PRENDRE LE RISQUE DE NE PLUS JAMAIS ME RETROUVER ICI par Soledad Kalza
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PRENDRE LE RISQUE DE NE PLUS JAMAIS ME RETROUVER ICI par Soledad Kalza

Publié le 29 octobre 2022 par Contribution extérieure
Hier soir, à Lisbonne, nous avons joué pour sa grand-mère, au milieu d'autres musiciens merveilleux, l'air était suspendu, Sina n'a pas seulement été éblouissant, il a aussi été extrêmement courageux et généreux. Dire au revoir et perdre le peu de droit obtenu en Europe. Participer aux funérailles, rentrer au pays et prendre le risque de ne plus jamais pouvoir venir me retrouver ici. La politique migratoire belge, les lois sur l'éloignement des étrangers ont des effets directs sur de simples gestes qu'aucun.es citoyen.nes européen.nes à part entière n'aura jamais à se poser. Cette après midi comme tous les après midi depuis plusieurs semaines j'ai encodé mes revenus dans un tableau Excel. Je dois prouver gagner 1800 euros par mois afin de bénéficier du droit à me regrouper familialement avec mon mari. Ce que je ne gagne pas. Je serais trop pauvre aux yeux de l'état belge pour épouser en plus un africain.

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Avec Didier Mélon pour l'émission "Le Monde est un Village"

J'ai croisé Soledad il y a une bonne quinzaine d'années, dans le spectacle que j'avais écrit pour le Théâtre Le Public ("Le candidat", avec feu Serge Larivière dans le rôle titre).
Elle était alors chanteuse et comédienne et venait à peine de sortir de l'INSAS.
Beaucoup d'eau a coulé depuis, sous les ponts et sous les vagues des océans, et la vie, le travail et l'amour ont conduit Soledad à rencontrer puis à épouser Sina, un guitariste et griot originaire du Burkina Faso. Les voir et les entendre à deux en scène est un vrai bonheur.
Mais épouser un africain, pour une européenne, c'est aussi découvrir presque quotidiennement le racisme structurel de cet "état de droit" qui n'est souvent plus qu'un "état de droite".
On en parle peu, mais une de nos lois infâmes autorise par exemple l'Office des Étrangers à empêcher un couple "mixte" marié de vivre ensemble. Honte a ceux et celles qui ont pu voter des textes pareils. Et puissent Sina et Soledad se retrouver bientôt ici chez eux, comme partout ailleurs dans le monde (C.S.).

L'affiche du concert à Lisbonne

Merveilleux concert à Lisbonne hier soir. Nous avons joué en guise de funérailles pour la grand-mère de Sina, Awa Téné Bakoussiri, décédée après plus de 100 ans passés sur cette terre. Que son âme repose en Paix. Que la terre lui doit légère. Puisse Dieu poser sa main sur le cœur de chacun.e de ses enfants.
Tant de récits dans la bouche de Sina dont celui, récurant, d'avoir marché de village en village avec elle, tamani sous le bras, en accomplissant sa fonction de jeune griot à ses côtés.
Il me semble en l'écoutant entendre sa voix puissante pénétrer les murailles des villes faire louanges, bénédictions et généalogies... Voir les dizaines de plats déposés devant eux en guise de festin, célébrant la valeur inestimable de leur fonction et de leur savoir.
Hier soir, nous avons joué pour elle, au milieu d'autres musiciens merveilleux, l'air était suspendu, Sina n'a pas seulement été éblouissant, il a aussi été extrêmement courageux et généreux.
Dire au revoir et perdre le peu de droit obtenu en Europe.
Participer aux funérailles, rentrer au pays et prendre le risque de ne plus jamais pouvoir venir me retrouver ici.
La politique migratoire belge, les lois sur l'éloignement des étrangers ont des effets directs sur de simples gestes qu'aucun.es citoyen.nes européen.nes à part entière n'aura jamais à se poser.
Cette après midi comme tous les après midi depuis plusieurs semaines j'ai encodé mes revenus dans un tableau Excel. Je dois prouver gagner 1800 euros par mois afin de bénéficier du droit à me regrouper familialement avec mon mari.
Ce que je ne gagne pas.
Je serais trop pauvre aux yeux de l'état belge pour épouser en plus un africain.
Pendant ce temps, le nouveau passeport de Sina, attendu depuis trois mois, se fait attendre.
Il semble qu'aucune loi ne stipule qu'il ait à le fournir dans le cadre d'un regroupement familial, mais c'est apparemment l'usage pour l'Office des étrangers.
Épopée griotique versus administration belge.
Nous devons rendre les documents pour le 31 octobre. Cela fera 8 ans jour pour jour que le peuple burkinabè aura chassé Blaise Compaoré du pouvoir.
Espérons que la date nous porte chance.

