UNE SORTIE ET DES SORTEURS : UNE SOIRÉE HONTEUSE par Sarah Mie (sur Facebook)
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UNE SORTIE ET DES SORTEURS : UNE SOIRÉE HONTEUSE par Sarah Mie (sur Facebook)

Publié le 8 juin 2022 par Contribution extérieure
Hier soir, avec quelques ami.es, dont trois sans-papiers et une personne "racisée", nous décidons de sortir ensemble. Le jour précédent, nous avions appris, encore une fois, une mauvaise nouvelle concernant la trahison d’Etat suite à leur grève de la faim de 2021 : selon l’Office des Etrangers, une sur six des personnes ayant fait la grève de la faim ont reçu une réponse positive à leur demande, donc cinq sur six une réponse négative. Les ami.es sans-papiers considèrent que c’est encore une preuve de l’échec de leur lutte et de la trahison de l’Etat. Cette nouvelle à fortement touché plusieurs de nos ami.es sans-papiers qui avaient participé à cette grève. On a donc décidé de sortir ensemble pour se changer la tête, pour ne pas rester chez soi et déprimer dans son coin (précaire).

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Hier soir, avec quelques ami.es, dont trois sans-papiers et une personne "racisée", nous décidons de sortir ensemble. Le jour précédent, nous avions appris, encore une fois, une mauvaise nouvelle concernant la trahison d’Etat suite à leur grève de la faim de 2021 : selon l’Office des Etrangers, une sur six des personnes ayant fait la grève de la faim ont reçu une réponse positive à leur demande, donc cinq sur six une réponse négative.
Les ami.es sans-papiers considèrent que c’est encore une preuve de l’échec de leur lutte et de la trahison de l’Etat. Cette nouvelle à fortement touché plusieurs de nos ami.es sans-papiers qui avaient participé à cette grève. On a donc décidé de sortir ensemble pour se changer la tête, pour ne pas rester chez soi et déprimer dans son coin (précaire).

On démarre la soirée dans un bar, on discute de ce qu’on veut faire. On décide, de manière explicite, d’aller dans des endroits où on ne risque pas de se confronter à des sorteurs qui font le tri sur base du facies et de la couleur de peau. On démarre au "Café Central". On entre de manière dispersée, l'un voulant fumer une cigarette, un autre voulant déjà commander au bar... D’abord, un ami se fait refuser l’entrée. Heureusement une amie blanche était juste derrière lui et elle a dit qu’il était avec elle.
Le sorteur laisse entrer notre ami accompagné par notre amie blanche. Nous nous installons à l’intérieure, on voit plusieurs personnes visiblement sous influence entrer, sans aucun problème. Un peu de temps après un autre ami sans-papiers veut nous rejoindre au Café Central. Il tente d’entrer, il oublie qu’il a un verre dans la main d’un autre bar. Le sorteur lui refuse l’entrée, pointe son verre. L’ami met directement le verre de côté et demande s’il peut rentrer de cette manière-là, qu’il a des ami.es à l’intérieur.
Pendant tout ce temps, l’ami sans-papiers reste extrêmement calme et souriant, aucune signe d’énervement. Les deux sorteurs lui refusent toujours l’entrée. Pourtant notre ami reste extrêmement poli. A ce moment-là, je décide d’intervenir.
Je dis qu’il est avec moi et que nos ami.es sont à l’intérieure et l’attendent. On lui refuse toujours l’entrée. Je demande les sorteurs sur quelle base on lui refuse l’entrée. Ils pointent vers le verre. Je leur demande pourquoi cela pose un problème s’il le met de côté dehors ? Les sorteurs continuent à lui refuser l’entrée. Je vais chercher de l’aide au bar.
Une barwoman viens à la porte. Je leur demande si c’est parce que notre ami est arabe qu’il ne peut pas entrer. Ils disent qu’ils n’ont pas de problème avec lui mais ce n’est pas un habitué, il est habillé de manière différente… Je demande quels types d’habits posent problème. Ils ne savent pas répondre. Je m’énerve.
On me dit de sortir avec mon ami et que c’est parce que je m’énerve qu’on nous demande de quitter le bar. On décide de tou.tes sortir et de trouver un autre lieu qui veut bien nous accueillir.
Dehors, on décide de partir à la soirée Niemand Is Illegaal. On se dit que là on ne risque pas de subir ce type de traitement raciste. Les deux ami.es qui se sont fait refuser l’entrée au Café Central tentent de normaliser la situation. Ils ont l’habitude qu’on leur refuse l’accès à ce type d’endroits… On leurs dit que ce n’est pas normal.

