
14 juin 2025
RENCONTRE : L’HANGARE À THIVIERS
La petite ville de Thiviers, dans le Périgord Vert, dispute à sa voisine Sorges le titre de “capitale de la truffe“.
S’il y avait bien une dame qui vendait quelques “truffes d’été” sur un étal de fortune, au marché de ce samedi matin, n’allez pas croire pour autant que ses habitants croquent de la truffe comme cerises en juin.
D’ailleurs, la saison de la truffe, c’est en hiver. Les truffes d’été n’ont à vrai dire ni nez, ni goût, mais on trouvera toujours un touriste un peu benêt, comme moi, pour s’acheter une pépite noire à 7 euro la portion, et se la jouer Brillat-Savarin en râpant une peu de sciure vaguement parfumée sur des oeufs brouillés.
Non, s’il y a une “denrée” typiquement régionale, ce serait plutôt le canard – dont on croise des élevages un peu partout dans les campagnes – pour peu qu’une récente grippe aviaire n’en ait pas subitement décimé les rangs.
On le consomme en magret, en confit ou en foie gras – si l’on n’a pas déjà soi-même renoncé à cette délicieuse mais barbare habitude. Je vous conseille donc plutôt les carcasses, que l’on vous vendra l’hiver pour quelques euros eu “marché du gras” (ah! ce nom… !) – et qui pourra servir de base aux meilleures soupes.
Mais je m’égare. On sait que la France est un “pays de bouche”, que chaque région décline autour de ses propres merveilles. Je n’étais toutefois pas là pour vous parler de truffes et de canards, mais pour vous parler de culture et de rencontres…
Quand on arrive à Thiviers par la route de Limoges, sur la N21, au premier rond-point en entrant dans la cité, une rue à droite vous conduit directement à la Gare. Elle grimpe ensuite tranquillement vers la place de la Poste dans un environnement qui est resté longtemps un peu ingrat. Des commerces fermés, des maisons sans fenêtres, des murs de soutenement aveugles. Une friche industrielle qui traîne ses bâtiments abandonnés autour du grand entrepôt de l’ancienne gare de marchandise. C’est du moins comme cela que je l’ai connue pendant une quinzaine d’années.
Le grand bâtiment central – un dépôt de l’ancienne gare de marchandise – a aujourd’hui été complètement rénové pour devenir un lieu de rencontre lumineux et accueillant, avec café-restaurant-bibliothèque, grande salle d’exercice avec plancher en bois, un espace de co-travail, des bureaux et un grand hall couvert en extérieur. Le tout respire le soucis de “bien faire”.
Il y a du savon, un essuie-main et même du papier toilette à la sortie des WC (celleux qui fréquentent les “lieux alternatifs” apprécieront 😉 ).
Le long du trottoir, un panneau interpelle aujourd’hui les passants : “Le café est ouvert !“. On peut y manger cinq jours par semaine, à midi, un plat du jour “maison” et goûtu à 8 et 12 euros.
Ce projet est né du rêve d’un couple de Belges néerlandophones, originaires de Louvain, installés dans la région depuis une trentaine d’années : Kris et Annemie.
De leur ancien métier de “consultants” internationaux, ils ont gardé un certain savoir-faire pour “monter des dossiers” et animer des équipes. Ils se sont vite entourés de “régionaux de l’étape”, et leur projet s’est aujourd’hui singulièrement “collectivisé”.
Dans le “noyau de base”, il y a aussi Brigitte, que j’ai connue comme directrice de la Médiathèque de Thiviers – où j’allais chaque semaine emprunter gratos pour mes gamins une dizaine de BD et des films pour enfants.
J’ai interviewé pour vous Annemie et Brigitte – car même si vous habitez en Bretagne ou dans le Brabant Wallon, les problèmes que l’on rencontre en montant ce genre de projet restent je crois fondamentalement les mêmes partout.
Claude : J’ai lu dans votre présentation que le “HanGare” se présentait comme un “tiers-lieu” – un nom que j’ai déjà vu utilisé en France, mais dont j’ignore la signification précise. Cela évoque évidemment une “triangulation” entre deux autres choses… mais entre quoi et quoi ?
Annemie : Un lieu entre la maison et le travail – un endroit où l’on peut se rencontrer, mais aussi travailler. Ils ont souvent, comme chez nous, un espace de “co-working” – c’est à dire de “co-travail”, comme tu disais tout-à-l’heure.
