UN AUTRE MONUMENT “AUX MORTS” par André Clette

En général, un monument aux morts se doit d’être vertical : stèle, obélisque, colonne, baïonnettes dressées… L’horizontalité évoquerait trop la mort ordinaire. Souvent, au pied de toute cette virilité érigée, une femme, allégorie de la Nation, pleure et honore les héros.
À Lodève (Hérault), l’ensemble monumental, créé par le sculpteur Paul Dardé, est au ras du sol. Comme une tombe. L’allongé est bien mort. Il n’est pas digne. Il a les jambes écartées. Un défunt sans élégance. On comprend qu’il a hurlé, saigné, pissé, chié. La vie qui lui a été extirpée, on devine par où elle s’est échappée.
À sa tête, quatre femmes, muettes, figées, stupéfiées. Pour toujours. Comme des pierres dans un mur. Un mur qui ferme la perspective.
Un mur vivant, comme un chœur tragique sur lequel viennent battre les rayons du soleil. Ce ne sont pas des allégories. Ce sont des femmes. Pas des pleureuses. À cette époque où les femmes n’avaient que le droit de pleurer, celles-ci, on dirait qu’elles boudent. Elles portent les vêtements qu’on portait dans ces années-là, chapeaux cloche, rubans, boas, dentelles, sacs à main… Elles vivent leur vie de femmes de ce temps-là. Et leur douleur de ce temps-là.
À son côté, une cinquième femme. Effondrée. Enroulée sur elle-même. Disloquée. Comme un sac. Comme un chiffon. La veuve ? la mère ? la sœur ? On ne sait. Hurle-t-elle, on l’ignore. Elle n’a pas de visage. Elle est en enfer. C’est sûr.
Au pied du cadavre moche, deux enfants portent les lauriers de la victoire. Ils ne savent qu’en faire. Il n’y a pas de victoire. Il n’y a qu’un champ de bataille béant au milieu de leur famille.
Sous le soleil de Lodève, il y a une minute de silence qui dure l’éternité.
Si vous passez par-là pendant vos prochaines vacances, faites le détour.

André Clette

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