On arrive à la soirée Niemand Is Illegaal. A l’entrée les sorteurs disent que la soirée est complète. Trop de monde. Les ami.es sans-papiers tentent de négocier en expliquant qu’on nous a refusé partout au centre-ville, et qu’ils sont les personnes particulièrement concernées par cette soirée. Ils sont sans-papiers et ont mené une grève de la faim l’année dernière.
Il n’y a-t-il pas de possibilité de faire une exception, d’organiser des entrées en fonction des sorties, de discuter avec les responsables de la soirée…? Les sorteurs les recadrent de manière brutale. Aucune explication, sauf que c’est plein.
Je décide de téléphoner aux deux organisateurs que je connais et que je considère (considérais ?) comme des allié.es de la lutte des sans-papiers. Le premier me dit qu’il ne peut rien faire et me raccroche au nez.
Le deuxième décide de sortir. Je tente de lui expliquer la situation, que c’est vraiment la goutte qui fait déborder la vase de la soirée, qu’il n’est pas possible de traiter nos ami.es comme les autres personnes qui veulent encore entrer. N’y a-t-il pas moyen de juste faire entrer nos trois ami.es sans-papiers car ils ont mené une lutte extrêmement dure cette dernière année, moi je n’ai pas besoin d’entrer, mais que nos ami.es sans-papiers n’ont pas d’endroit où se défouler, faire la fête, se changer la tête. Et que symboliquement, leur refuser l’accès à une soirée nommée « Niemand Is Illegaal » serait un autre coup trop lourd pour elleux. L’organisateur continue à répéter qu’il ne peut rien faire comme organisateur, que c’est le lieu d’accueil qui décide. Il repart en laissant nos ami.es qui continuent à discuter avec les sorteurs.
Une personne dehors commence alors à crier et à ridiculiser un de nos ami.es qui tente de continuer à négocier avec les sorteurs.
L’ami sans-papier va visiblement mal mais tente malgré lui d’expliciter pourquoi il considère que ce n’est pas une façon d’organiser une soirée pareille.
Là, je m’énerve contre la personne qui ridicule l’amie sans-papier. Je demande à cette personne pourquoi il pense de pouvoir se permettre de se foutre la gueule d’un militant sans-papier qui est visiblement en détresse.
Il nous balance que c’est à cause de nous que lui ne va plus pouvoir entrer à la soirée.
Je m’approche. Je le reconnais de trainer dans ce type de milieu. Je lui demande s’il se rend bien compte de ce qu’il est en train de dire et à qui il s’adresse : une personne concernée par cette soirée qui vit jusqu’à ce jour les séquelles de la grève de la faim de l’année dernière. La personne dit de s’en foutre. Je m’énerve encore plus.
D’autres personnes se montrent solidaires avec nous et tentent une médiation pour calmer la situation. Cela fait un bien de fou.

Puis, la police arrive. Est-ce que c’est les organisateurs qui ont téléphoné à la police ? Est-ce que c’est les sorteurs, du Vaartkapoen VK, qui ont téléphoné à la police ?
En tout cas, les flics se dirigent directement vers l’entrée et demandent aux sorteurs ce qu’il se passe.
Fin de soirée, constat : on est tou.tes mal et dégoutés de notre soirée. On est dehors. On n’a pas d’autres choix que de rentrer chez nous. Une soirée de « fête » qui aurait dû nous permettre d’oublier nos problèmes du quotidien ?
Je suis particulièrement déçue de la réaction des personnes qui se disent solidaires avec la lutte des sans-papiers. Comment ne pas être conscient que ce type de situation constitue le quotidien des personnes sans-papiers et des personnes "racisées" ? Comment assumer qu’on leur a rajouté encore une couche de dégoût, de déception, de sentiment de trahison ?
N’avons-nous pas pour obligation de créer un contexte attentif à ce type de réalités, et de tenter de compenser cette situation en créant nos propres espaces de vie ?
Nous exigeons une évaluation de ce qui s'est passé, et une remise en question de ces comportements, pour ne plus reproduire des situations qui excluent les personnes premières concernées, et les détruisent un peu plus, alors que nous sommes supposés les soutenir.

