UN “STREET-MEDIC” TEMOIGNE SUR LA BOUM 2

Les « Street-Medics » sont des « secouristes de rue » bénévoles, formés à donner les premiers soins à toute personne blessée au cours d’une manifestation.
Si la police tolère généralement leur présence, ils n’échappent pas toujours aux arrestations.
Leur témoignage est précieux, car ils sont souvent présents en première ligne des éventuels affrontement. Ils ont également une vue générale sur les incidents qui se produisent au cours d’un événement particulier.
Le récit que nous publions, relatif à la BOUM2 du 1er mai au Bois de la Cambre, a été diffusé sur le site du collectif « Street-Medics Autonomes » et sur les réseaux sociaux.

Nous, collectif Street-Medics Autonomes, nous étions présent·es au bois de la Cambre ce 1er Mai 2021. Lorsque nous sommes arrivé·es sur place, l’ambiance était bon enfant. Des petits groupes de personnes parsemaient la plaine principale, alors qu’au centre et à proximité du lac, la foule était plus dense et l’ambiance plus festive encore.

Avant que la police n’attaque :

La présence policière était déjà importante lors de notre arrivée, des dizaines de combis, deux autopompes et un bus d’arrestation étaient stationnés sur les hauteurs de la plaine. Cela semblait déjà important mais alors que la fête était en cours, nous avons vu arriver des combis supplémentaires, beaucoup plus … puis une troisième autopompe et une quatrième, puis un véhicule de transport blindé. Ensuite les occupants des combis se sont mis en formation. Une ligne de boucliers et de matraques s’est rapidement formée sur les hauteurs dominant la plaine où 2.000 personnes étaient maintenant présentes dans une ambiance encore chaleureuse à ce moment-là. Des drones survolaient la foule, leur intimant de respecter les mesures de distanciation et de rentrer chez elles et des hélicoptères passaient et repassaient au-dessus du bois durant toute l’intervention.

L’attaque de la police sur la plaine :

La police était de plus en plus en nombre et il ne faisait aucun doute qu’elle allait bientôt intervenir.
Du côté de la plaine, l’ambiance est toujours festive bien que des groupes se soient déjà formés autour des lignes de police, sans heurts et sans violences. Des provocations sont lancées de part et d’autre.
Des “parents” et personnes plus âgées que la moyenne des participant·es ont formé une chaine humaine, implorant la police de laisser leurs enfants en paix, déterminé·es à faire barrage de leur corps. Ils et elles ne seront pas entendu·es et violement dégagé·es par la police.
Ensuite, c’est l’offensive. Ça a été soudain et violent ! En un instant, les lignes de police se déplacent et avancent puis durant plusieurs minutes la police stoppe et laisse les groupes de jeunes approcher, les tensions montent, des jets de gazeuses à main et des coups de matraques et de bouclier s’abattent sur tous ceux et celles qui sont trop proches au gout de la police. Aucun dialogue n’est possible puisque que personne ne peut approcher. Les premières lignes de police sont la cible de quelques jets sporadiques de bouteilles, cailloux ou morceaux de bois.
Très rapidement, la police commence sa progression. De nombreuses grenades lacrymogènes sont tirées par lanceur Cougar vers la plaine bondée. Il y a dans cette foule, indistinctement, des jeunes, des moins jeunes, des personnes âgées et mêmes des enfants en bas âge. Aucun avertissement de l’usage de gaz ne nous est parvenu. Nous avons dû aider des familles à évacuer au plus vite avec des enfants parfois très jeunes et en grand danger face aux gaz utilisés par la police qui peuvent évidemment se révéler mortels. La police ne laisse aucun répit aux gens et avance par petits bonds offensifs mais assez rapides, et à chaque fois l’usage du gaz lacrymogène est disproportionné. De lourds nuages irritants et asphyxiants se déplacent sur la plaine et piègent au passage des personnes pendant de longues minutes à suffoquer, sans réussir à voir où elles vont, elles n’arrivent plus à ouvrir leurs yeux, gonflés, rouges et douloureux. La panique se répand sur la plaine, les mouvements de foule que la police crée sont extrêmement dangereux.
C’est le chaos sur la plaine, nous sommes chassé·es vers les bois entourant la pelouse centrale et la police continue d’expédier des gaz dans la foret. Là les affrontements continuent entre polices et manifestant·es. Les gens se rassemblent alors et commencent à riposter par des jets de pierres, de bouteilles et des tirs de feux d’artifice. Les affrontements se multiplient et des barricades sont érigées.
Difficile à ce moment d’avoir un regard global sur la situation. La plupart des gens ont réussi à sortir ou sont repoussés en dehors du bois, d’autres manifestant·es se dirigent plus profondément dans les bois, autour de la route qui les traverse.
Nous ne parvenons pas à les rejoindre. A partir de ce moment, notre équipe de street-médics est en dehors du bois. Des affrontements ont lieux dans les bois, nous entendons des cris et les détonations des grenades lacrymogènes, mais il ne nous est pas possible d’y retourner, la police bloquant tous les accès.

