UNE AUTRE PATATE

Nous sommes le 13 mars 2023.
C’est la Saint Rodrigue.
Il y a aujourd’hui dix ans tout juste que le pape François s’appelle Pape François. Puisqu’il a été élu le 13 mars 2013.
Au Vatican, on s’affaire donc à préparer la fête nationale. En effet, le jour de la fête nationale du Vatican n’est pas fixe. La date change à chaque nouveau pontife et correspond au jour de sa messe d’inauguration. Actuellement, c’est donc le 19 mars. Passionnant, non ?

Autre chose.

Il y a six ans, le 13 mars 2017, décédait le peintre, dessinateur, écrivain, homme de radio, Henri Cueco. Il avait 88 ans.
Associée au mouvement de la figuration narrative, son aventure picturale, littéraire, et malicieuse, aura été, tout à la fois, poétique, politique, provocatrice et humoristique.
Le dimanche midi, sur France-Culture, pendant trois décennies depuis les années 80, à l’heure où les familles mangeaient le gigot chez belle-maman, les férus de non-sens, d’érudition et de dérision écoutaient les « Papous », avec leurs jeux oulipiens et leurs manipulations littéraires, contrepèteries, calembours et pastiches en tous genres. Il y avait Hervé Le Tellier, Jean-Bernard Pouy, Serge Joncour, Vassilis Alexakis, Gérard Mordillat, Patrice Minet, et bien d’autres… (Au passage, jetons l’opprobre sur ceux qui ont choisi de supprimer cette émission. Et souhaitons que la crotte leur colle au cul jusqu’à le fin des temps ! Voilà, c’est dit !).
Henri Cueco était capable d’expliquer comment peindre un petit pois, de dévoiler une lettre inédite de Mozart à Tino Rossi, aussi bien que de recueillir les confidences d’une paire de charentaises racontant leur vie au quotidien, voire d’écrire au lombric de son jardin pour l’enjoindre à ne pas traverser la route : « … mon petit lombric, arrête ta folie, si une lombrinette t’attend de l’autre côté de la route, je te l’apporterai à domicile ».
Né d’un père espagnol et d’une mère française, Cueco avait commencé sa carrière artistique en participant en 1952 au Salon de la Jeune Peinture. Assez vite, il développera une peinture figurative marquée à la fois par son engagement politique attaché à la nature, et ses préoccupations sociales, non sans distanciation et humour.

À partir de la fin des années 1950, Cueco peint des séries. Sa réflexion sur l’image et son évolution idéologique génèrent les cycles de son travail : Paysages, Natures mortes, Portraits, Rivières, Salles de bains, Jeux d’adultes, Hommes rouges…
Il travaille régulièrement d’après des photos trouvées la presse : figures découpées, aplats de couleur, pointillés, rayures…
En 1977, il participe, avec Ernest Pignon-Ernest, à la création du Syndicat national des artistes plasticiens et en 1979, il fonde dans son Limousin natal, l’association “Pays-Paysage” dont la vocation est de faire se croiser les regards et les savoirs de différents protagonistes de la société, artistes, habitants, agriculteurs, musiciens, scientifiques…
À l’Université Paris VIII, ainsi qu’à l’École Nationale des Beaux-Arts de Paris, où il enseigne, Henri Cueco se montre assez critique à l’égard de courants d’art contemporain comme le minimalisme ou l’art conceptuel, qu’il considère comme un nouvel académisme.
« Aujourd’hui on ne se met plus face à un objet pour le dessiner ou le peindre, on fait de la peinture en partant de l’histoire de l’art. J’ai placé une pomme de terre sur mon bureau et j’ai fait 180 petits tableaux que j’ai appelé des portraits de pomme de terre. »

