VISA POUR LA HONTE par Patrick Dupriez

L’ASBL SLAMEKE organise la tournée AfroSlam2023 durant ce mois de mai : une tournée de jeunes slameurs, poètes africains engagés et talentueux.
C’est l’artiste d’origine bruxelloise Gioia Kayaga Joy Slam qui porte ce projet culturel pour relier la Belgique et l’Afrique, pour permettre à des Africains de venir sensibiliser les Européens, pour une meilleure compréhension du monde dans lequel ils vivent…

Un festival soutenu financièrement par le Bureau International de la Jeunesse et l’appel à projet “Matongray” de la commune d’Ixelles.
Le programme est bouclé, les contrats signés, les salles louées, la publicité lancée, les partenariats noués, les vols sont réservés pour ce dimanche car la tournée commence lundi.
Mais voilà, les artistes ont besoin d’un visa.
Les demandes sont introduites dans les différents payse (RDC, Rwanda, Burundi, Niger). Les artistes ont remis leur demande de VISA dans les temps, ont soumis les documents nécessaires, contrat de travail, fiches de salaire etc.
Les semaines passent. L’Office des étrangers est contacté et recontacté mais refuse de répondre.
Et puis le refus tombe. Tard, si tard qu’aucun recours n’est plus possible, que les protestations deviennent inutiles.
Parfois, aucun motif n’est indiqué pour justifier le refus. L’arbitraire.
Parfois il est écrit « il existe des doutes raisonnables quand à votre volonté de quitter le territoire avant l’expiration de votre visa ». L’arbitraire aussi.

Et puis cette suffisance, cette condescendance, de celui qui ne peut imaginer qu’un artiste, un académique, un chercheur, un parent… puisse venir d’Afrique vers l’Europe sans autres motifs qu’y rester.
La Belgique cultive paradoxe et découragement sur fond de racisme.
C’est un pays où l’on peut, d’une main, subsidier un projet de tournée d’artistes et de l’autre le rendre impossible en refusant l’accès à son territoire.
Un pays qui fait des appels à projets autour de l’interculturalité, de la diversité, de la décolonisation… mais qui refuse que des jeunes africains viennent sur son sol pour réaliser ces projets.
Un pays dont l’Office des étrangers se moque de l’argent dépensé (préparation, assurances, billets, logement…) et du temps, de l’énergie, de la créativité investie.
Un pays qui traite chaque jeune africain, même diplômé, compétent, motivé, travailleur, talentueux comme une menace. Gaspillage et gâchis…

C’est le choc pour le AfroSlam2023, pour Joy, pour les artistes.
Mais combien d’autres témoignages ? Combien de spectacles et de concerts décapités car les artistes africains n’avaient pas reçu de visa ? Combien d’étudiants refoulés, de colloques universitaires privés d’intervenants africains pour la même raison ?
C’était un de mes espoirs au termes de la commission parlementaire sur le passé colonial: que soient facilité les échanges et les coopérations entre la Belgique et ses anciennes colonies grâce à une autre politique de Visa, qui traiterait de façon respectueuse et égalitaire les demandeurs.
Hadja Lahbib, Nicole de Moor, il n’est jamais trop tard pour tirer notre pays de la suffisance où il mijote et faire le choix du respect et de l’ouverture.

Patrick Dupriez (sur sa page Facebook)

Une des activités qui étaient annoncées

UNE VITRINE POUR CACHER SA CRASSE par Joy Slam

LETTRE OUVERTE. De mon côté je suis débordée à cause de ces tristes nouvelles qui chamboulent tout mon programme mais merci de taguer des médias belges, d’envoyer a des journalistes, de partager partout où ça peut trouver de l’écho. J’ai besoin de soutien.

Belgique : pays schizophrène profondément raciste se donnant une image de tolérance. 

Il y a plus de deux ans, j’ai quitté la Belgique pour m’installer dans la région des Grands Lacs… mais l’idéaliste que je suis souhaitais garder encore un pied dans son pays d’origine avec notamment des projets culturels pour relier la Belgique et l’Afrique, particulièrement ses anciennes colonies. Une façon pour moi d’aider mon pays à évoluer vers plus de justice. Je voulais contribuer à créer des échanges, de la réflexion commune, de la remise en question. Si j’ai une conviction c’est qu’il est temps d’arrêter d’envoyer des jeunes belges dans des “voyages humanitaires” leur donnant bonne conscience et ne changeant absolument rien aux inégalités systémiques basées sur l’exploitation, le mépris, le racisme et surtout l’ignorance.

Des jeunes belges qui une fois rentrés chez eux reprendront généralement leur vie de privilégiés en plaignant ces “pauvres petits africains”, avec un sentiment de supériorité renforcé et sans garder aucune connexion avec le continent qui les a accueillis. Ce en quoi je crois au contraire, c’est qu’il est temps de permettre aux africains de venir éduquer et sensibiliser les Européens sur de nombreux sujets car ces jeunes européens ont eux aussi gravement besoin d’une éducation plus humanitaire ; d’une meilleure compréhension du monde dans lequel ils vivent et des responsabilités de leurs pays respectifs dans l’état de ce monde. Inverser le paradigme qui voudrait que ça soit forcément au Blanc de venir aider ou éduquer le Noir, tout en offrant à des Africains qui ont des messages forts à faire passer une tribune et une possibilité de découvrir le monde dans lequel ils vivent.