La chasse aux jeunes :

Au bout de plusieurs dizaines de minutes dans les bois, nous en sortons et nous nous retrouvons à suivre les chemins qui mènent aux diverses entrées du bois de la Cambre. La police prend place à chacune de ces entrée en continuant de lancer des grenades pour empêcher les groupes de s’approcher. A l’entrée où nous nous sommes retrouvé·es, une autopompe a pris position et arrose celles et ceux qui s’approchent.
La situation semble même se calmer durant un court instant, mais la police a continué à charger et nous a repoussé dans les rues adjacentes.
Nous voilà à présent pourchassé·es dans les rues, dans les jardins, entre les immeubles. Les flics nous courent après pour nous frapper et nous gazer. Un petit groupe se fait prendre près de l’arrêt de bus “Brésil”, les matraques s’abattent, la gazeuse est utilisée et la police continue de chercher d’autres cibles, tout le monde fuit.
Nous sommes à proximité de la gare de Boendael quand nous croisons d’autres personnes marchant vers nous, elles aussi chassé·es par la police, et nous comprenons que nous devons nous éloigner de cette zone. Nous apprendrons plus tard que cela s’est produit à divers endroits : près de la gare de Boendael, près de l’ULB, sur l’Avenue Franklin Roosevelt, …

Retour sur la plaine :

Au prix de longs détours pour éviter de croiser des flics dans les rues autour du Bois, au risque de se faire frapper, gazer ou courser sans raison apparente, et cela même si c’est le seul chemin pour quitter le quartier, nous arrivons à proximité de l’entrée principale du bois et nous constatons que beaucoup de gens y sont encore.
Nous approchons de la ligne de policiers et nous demandons simplement à entrer sur la zone. Le policier nous demande “pourquoi ?” et nous répondons que nous allons rejoindre d’autres médics pour prodiguer des soins à celles et ceux qui en ont besoin.
Le policier nous regarde de la tête aux pieds et décide de nous laisser passer. Nous sommes de retour sur la plaine mais cette fois-ci : derrière les lignes de police.
En face, entre 700 et 800 personnes (nombre difficile à évaluer de notre position) sont encore dans le bois et tiennent leurs positions. Ils et elles résistent à la police depuis maintenant au moins 2 heures. Au vu de la situation, nous nous joignons à un autre collectif, Street Medic Belgium, qui avait l’autorisation tacite de la police de circuler plus ou moins librement sur la zone en restant du coté de forces de l’ordre pour s’occuper des blessé·es. Nous les avons suivis et le reste de la soirée s’est déroulé comme suit :
La police garde ses positions, reçoit des projectiles, tire régulièrement des grenades lacrymogènes au Cougar et tire au canon à eau sur les jeunes qui s’approchent.
Ensuite, l’ordre de charger est donné par un cri du commissaire, la police gagnant ainsi du terrain de charge en charge parfois au rythme du pas de marche, ordonné, en ligne et en frappant leurs bouclier de leur matraque pour impressionner. Parfois, ce sont de véritables chasses à l’homme : des policiers sortent en courant de la ligne pour matraquer, gazer et interpeler tout ce qui se trouve sur leur passage.
Pendant que la ligne de bouclier avance, à l’arrière, des policiers en civil et les chiens d’attaque s’occupent de garder à distance les jeunes qui se sont réfugié·es dans la forêt. Le dispositif policier n’est pas étanche. Des civils ou la police montée continuent à interpeller violement des personnes souvent seules, marchant au milieu de la plaine, vraisemblablement dans l’idée d’en sortir, alors que les forces de l’ordre repoussent les affrontements plus profondément encore dans les bois.
Le blindé de la police est utilisé pour défoncer des barricades de bois érigées et parfois incendiées sur la route, et les canons à eau qui se relayent sur la ligne d’affrontement éteignent les feux allumés par les manifestant·es.

