12 octobre 2025
JE T’EMBRASSE PASCAL par Florent Marchet
On s’était croisé au Festival de Bourges en 1987 avec chacun un tour de chant assez (dé)culotté. Cela nous avait un peu rapproché. Puis on s’est très longtemps perdu de vue. Pascal Mathieu vient de nous quitter. Son collègue et ami Florent Marchet nous raconte pourquoi il fut important pour lui (CS).
JE T’EMBRASSE PASCAL par Florent Marchet
Si triste. Pascal Mathieu s’en est allé.
J’aurais bien aimé trouver une vanne, un jeu de mots… mais rien. Seulement de la tristesse. La mémoire en boucle…
J’ai 10 ans. Mes parents reviennent du Printemps de Bourges. Dans leur besace (à l’époque, on ne disait pas encore “tote bag”), un recueil de poésie en forme de sexe masculin. L’acte punk séduit immédiatement le préado que je suis. Le poète s’appelle Pascal Mathieu.
Son spectacle : Pascal Mathieu court à sa perte. Mes parents me parlent d’une gifle artistique, d’une grande révélation du festival. Un chanteur qui, sur scène, boit son alcool dans un bidon d’huile XXL — à l’époque, on ne parlait pas encore de gourdes éco-responsables. Le lendemain, dans la presse, je lis ça : Ce type, dans deux ans, soit il est une star, soit il est mort.
Ni l’un ni l’autre.
J’ai 20 ans, je vis maintenant à Paris. Une émission de Foulquier à la Flèche d’Or (je ne sais plus comment j’avais eu des places). Pascal Mathieu fait la promotion de son premier album, le bien nommé En attendant des jours pires.
Le succès frémissant. Tu passes beaucoup sur Inter, Nougaro t’adoube et loue le poète que tu es. Fin d’émission.
J’aperçois Catherine, une amie de mes parents. Une chance, elle me fait rencontrer le poète punk, en chair et en os.
Une poignée de main, et ledit poète est tout de même intrigué, parce que oui : j’ai lu, et très tôt, son recueil en forme de…
Trois ans plus tard, alors que j’essaye péniblement de vivre de musique, mon manager de l’époque me propose de rencontrer Pascal, qui cherche des compositeurs pour son deuxième album. Quelques heures passées chez lui. Nous devenons vite amis. Je l’admire autant qu’il est drôle — vraiment très drôle, vif, émotif, esthète du verbe.
Les soirées chez lui à Paris sont aussi folles que sa déréliction s’accentue.
Rarement j’aurai autant ri. Pourquoi parle-t-on de l’énergie du désespoir ? Plutôt l’humour du désespoir.
Début 2000, je crois, Pascal retourne vivre à Besançon.
Une fois, je le rejoins. Chez lui, dans son salon jonché de cendriers et de canettes, nous tentons d’écrire ensemble.
Entre un comptoir tardif, une sortie chez ED l’épicier et une boîte de nuit miteuse… nous aurons souvent du mal à terminer les chansons. Mais il me donnera ce texte, Les Grandes Vacances, qui se trouve sur mon premier album. Puis quelques titres sur son deuxième album à lui. Ensuite, nous nous sommes perdus de vue.
Pourquoi ? Je ne sais pas. Mais j’ai su que tu allais mieux, beaucoup mieux.
Une vie de famille, ta compagne Caroline et un enfant, Blanche.
Je t’ai croisé un peu à Besançon — je me souviens d’un Perrier rondelle à la gare. Guère plus.
Des retrouvailles furtives au Théâtre de l’Européen, avec l’amie Catherine.
Vous étiez venus nous applaudir pour Frère Animal.
Une photo floue tous les trois, je n’en ai pas d’autre.
Puis plus rien.
Mais à chaque déménagement, je prenais soin d’emporter, avec la plus grande précaution, tes deux recueils — surtout celui en forme de… Hasard cruel, pensée prémonitoire : je pensais à toi, Pascal, il y a trois jours à peine.
Te revoir, passer un bout de temps avec toi. Ça ne se fera pas.
En ouvrant le recueil à l’instant, je retrouve entre deux pages un mot que tu avais glissé dans ma boîte aux lettres, à l’époque où nous écrivions ensemble. Je vivais plutôt la nuit. Une époque où je rêvais d’avoir une plume aussi saisissante que la tienne. Nous faisions des compétitions de starters — à savoir des débuts de couplets pouvant potentiellement devenir des chansons. Surtout, je relis des phrases d’une force ennuie.
Je t’embrasse Pascal, et j’envoie toute ma force à tes proches.
Florent Marchet (sur FB)
Il y a comme un air de fête,
les chefs d’État très détendus
font une pause cigarette,
un étendard des étendus.
Mammifères mes frères,
on est sous somnifères.


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