). Pour eux, cette période-ci a plutôt été plus tranquille. Car dans cette tranche d’âge, ce sont surtout les résultats scolaires qui induisent des violences familiales. On sait par exemple qu’il y a un pic à la fin du trimestre, au moment de la remise des bulletins scolaires, dans les signalements pour maltraitance. Et par contre, une forte baisse au moment des congés. C’est statistique, et moi j’ai vu ça.
Mais le vécu du confinement a probablement été différent pour les ados, puisqu’ils étaient privés de toutes leurs habituelles relations sociales.
Après, il y a aussi eu toute la peur et l’anxiété générée par les médias autour du covid-19.
Et ça, cela a eu un effet très toxique sur les enfants. J’ai vu des enfants déprimés, au bout du rouleau, au bord du désespoir même, alors qu’à cet âge-là c’est habituellement rare chez nous en temps de paix (ce sont des marqueurs qu’on retrouve dans les pays en guerre ou les territoires occupés par exemple).
Pour moi, c’était flagrant. Et quand tu vois ce que cela a donné chez les étudiants… une véritable vague de suicides dans les universités !

Claude: Quelque chose que tu voudrais encore ajouter ?

Laurence: Lisez mon livre, parce qu’il est beau !

(rire de Claude)

Et bien écrit, parce que j’écris très bien !
Et il est très bienveillant. Il est important de le dire.
Il est bienveillant pour les enfants, mais aussi pour les parents.
Je ne les culpabilise pas du tout.
Je leur dis simplement qu’en matière d’éducation, on a toujours le choix.
Par ailleurs, tu peux signaler aussi à tes lecteurs que j’ai écrit des livres illustrés pour les enfants de 3 à 5 ans.
Il y en a une douzaine, dans la série “Mika et Zouzou”, et le petit dernier s’appelle “Les Mamies de Mika”. Parce que le papa de Mika a deux mamans.
Et j’ai aussi écrit deux livres d’histoires magiques, des contes pour “guérir” les enfants.
Et un autre, qui s’appelle “Parents magiciens, enfants enchantés”, qui sont des rêves éveillés. Des outils de l’Hypnose Ericksonienne.
Tu fermes les yeux, et je t’emmène faire une ballade, une promenade, avec des rencontres, et c’est thérapeutique, car le but c’est de faire vivre à l’enfant des expériences de très bonnes qualités, qui installent en lui un certain nombre de ses futures qualités.

propos recueillis par Claude Semal le 5 septembre 2021

(1) Il faudrait vérifier si on comptabilise aussi ainsi aux USA les riches familles qui ont pu se payer hors réseau éducatif un précepteur à domicile. Car ce qu’on sait aussi statistiquement, c’est que dans les universités les enfants de la bourgeoisie sont toujours surreprésentés.

Voir au sujet du “unschooling” le documentaire “Être et Devenir” de Clara Bellar (2014):

Et au sujet du même documentaire, cet intéressant témoignage d’une maman québécoise :

(2) J’ai tort, cela a l’air passionnant. Par exemple : “Le Singe en Nous” (Fayard/2006), “Le Bonobo, Dieu et nous : à la recherche de l’humanisme chez les primates” (Editions Les Liens qui Libèrent / 2013), “Sommes-nous trop bêtes pour comprendre l’intelligence des animaux ?” (ibidem, 2016)

(3) Ministre de l’Education Nationale de Macron.

 

1 Commentaire
  • Irene Kaufer
    Publié à 10:44h, 10 septembre

    On pourrait dire beaucoup de choses de cette vision de l’apprentissage qui se fait tout seul, mais étant très loin du monde l’enfance, je ne m’y aventurerai pas. Cependant il y a un point dans cette approche qui me paraît très problématique: retirer les enfants de l’école reste une réponse individuelle, et tous les parents ne sont pas en mesure d’accompagner leurs enfants (sans compter les parents eux-mêmes toxiques, pauvres gosses!) Même à supposer que c’est une solution “idéale” (ce dont je doute), elle ne ferait que produire une nouvelle “élite”. Il me semble beaucoup plus intéressant d’avoir la démarche collective de changer l’école, à commencer par une mise en avant de la coopération plutôt que de la compétition (ce qui se fait déjà dans certaines écoles d’ailleurs)

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