Alors que nous quittons complètement la plaine pour entrer dans la partie plus boisée, il reste encore plusieurs centaines de personnes en face de la police. Nous remarquons que beaucoup de policier en civil sont armés de fusil type FN-303, la même arme qui a déjà tué plusieurs personnes dans le monde. Ce n’est pas pour nous rassurer, vu les scènes de violences que nous avons déjà observées. L’étau se resserre sur ce qu’il reste de manifestant·es. La police peut alors concentrer ses forces sur un seul point d’affrontement sur la route qui fait le tour du lac et traverse la forêt.
Plusieurs personnes sont encore interpellées dans le bois, certain·es avec violence, mais les affrontements perdent en intensité.
Lorsque nous sortons des bois, nous empruntons l’Avenue Franklin Roosevelt et nous prendrons encore en charge des blessé·e·s. Notamment une personne presque inconsciente qui a été laissée là par la police, trempée et en état de choc.En reprenant les transports en communs, nous constaterons que des arrestations sont en cours jusqu’à l’Avenue Buyl, à plus de 20 minutes à pied du bois de la Cambre. Nous avons, comme beaucoup, vu les vidéos montrant la violence des interpellations qui se sont déroulées dans ces rues plus isolées (ou pas).

Nous dénonçons la violence avec laquelle la police a exécuté des ordres dispensables. La violence n’est pas venue des personnes présentes à la BOUM 2, mais bien des forces de l’ordre. Il devient de plus en plus difficile pour les représentants du pouvoir, ministres ou bourgmestre de Bruxelles, de dissimuler le tournant autoritaire et violent que notre pays a pris ces dernières années. La crise sanitaire n’a fait que l’accélérer, le rendre plus visible et moins supportable pour des milliers de personnes.
Nous ne nous laisserons plus faire.
Nous sommes solidaires de toutes les victimes de violences policières ou de violences de l’état d’une manière plus globale, en particulier de celles qui les subissent les plus fréquemment. Nous avons encore une fois constaté que la violence s’exerce plus facilement quand la personne ciblée est racisée, jeune ou habillée en survêtements.
La police est en roue libre : coups, insultes, irrespect, humiliations, provocations, violences, haines, … ou silence complice. Voici à quoi ressemble la police que nous avons vu ce 1er mai au Bois de la Cambre, à la manif de la santé en lutte, à Anderlecht, à Saint-Gilles, Namur, Liège ou à Arlon, …
Il nous est impossible de détailler ici le nombre des blessé·es car nous sommes loin d’avoir été témoins de tout, mais n’hésitez pas à nous contacter pour témoigner. Vous pouvez aussi consulter notre article “Signaler une violence policière ».

Marin Driguez (compte rendu et photo).

http://street-medic.be/retour-sur-la-boum-2-1er-mai-2021/

 

1 Commentaire

Poster un commentaire