AND THE WINNER IS… par Jean-Claude Englebert-Cahen

Au lendemain du fameux débat du second tour, chaque commentateur y va de son analyse, de ses prévisions pour expliquer en quoi l’un.e ou l’autre a marqué des points.
Ne reculant devant aucun sacrifice, ne nous limitons pas à ce débat, dont nous n’avons d’ailleurs connaissance que par ce qui s’en dit ici et là, mais clamons haut et fort le nom du vainqueur de cette élection.
Avertissement : ne pas tirer de conclusion hâtive, même, précisément, lorsque vous en lirez (des conclusions hâtives).

 
Le grand gagnant est… Emmanuel Macron.
Emmanuel Macron est gagnant parce qu’il n’a rien à faire là. Élu par surprise il y a cinq ans, se faisant passer pour « ni de gauche, ni de droite », alors qu’il était surtout « ni de gauche », Emmanuel Macron a réalisé un parcours sans faute pour finir aux poubelles de l’histoire. Pourtant, il est bel et bien là.
Le nombre de mécanismes sociaux qu’il a démoli laisse pantois. Protection sociale, ISF, prudhommes. Non content de démolir des institutions, il a également démoli des individus. On a arrêté le décompte des éborgnés, estropiés ou tués par les forces dites de l’ordre.
Mais Manu a également envoyé ses sbires sur les plateaux télé pour continuer à bien tasser le débat à l’extrême-droite, pour bien enfoncer le clou de ce qu’il faut « faire quelque chose pour lutter contre ces gens-là ». Après avoir fait en sorte que le débat se déroule sur le terrain de l’extrême-droite pour être certain de pouvoir se poser en « défenseur des valeurs de la République », il apparaît maintenant… pour ça : celui qui va protéger la France, l’Union Européenne, le monde, voire a galaxie tout entière, alors qu’il aurait du être ramené si pas plus bas que terre en tout cas plus bas que son mentor, François Hollande, qui n’a pas osé se représenter.
Chapeau Manu. Après avoir accompli tout cela, le nombre de gens qui y croient est au sommet. Normalement, tout devrait bien se passer pour toi dimanche.

La grande gagnante est… Marine Le Pen.
Il y a cinq ans déjà, Marine Le Pen arrivait au second tour de l’élection présidentielle. On a oublié le concours de circonstances, à commencer par les casseroles grand format que trimbalait le candidat de la droite dite « républicaine », censé remporter cette élection sans même devoir remuer les oreilles. Et puis il y a cinq ans, c’était tellement pas sérieux qu’elle s’est permise de bâcler son débat face à Macron. La seule inconnue était l’ampleur du « vote républicain ».
Aujourd’hui, sans avoir renié les racines Waffen-SS, OAS et cogneur à manche de pioche du Front National, la Le Pen est une candidate comme les autres. Le vote pour elle est totalement assumé, dédiabolisé. On ne se cache plus pour voter à l’extrême-droite, c’est devenu un sujet de conversation comme un autre.
Finalement, un de ses principaux soucis est que la droite dite classique, soit Les Républicains, La République En Marche mais également, avant eux, le PS ont mené une politique qui s’inspire largement de son programme. Cet inconvénient (pourquoi changer alors que tout est déjà là?), mais c’est aussi un avantage puisque cela a permis de finaliser la dédiabolisation.
Bravo Marine, si ce n’est pas toi, ce sera quelqu’un d’autre : à situation inchangée, il y aura un jour un.e Président.e facho en France. D’ailleurs, rien n’exclut que ça ne soit pas toi.