Sarah Mie (sur Facebook)

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UNE SORTIE ET DES SORTEURS : UNE SOIRÉE HONTEUSE par Sarah Mie (sur Facebook)

Hier soir, avec quelques ami.es, dont trois sans-papiers et une personne “racisée”, nous décidons de sortir ensemble. Le jour précédent, nous avions appris, encore une fois, une mauvaise nouvelle concernant la trahison d’Etat suite à leur grève de la faim de 2021 : selon l’Office des Etrangers, une sur six des personnes ayant fait la grève de la faim ont reçu une réponse positive à leur demande, donc cinq sur six une réponse négative.
Les ami.es sans-papiers considèrent que c’est encore une preuve de l’échec de leur lutte et de la trahison de l’Etat. Cette nouvelle à fortement touché plusieurs de nos ami.es sans-papiers qui avaient participé à cette grève. On a donc décidé de sortir ensemble pour se changer la tête, pour ne pas rester chez soi et déprimer dans son coin (précaire).

On démarre la soirée dans un bar, on discute de ce qu’on veut faire. On décide, de manière explicite, d’aller dans des endroits où on ne risque pas de se confronter à des sorteurs qui font le tri sur base du facies et de la couleur de peau. On démarre au “Café Central”. On entre de manière dispersée, l’un voulant fumer une cigarette, un autre voulant déjà commander au bar… D’abord, un ami se fait refuser l’entrée. Heureusement une amie blanche était juste derrière lui et elle a dit qu’il était avec elle.
Le sorteur laisse entrer notre ami accompagné par notre amie blanche. Nous nous installons à l’intérieure, on voit plusieurs personnes visiblement sous influence entrer, sans aucun problème. Un peu de temps après un autre ami sans-papiers veut nous rejoindre au Café Central. Il tente d’entrer, il oublie qu’il a un verre dans la main d’un autre bar. Le sorteur lui refuse l’entrée, pointe son verre. L’ami met directement le verre de côté et demande s’il peut rentrer de cette manière-là, qu’il a des ami.es à l’intérieur.
Pendant tout ce temps, l’ami sans-papiers reste extrêmement calme et souriant, aucune signe d’énervement. Les deux sorteurs lui refusent toujours l’entrée. Pourtant notre ami reste extrêmement poli. A ce moment-là, je décide d’intervenir.
Je dis qu’il est avec moi et que nos ami.es sont à l’intérieure et l’attendent. On lui refuse toujours l’entrée. Je demande les sorteurs sur quelle base on lui refuse l’entrée. Ils pointent vers le verre. Je leur demande pourquoi cela pose un problème s’il le met de côté dehors ? Les sorteurs continuent à lui refuser l’entrée. Je vais chercher de l’aide au bar.
Une barwoman viens à la porte. Je leur demande si c’est parce que notre ami est arabe qu’il ne peut pas entrer. Ils disent qu’ils n’ont pas de problème avec lui mais ce n’est pas un habitué, il est habillé de manière différente… Je demande quels types d’habits posent problème. Ils ne savent pas répondre. Je m’énerve.
On me dit de sortir avec mon ami et que c’est parce que je m’énerve qu’on nous demande de quitter le bar. On décide de tou.tes sortir et de trouver un autre lieu qui veut bien nous accueillir.
Dehors, on décide de partir à la soirée Niemand Is Illegaal. On se dit que là on ne risque pas de subir ce type de traitement raciste. Les deux ami.es qui se sont fait refuser l’entrée au Café Central tentent de normaliser la situation. Ils ont l’habitude qu’on leur refuse l’accès à ce type d’endroits… On leurs dit que ce n’est pas normal.