Soledad Kalza (sur Facebook)

https://www.facebook.com/kalzakienou

 

L'asymptomatique | PRENDRE LE RISQUE DE NE PLUS JAMAIS ME RETROUVER ICI par Soledad Kalza

PRENDRE LE RISQUE DE NE PLUS JAMAIS ME RETROUVER ICI par Soledad Kalza

Avec Didier Mélon pour l’émission “Le Monde est un Village”

J’ai croisé Soledad il y a une bonne quinzaine d’années, dans le spectacle que j’avais écrit pour le Théâtre Le Public (“Le candidat”, avec feu Serge Larivière dans le rôle titre).
Elle était alors chanteuse et comédienne et venait à peine de sortir de l’INSAS.
Beaucoup d’eau a coulé depuis, sous les ponts et sous les vagues des océans, et la vie, le travail et l’amour ont conduit Soledad à rencontrer puis à épouser Sina, un guitariste et griot originaire du Burkina Faso. Les voir et les entendre à deux en scène est un vrai bonheur.
Mais épouser un africain, pour une européenne, c’est aussi découvrir presque quotidiennement le racisme structurel de cet “état de droit” qui n’est souvent plus qu’un “état de droite”.
On en parle peu, mais une de nos lois infâmes autorise par exemple l’Office des Étrangers à empêcher un couple “mixte” marié de vivre ensemble. Honte a ceux et celles qui ont pu voter des textes pareils. Et puissent Sina et Soledad se retrouver bientôt ici chez eux, comme partout ailleurs dans le monde (C.S.).

L’affiche du concert à Lisbonne

Merveilleux concert à Lisbonne hier soir. Nous avons joué en guise de funérailles pour la grand-mère de Sina, Awa Téné Bakoussiri, décédée après plus de 100 ans passés sur cette terre. Que son âme repose en Paix. Que la terre lui doit légère. Puisse Dieu poser sa main sur le cœur de chacun.e de ses enfants.
Tant de récits dans la bouche de Sina dont celui, récurant, d’avoir marché de village en village avec elle, tamani sous le bras, en accomplissant sa fonction de jeune griot à ses côtés.
Il me semble en l’écoutant entendre sa voix puissante pénétrer les murailles des villes faire louanges, bénédictions et généalogies… Voir les dizaines de plats déposés devant eux en guise de festin, célébrant la valeur inestimable de leur fonction et de leur savoir.
Hier soir, nous avons joué pour elle, au milieu d’autres musiciens merveilleux, l’air était suspendu, Sina n’a pas seulement été éblouissant, il a aussi été extrêmement courageux et généreux.
Dire au revoir et perdre le peu de droit obtenu en Europe.
Participer aux funérailles, rentrer au pays et prendre le risque de ne plus jamais pouvoir venir me retrouver ici.
La politique migratoire belge, les lois sur l’éloignement des étrangers ont des effets directs sur de simples gestes qu’aucun.es citoyen.nes européen.nes à part entière n’aura jamais à se poser.
Cette après midi comme tous les après midi depuis plusieurs semaines j’ai encodé mes revenus dans un tableau Excel. Je dois prouver gagner 1800 euros par mois afin de bénéficier du droit à me regrouper familialement avec mon mari.
Ce que je ne gagne pas.
Je serais trop pauvre aux yeux de l’état belge pour épouser en plus un africain.
Pendant ce temps, le nouveau passeport de Sina, attendu depuis trois mois, se fait attendre.
Il semble qu’aucune loi ne stipule qu’il ait à le fournir dans le cadre d’un regroupement familial, mais c’est apparemment l’usage pour l’Office des étrangers.
Épopée griotique versus administration belge.
Nous devons rendre les documents pour le 31 octobre. Cela fera 8 ans jour pour jour que le peuple burkinabè aura chassé Blaise Compaoré du pouvoir.
Espérons que la date nous porte chance.

Soledad Kalza (sur Facebook)

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