D’autant que le véritable vainqueur, c’est la bêtise, la vulgarité et la vanité.
Et une des conséquences de cette victoire est que la performance des deux, en ce 20 avril, est commentée comme un simple match de foot, sans jamais aborder les horreurs dont chacun des deux candidats est porteur, sans jamais tout arrêter au simple motif, par exemple, que l’un comme l’autre se battent les reins avec une porte-fenêtre des questions environnementales et que ces questions vont forcément peser de manière de plus en plus concrète sur le destin de plus en plus de gens.
Tout le travail de fourmi des scientifiques, le travail des malheureux militants qui s’obstinent à défiler sagement une fois de temps en temps lors de « marche climat », est ramené au rang de moins que du torche-cul par celleux-là même qui se permettent des considérations oiseuses quant aux mérites respectifs des deux débatteurs. Et ça sans même parler des divers massacres sociaux auxquels l’un comme l’autre s’attelleront une fois élu.
La palme de la bêtise, de la vulgarité et de la vanité est sans doute détenue par le papier hygiénique le plus cher du monde, à savoir le journal Libération.
Au lendemain du débat, Libération titre « Toujours pas au niveau » avec une photo de la Le Pen.
J’exècre depuis un bail Libé, ce journal de collabos du régime actuel, mais j’avoue qu’ils ont fait particulièrement fort.
Mais la victoire de la bêtise, de la vulgarité et de la vanité est tellement écrasante que nombre de gens d’une intelligence raisonnable ont cru bon de relayer largement cette « une ».
Franchement, vous vous imaginez face à un peloton d’exécution, qui tire et vous rate. Vous allez dire « Toujours pas au niveau » ? Ou vous êtes sur la chaise électrique et au moment où on branche le jus, les plombs sautent. Vous allez dire « Toujours pas au niveau » ?
Cette bande de sinistres crétins a, en une Une, achevé la normalisation de Le Pen, comme si son principal défaut était de ne toujours pas être au niveau.
Encore bien, parce qu’avec une bande de minables pareils, il ne faudrait vraiment pas grand-chose pour y être, au niveau…
Si, à Libé, vous aviez de la culture et le sens de l’histoire, il faudrait vous montrer une autre Une, celle du lendemain de l’élection de François Mitterrand. Les réactions de la droite à cette élection étaient exactement celle-là : pas au niveau. Trop cons pour avoir le droit de gouverner. Vous n’invoquez pas un argument de gauche. Vous n’invoquez même pas d’argument. Vous vous contentez de faire ce que vous faites le mieux : mépriser, et vous le faites avec la même morgue envers quiconque vous déplaît.
Vous vous croyez malins parce que vous faites rire vos copains, mais franchement, vous ne faites rire qu’eux, et encore, il doit y en avoir qui font semblant. Dans votre titre, pas un mot de fond politique. Sans doute les lecteurs de Libé vont ils dire « ah oui, mais le fond politique était à l’intérieur ». Si c’est le cas, encore heureux. On ne va pas dire merci pour ça !

Mais le vrai gagnant, le vainqueur incontesté de tout ce qui précède, c’est le capitalisme.
Le capitalisme a l’immense avantage sur les cuistres dont mention plus haut de ne jamais si bien se porter que lorsqu’on ne parle pas de lui. Lorsqu’on ne parle pas des vies qu’il brise, lorsqu’on ne parle pas de la planète qu’il consume, lorsqu’on ne parle pas des innombrables crimes qui ont été, qui sont et qui seront commis en son nom.
Tant qu’on ne parle pas de lui, c’est pas lui.
Tant qu’on ne parle pas de lui, aucune analyse de classe.
Tant qu’on ne parle pas de lui, on peut laisser parler ce Florien sur France Inter, qui explique qu’il va voter Le Pen parce que sa femme s’est fait agresser.
Tant Macron que Le Pen sont des tenants du capitalisme. Leurs capitalismes ne sont pas identiques, soit, mais ce sont tout de même des capitalismes, donc des systèmes fondamentalement prédateurs.
Le capitalisme a donc d’ores et déjà gagné parce que le ou la prochain.e président.e français.e sera un capitaliste acharné.
Capitalisme raciste ou capitalisme de la start-up nation, assumé, revendiqué, on verra. Mais capitalisme quoi qu’il en soit.
Ce texte, écrit hors de France, n’a pas pour but de dire quoi faire à qui que ce soit. Il est simplement le résultat d’une totale sidération devant quelque chose qui ressemble à une gigantesque lobotomisation, une dépossession quasi organisée des moyens de pensée collective. Et tout cela dans ce silence qu’affectionne particulièrement le capitalisme…

Jean-Claude Englebert-Cahen

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