La fin du procès “Mawda” à Mons ON NE TIRE PAS SUR UNE CAMIONNETTE EN FUITE par Françoise Nice

Fin du procès en appel du policier auteur du tir qui a emporté la vie de Mawda dans la nuit du 17 au 18 mai 2018. Tout est dit ? non, pas vraiment. « On ne tire pas sur une camionnette en fuite. Point ». Récit et analyse de Françoise Nice.

Jeudi 4 novembre à Mons, la présidente Martine Baes a rendu son arrêt dans le procès en appel demandé par Victor-Manuel Jacinto Gonçalves, cet inspecteur de la police des autoroutes routes dont un tir a involontairement provoqué la mort de la petite Mawda la nuit du 18 mai 2018. Il espérait être acquitté. Mais la cour a largement suivi le jugement de première instance. Il avait écopé d’un an de prison avec sursis et de 400 euros d’amende. En appel, sa peine est réduite à 10 mois avec sursis et 400 euros. Bénéficiant d’une immunité, c’est l’état belge qui est condamné à verser deux fois trente mille euros de dédommagement à Phrast et Shamden Ali Ahmed Shawri, les parents de Mawda.
Reporté d’une semaine, l’arrêt est prononcé en pleines vacances de Toussaint. Cette fois-ci, il n’a pas fallu se chamailler avec les policiers et l’huissier pour entrer dans la petite salle. Peu avant 14 heures, on entre, on s’installe. Il restera quelques places libres. Sur le banc du public une militante a déposé un tee-shirt blanc « Justice pour Mawda ». Les interprètes sont là, à côté des parents de Mawda, et devant eux leurs trois avocats des parties civiles. Une pluie de flashes tombe à nouveau sur les parents. C’est long, c’est douloureux. Dans quelles agences de presse ces photos seront-elles stockées et commercialisées ? Les parents sont impassibles, le regard morne.
C’est la dernière fois qu’ils le voient. Le policier ne les regarde pas et tourne ostensiblement le dos aux caméras. Interdiction de le photographier. Il a déposé sa veste de cuir clair sur sa chaise, on ne voit de lui que son pull aubergine et son début de calvitie. « Je n’ai rien d’un cow-boy, je suis fils d’immigré et père de famille, moi aussi » avait-il répété pendant les deux procès. Non, il n’a rien d’un cow-boy, cet ancien ouvrier reconverti dans la police après la fermeture de son entreprise.

Un graff mural à Bruxelles en hommage à Mawda

14h10 : « La cour ». On se lève, on se rassied. Martine Baes entame la lecture de son arrêt en 15 points. Cela prend une petite trentaine de minutes. A 14h40, tout le monde ressort. Les parents de Mawda s’éclipsent discrètement, les journalistes assiègent les avocats. Des deux côtés, avocat des parties civiles et avocat de la défense, chacun s’applique à démontrer qu’il n’a pas perdu.
Maitre Kennes la joue fairplay : « on prend acte. Bien sûr on aurait souhaité un acquittement ». Pour ce procès d’appel, il avait longuement plaidé que « tout policier, placé dans les mêmes conditions et avec la même formation aurait fait la même chose ». Pour lui, il n’y avait donc pas faute, en revanche il avait souligné le sentiment de culpabilité, la dépression de son client et avait demandé sinon l’acquittement, du moins une suspension du prononcé, un geste qui aide son client à se reconstruire.
Le geste, ce sont ces deux mois de peine en moins. Et une conséquence concrète. Avec une peine de moins d’un an, la procédure disciplinaire n’est pas obligatoire, avec le risque de sanctions administratives et de perte des droits civils. La cour d’appel a souligné le parcours jusque-là « irréprochable du prévenu, manifestement bouleversé par les conséquences du tir dramatique ». Mais sur le fond, la cour a suivi le jugement rendu en première instance. Jacinto reste condamné pour homicide involontaire par défaut de prévoyance et de précaution. Il n’avait pas à préparer son arme, il n’avait pas à tirer. Il n’était pas dans les conditions de tir telles que définies par l’article 38 de la loi sur la fonction de police. A chaud, devant les micros, Maître Kennes élabore et parle d’une « faute légère ». « La faute dit-il, c’est un sentiment subjectif : Si Jacinto avait touché le pneu et immobilisé le véhicule, on l’aurait félicité ». S’il n’y avait pas eu la mort d’une enfant et toute l’émotion qui a secoué la société, … Laurent Kennes conclut que pour lui, cette peine de dix mois est un signal envoyé aux autres policiers. Bref, un jugement à vocation pédagogique.
Du coté des parties civiles, Maitre Benkhelifa se dit « très satisfaite », même si, précise-t-elle, on ne peut se réjouir dans ce drame. Satisfaite parce que la justice, tout en parlant d’un homicide involontaire, retient l’infraction pénale d’avoir chambré son arme et tiré. En première instance, les parties civiles avaient demandé en vain la requalification des faits en homicide volontaire. En deuxième instance, en « coups et blessures volontaires ayant involontairement entrainé la mort ».