On arrive à la soirée Niemand Is Illegaal. A l’entrée les sorteurs disent que la soirée est complète. Trop de monde. Les ami.es sans-papiers tentent de négocier en expliquant qu’on nous a refusé partout au centre-ville, et qu’ils sont les personnes particulièrement concernées par cette soirée. Ils sont sans-papiers et ont mené une grève de la faim l’année dernière.
Il n’y a-t-il pas de possibilité de faire une exception, d’organiser des entrées en fonction des sorties, de discuter avec les responsables de la soirée…? Les sorteurs les recadrent de manière brutale. Aucune explication, sauf que c’est plein.
Je décide de téléphoner aux deux organisateurs que je connais et que je considère (considérais ?) comme des allié.es de la lutte des sans-papiers. Le premier me dit qu’il ne peut rien faire et me raccroche au nez.
Le deuxième décide de sortir. Je tente de lui expliquer la situation, que c’est vraiment la goutte qui fait déborder la vase de la soirée, qu’il n’est pas possible de traiter nos ami.es comme les autres personnes qui veulent encore entrer. N’y a-t-il pas moyen de juste faire entrer nos trois ami.es sans-papiers car ils ont mené une lutte extrêmement dure cette dernière année, moi je n’ai pas besoin d’entrer, mais que nos ami.es sans-papiers n’ont pas d’endroit où se défouler, faire la fête, se changer la tête. Et que symboliquement, leur refuser l’accès à une soirée nommée « Niemand Is Illegaal » serait un autre coup trop lourd pour elleux. L’organisateur continue à répéter qu’il ne peut rien faire comme organisateur, que c’est le lieu d’accueil qui décide. Il repart en laissant nos ami.es qui continuent à discuter avec les sorteurs.
Une personne dehors commence alors à crier et à ridiculiser un de nos ami.es qui tente de continuer à négocier avec les sorteurs.
L’ami sans-papier va visiblement mal mais tente malgré lui d’expliciter pourquoi il considère que ce n’est pas une façon d’organiser une soirée pareille.
Là, je m’énerve contre la personne qui ridicule l’amie sans-papier. Je demande à cette personne pourquoi il pense de pouvoir se permettre de se foutre la gueule d’un militant sans-papier qui est visiblement en détresse.
Il nous balance que c’est à cause de nous que lui ne va plus pouvoir entrer à la soirée.
Je m’approche. Je le reconnais de trainer dans ce type de milieu. Je lui demande s’il se rend bien compte de ce qu’il est en train de dire et à qui il s’adresse : une personne concernée par cette soirée qui vit jusqu’à ce jour les séquelles de la grève de la faim de l’année dernière. La personne dit de s’en foutre. Je m’énerve encore plus.
D’autres personnes se montrent solidaires avec nous et tentent une médiation pour calmer la situation. Cela fait un bien de fou.

Puis, la police arrive. Est-ce que c’est les organisateurs qui ont téléphoné à la police ? Est-ce que c’est les sorteurs, du Vaartkapoen VK, qui ont téléphoné à la police ?
En tout cas, les flics se dirigent directement vers l’entrée et demandent aux sorteurs ce qu’il se passe.
Fin de soirée, constat : on est tou.tes mal et dégoutés de notre soirée. On est dehors. On n’a pas d’autres choix que de rentrer chez nous. Une soirée de « fête » qui aurait dû nous permettre d’oublier nos problèmes du quotidien ?
Je suis particulièrement déçue de la réaction des personnes qui se disent solidaires avec la lutte des sans-papiers. Comment ne pas être conscient que ce type de situation constitue le quotidien des personnes sans-papiers et des personnes “racisées” ? Comment assumer qu’on leur a rajouté encore une couche de dégoût, de déception, de sentiment de trahison ?
N’avons-nous pas pour obligation de créer un contexte attentif à ce type de réalités, et de tenter de compenser cette situation en créant nos propres espaces de vie ?
Nous exigeons une évaluation de ce qui s’est passé, et une remise en question de ces comportements, pour ne plus reproduire des situations qui excluent les personnes premières concernées, et les détruisent un peu plus, alors que nous sommes supposés les soutenir.

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