C’est pour cette raison que j’organise et porte à bout de bras en y consacrant énormément de temps et d’énergie, une tournée de jeunes slameurs, poètes africains engagés et talentueux. En ce mois de mai 2023, la 3ème édition devait avoir lieu… Les artistes ont remis leur demande de VISA dans les temps, ils ont soumis tous les documents nécessaires, certains ayant un contrat de travail dans leur pays, des fiches de salaire etc… Ils ont tous été soit refusés sous prétexte qu’il n’y avait pas de garanties que l’artiste rentre dans son pays après la tournée (à part en lui faisant faire cette tournée avec des menottes aux poignets ou un boulet au pied… comment pourrais-je apporter des garanties suffisantes ?) ; soit la procédure a été volontairement ralentie pour que l’artiste n’ait reçu aucune réponse à sa demande le jour de son vol.

Je tiens à le préciser, je parle ici de la Belgique en tant qu’État, je ne pointe pas les individus dont beaucoup dans le secteur culturel et associatif ont ouvert grand les bras à mon projet et à l’accueil des artistes africains invités. Mais les individus ne sont rien face à l’énorme machine institutionnelle. L’Office des étrangers se moque bien de jeter par la fenêtre l’argent des autres instances étatiques et de ruiner vos projets, des mois de travail… nombreux le savent, certains belges l’ignorent, s’en moquent ou se réjouissent que l’on traite les gens de manière inhumaine et sans aucun respect. Moi je ne peux ni accepter, ni me taire.

La Belgique c’est ce pays capable de vous donner avec une main 12 500€ pour l’organisation d’une tournée d’artistes africains, et avec l’autre main de vous refuser les VISA des trois artistes invités pour cette tournée ; jetant ainsi 5 000€ de billets d’avion, assurances, logement etc… à la poubelle. De l’argent public.
La Belgique c’est ce pays qui fait des appels à projets autour de l’interculturalité, de la diversité, de la décolonisation… mais qui refuse que des jeunes africains talentueux ne viennent passer trois semaines sur son sol pour venir réaliser ces mêmes projets. La Belgique c’est ce pays qui s’écroulerait sans immigration ; c’est ce rythme de vie inhumain dans lequel la plupart des gens n’ont ni le temps ni l’énergie de faire des enfants ; cette population vieillissante qui n’est renouvelée et dont les retraites ne sont payées que grâce aux étrangers sur son sol, souvent prêts à travailler là où aucun belge ne le souhaite, ou prêts à se faire exploiter par la bourgeoisie sans contrat… mais c’est surtout ce pays qui continue à traiter chaque jeune africain, même diplômé, même motivé, respectueux, travailleur, talentueux comme une terrible menace.

La Belgique est un pays profondément raciste qui n’évolue pas, qui me donne envie de vomir et dans lequel je me promets aujourd’hui de ne plus monter de projets. Mes derniers espoirs, mes dernières forces ont été balayés. Ado, je croyais que le racisme et les discriminations n’étaient dûes qu’à de vieux reliquats imprégnés d’un passé de colons ou de collabo qui allaient vite disparaître, remplacés par une nouvelle génération plus éduquée, plus sensible, plus intelligente, plus humaine. J’ai compris avec les années que c’était exactement le contraire qui se produisait avec l’avènement d’une jeunesse encore plus agressive, bête et intolérante que ses Pères. Au lieu de renoncer à mes convictions, j’ai pensé qu’il était de mon devoir en tant qu’enfant de l’immigration et du métissage de me battre. J’ai pensé contribuer à quelque chose : l’ouverture des esprits, l’information autour de la colonisation et des relations nord-sud, la rencontre multiculturelle, l’échange égalitaire… J’ai compris que tout cela n’était que de la poudre aux yeux, un spectacle qu’on préfère jouer sans laisser aucun rôle aux personnages principaux : les jeunes issus de ces pays qu’on a colonisé, et dont les entreprises occidentales continuent à exploiter les ressources et les hommes sans remords.

J’ai travaillé pendant près d’un an pour préparer cette tournée : j’ai rempli des dossiers, obtenus des financements, trouvé des partenaires, établi un programme enrichissant tant pour les artistes invités que pour le public… Tout ce travail a été balayé, méprisé, jeté à la poubelle. Une fois de plus je me sens personnellement et dans mes idéaux profondément rejetée et je ne continuerai plus à tendre une main que les Institutions refusent de saisir. Je dois bien ça à ce coeur que mon pays a brisé à répétition. Je laisse la Belgique à son racisme et à son manque d’éducation, c’est désormais dans les Grands Lacs et pour les Grands Lacs que je mènerai chacune de mes actions, sans plus d’espoir pour le Nord de ce monde en perdition. J’ai besoin de vivre dans des lieux où un étranger est quelqu’un qu’on se doit d’accueillir, de respecter ; où on s’intéresse à l’autre ; où il est encore possible de se rencontrer, d’échanger, de penser et de créer ensemble. Beaucoup en lisant cet article se diront “tant mieux, que cette petite ingrate dégage” et c’est grâce à chacun d’entre eux que je peux partir le coeur léger, sans regret ni tristesse. Ce que je laisse ici est triste, moche, déjà mort. Je choisis la vie.

Joy Slam (sur sa page Facebook)

1 Commentaire
  • Olivier Pulinckx
    Publié à 11:18h, 01 mai

    J’ai honte, honte pour mon pays. Je veux partager, divulguer, dénoncer, faire en sorte qu’un maximum de gens soient au courant de la manière dont l’Office des étrangers agit. Ce mépris, cette suffisance sont intolérables. Je partage la publication de Patrick Dupriez et la lettre ouverte de Joey Slam

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