Dans leurs plaidoiries, Selma Benkhelifa, Robin Bronlet et Loïca Lambert s’étaient appuyés sur la jurisprudence européenne et les articles 2 et 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Sur les manuels policiers qui soulignent le caractère très risqué de tirer sur un véhicule en mouvement. Et sur l’obligation établie par la loi de mesurer les risques du recours à une arme à feu et de vérifier s’il n’y a pas d’autres moyens pour arriver à l’objectif recherché. C’est aussi ce que l’avocate générale avait plaidé. Pour les avocats de la famille de Mawda, ilels l’avaient dit avec force, un acquittement ou une suspension du prononcé équivaudrait à donner un permis de tuer aux policiers en ruinant les balises légales et la jurisprudence. « On ne tire pas sur une camionnette en fuite. Point » avait dit Selma Benkhelifa.

Hors saisine, hors champ

L’avocate était donc satisfaite hier. Mais les avocats des parties civiles ont échoué à obtenir un grand procès, où les opérations Medusa auraient pu être interrogées. Plus d’une fois, en première comme en seconde instance, les avocats de la famille de Mawda se sont fait rappeler à l’ordre dès qu’ils voulaient évoquer ces opérations de traque de migrants sur les autoroutes décidées par le gouvernement Michel-Jambon. Opérations qui se poursuivent aujourd’hui. Ils et elles ont été interrompus chaque fois qu’ils ont voulu évoquer les mensonges, les traitements inhumains et les dysfonctionnements survenus dans les premières heures et jours après le tir fatal. « Cela ne fait pas partie de notre saisine » souligne à nouveau l’arrêt de la cour d’appel. Hier à Mons, Selma Benkhelifa a à nouveau exprimé la nécessité qu’une commission d’enquête parlementaire réexamine le drame de la nuit du 17 au 18 mai 2018. Le comité www.justice4mawda.be propose aux citoyens et militants d’interpeller les député.e.s dans ce sens.
Hier, j’ai quitté Mons avec un sentiment mitigé. Est-ce une justice sereine qui a été rendue ? j’ai repensé à la mort de Semira Adamu. Là aussi les gendarmes furent à peine sanctionnés. Et la technique du coussin fut abandonnée, comme ici les manuels policiers ont été révisés l’an dernier et ne retiennent plus la technique du tir dans le pneu d’un véhicule en mouvement. Les policiers des autoroutes verront aussi leur formation renforcée de quelques heures. Selon son avocat, Jacinto ne veut plus aller en opération, et se verrait bien dans la formation des policiers pour « éviter de tels drames ». Tout ça pour ça ? un petit placard ?

Hors champ, il y a aussi l’autre volet de l’affaire, le volet « trafic d’êtres humains », le procès en appel qui se poursuit à Liège. Le chauffeur présumé de la camionnette, Jargew Del avait pris 4 ans à Mons pour entrave méchante à la circulation, peine allongée d’un an à Liège avec 208.000euros d’amende. Il purge sa peine, il n’a pas fait appel, il avait pourtant clamé son innocence. Est-il lui aussi un lampiste, un tout petit poisson de 18 ans au bout d’une chaîne de passeurs ? Le convoyeur présumé Ahmed Rasol Dilman, avait été acquitté à Mons au bénéfice du doute mais condamné à Liège avec une peine de 4 ans de prison. C’est bien le trou noir et le point aveugle de ces procès : d’un côté l’indulgence pour un policier qui n’a pas réfléchi et qui seul a chargé et sorti son arme dès qu’il est entré en intervention, n’entendant pas ou n’écoutant pas les avertissements lancés par ses collègues de Namur « attention il y a des enfants à bord » et de l’autre la main lourde de magistrats qui cherchent à démanteler spectaculairement des filières de trafic d’êtres humains, sans vouloir comprendre que ceux qui aident à monter sur les camions peuvent être embringués malgré eux dans un rôle délictueux ou criminel.
Réfléchir encore. Oui, les parents de Mawda vont enfin pouvoir faire leur deuil. Mais l’arrêt de Mons servira-t-il de leçon pour les policiers ? Il ne permettra malheureusement pas de réfléchir à une autre politique migratoire, avec des canaux de migration légale moins étroits, où les migrants ne seraient pas à priori maltraités, humiliés, bloqués au Centre Caricole de l’aéroport comme l’étudiant congolais Junior Masudi Wasso pourtant doté des bons papiers.

La mort de Mawda est-elle une tragédie pour rien, dont aucune leçon sérieuse ne sera tirée ? on peut le craindre, si l’on regarde au-delà des tribunaux de Mons et Liège. Quand on voit le maire de Riace Domenico Lucano condamné à 13 ans et deux mois de prison sur base d’un procès politique abracadabrantesque qui scandalise de nombreux citoyens italiens ; quand on entend la ministre britannique de l’intérieur Priti Patel défendre l’entraînement de policiers en mer pour repousser les embarcations de migrants dans la Manche en les privant de facto de leur droit de demander l’asile (*) ; quand 12 pays européens sur 27 demandent à l’Union Européenne – jusqu’ici sans succès- de financer leurs frais de clôture et la militarisation de leurs frontières ; quand on voit aussi l’Office des étrangers faire la pluie et le mauvais temps dans les dossiers de régularisation des sans-papiers grévistes de la faim, en dépit des engagements convenus. Sale temps pour les nouveaux et les anciens voyageurs par nécessité.

Françoise Nice

(*) www.theguardian.com/uk-news/2021/sep/09/priti-patel-to-send-boats-carrying-migrants-to-uk-back-across-channel

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