Comme Picasso a eu ses périodes bleue et rose, Magritte, sa période vache, Cueco a eu sa période patate : un an et demi à peindre des patates. Expérience, selon lui, d’une grande difficulté. Il en a même fait un livre, « Journal d’une pomme de terre » (éd. École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, 1993) dans lequel il développe “l’expérience de ce rapport à un objet banal”.
« Pour peindre ? il faut être stupide et intelligent d’une manière plus intelligente que celle de la parole. Il faut l’intelligence du silence et la puissance vitale permanente, celle qui fait qu’un champignon frêle soulève l’asphalte. » (Henri Cueco, Journal d’une pomme de terre)
Henri Cueco portait sur la peinture un regard original s’efforçant, avec ce qu’il appelait ‘’un léger strabisme divergent’’, d’explorer la figure humaine et le lien étroit qui l’unissait à la nature.
En 1980, “Le pré au Pouget” fait partie d’un long cycle de travaux sur le paysage : tout près de son atelier, Cueco observe méticuleusement un coin de nature et dessine les lignes des herbes, leurs entrelacements, les arabesques des graminées, les mouvements infinitésimaux des plantes, le sec et l’humide, un foisonnement sans hiérarchie. Il note : « On est saisi (on l’est souvent dans le paysage limousin) par une vision circulaire de l’espace. Il vous enserre, vous oblige à tourner sur vous-même. On est cerné. »

Peintre et observateur affuté, Cueco était également un écrivain connu pour son humour qu’il distillait dans de nombreux textes : «Comment grossir sans se priver» (éd. Frank Bordas, 1997) ; «Discours inaugural du centre national de la faute d’orthographe et du lapsus» (Daily-Bul, La Louvière, 1998) ; «Le Troubadour à plumes» (éd. François Janaud, 1999) ; «L’Inventaire des queues de cerises» (Seuil, 2000) ; «Dessine-moi un bouton» (Seuil, 2000) ; «L’invention du slip-chiffon. Hommage au marcel» (Daily-Bul, 2004) …
Il est aussi l’auteur de « Dialogue avec mon jardinier » publié en 2000 et adapté au cinéma par Jean Becker, en 2007.
À propos de ce qu’il peint, de ce qu’il écrit, de ce qu’il pense, Cueco dira : « J’ai beaucoup écrit ou travaillé sur le rien, le presque rien ; et ce beaucoup qui n’était autre que presque rien, peu de chose, me comble. Il m’arrive souvent de rêver à cet incomplet, à cet incertain. Et pourtant j’y trouve du sens, du certain, du plein, là où l’on pouvait croire qu’il n’y avait que du vide. »
Toujours actif et toujours ironique, Henri Cueco est aussi toujours créatif.
En 2004-2005, il expose des « reprises » de tableaux de Poussin et de Philippe de Champaigne ; cette exposition s’intitule « Entre vénération et blasphèmes. » Cueco respecte et admire la création des peintres, mais il aime toujours s’amuser.

En 2006, découvrant le catalogue de l’exposition Paul Cézanne au musée Granet, lui apparait immédiatement la nécessité de revisiter l’œuvre du maître. Il plonge alors dans l’univers de Cézanne et, sans le copier, prolonge son regard et propose d’aller voir derrière le tableau.
Selon Cueco, Cézanne trouverait des problèmes « en termes dialectiques, c’est-à-dire que chaque avancée est posée avec sa contradiction ». Cueco perçoit alors la victoire de Cézanne au cœur d’un ratage. Cueco commente : « Cézanne peint la Sainte-Victoire comme un corps dénudé. Les formes sont allusivement celles d’un corps. Elles le fascinent, il y revient comme à un rendez-vous. Il n’y arrive pas. Et justement parce qu’il n’y arrive pas, il y revient… Il y revient parce qu’il n’y arrive pas. » L’exigence de Cézanne serait peut-être un gouffre de contradictions. Les doutes seraient permanents…
Ce qui caractérise Cueco au-delà de son sujet, c’est à dire Cézanne, c’est cette analyse de l’image qui nous emmène dans l’inconnu. Il ne fait pas œuvre de savoir-faire, il fait œuvre de non-savoir” , soulignera Evelyne Artaud, commissaire de l’exposition “L’éloge à Cézanne”.

Tout à fait autre chose.

Puisque nous fêtons aujourd’hui les Rodrigue, c’est l’occasion d’honorer le plus célèbre d’entre tous : Don Rodrigue, le Cid, illustre héros de Corneille.
On écoute la fameuse tirade de l’acte IV, scène 3, mise en musique par Francis Blanche.
Dans cette tirade, Rodrigue fait un récit à son auditoire, il va leur raconter la bataille qu’il vient de gagner.

André Clette

NDLR : Retrouvez tous les jours André sur sa page “Facebook”.

 

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