Avec une connexion Internet, ce qui est bien pratique pour ceux qui vivent en “zone blanche” (= sans réseau) – ou pour rencontrer des gens, et ne pas bosser tout seul dans son coin toute la journée. Il y a chez nous des gens “à demeure”, qui sont là un ou plusieurs jours par semaine, et puis d’autres, de passage, qui “profitent” simplement du réseau internet dans le café, puisque l’ordinateur “en réseau” est aujourd’hui indispensable à de très nombreuses activités.

Un bar sans alcool : pas courant dans la région !
Brigitte : “Tiers-lieu”, c’est une appellation un peu “administrative”, avec laquelle on galère d’ailleurs parfois, parce que beaucoup de gens, comme toi, en ignore le sens précis. C’est la traduction littérale de l’anglais. On peut définir plus simplement le “HanGare” comme “un lieu de rencontre”.
Annemie : Plus que l’espace de travail, c’est cela l’essentiel pour nous : être un lieu de rencontre pour les habitants du quartier et de la ville – un lieu où l’on peut prendre un thé ou un café, manger un bout, discuter ou participer à l’une ou l’autre activité. Celles que nous organisons nous-mêmes, comme celles que nous “hébergeons”.
Brigitte : C’est une pépinière, les gens entrent, apportent ce qu’ils ont envie d’y apporter… et puis ça pousse !
Claude : Le café et le restaurant sont très chouettes, je les ai “essayés” hier. Avec une “surprise du chef” : on ne sert pas d’alcool au bar, ce qui, dans la région, est pour le moins original. Généralement, dans le coin, c’est plutôt l’inverse : bière ou pinard et rien d’autre ! (rires). C’est pour une “bête” question de coût de patente, ou c’est un véritable “choix” philosophique ?
Annemie : On est peut-être précurseurs dans la région, parce que dans beaucoup de grandes villes, on trouve aujourd’hui des lieux sans alcool (… et parfois aussi sans téléphone !). C’est vraiment un choix des “porteurs du projet”, qui ont connu dans leur vie des drames liés à l’alcool, des décès, des accidents de voiture…
Ici, tu es à la campagne, et tu dois souvent faire 10 ou 20 kilomètres pour rentrer chez toi. Ce qui qui signifie concrètement que, dans la plupart des événements festifs, beaucoup de gens rentrent chez eux un peu bourrés (et même parfois complètement torchés). Cela nous semble donc important de montrer qu’on peut aussi s’amuser et échanger sans consommer d’alcool. Et d’être aussi un lieu où l’on peut aborder ce sujet. C’est paradoxal, mais c’est comme ça : le fait qu’il n’y ait pas d’alcool crée beaucoup d’échanges… autour de l’alcool !

Ne pas travailler seule dans son coin.
Claude : … Et de fait, c’est ce que nous sommes en train de faire ! (rires). Ce que j’aime bien, pour ma part, c’est que cela permet aussi de découvrir d’autres boissons. Hier, j’ai bu un thé que je ne connaissais pas…
Annemie : Oui, il y a par exemple le Kombutcha, une boisson exotique fermentée pétillante et rafraîchissante, ou plus classiquement la “Ginger-beer”. Il y a un super producteur local qui en produit de différentes sortes.
Brigitte : La brasserie locale, Champdoré, s’est aussi mise à faire parallèlement une limonade fermentée à base de fleurs de sureau. Il y a également un projet de bière sans alcool, mais qui n’a malheureusement pas encore abouti.
Claude : C’est marrant, la limonade de sureau, ma voisine Annie m’en a fait goûter avant-hier. Elle le fabrique elle-même, et c’est effectivement délicieux. Bon, revenons à votre projet. Au départ, il y a donc le “rêve” d’un couple de Belges néerlandophones, Kris et toi, Annemie, qui habitent dans la région depuis près de trente ans. C’est vous qui avez acheté ce vieux bâtiment industriel pour en faire un lieu de rencontre. Avant de devenir ce projet plus “collectif”, si j’ai bien compris, c’est donc au départ une forme de mécénat ?
Annemie : Oui, l’achat du bâtiment et le “gros-oeuvre”, c’est du mécénat. Après, on a eu le soutient de la région et de l’Europe pour l’aménagement proprement dit et la mise en route du projet, avec des artisans locaux et des bénévoles, avec aussi des chantiers participatifs. C’est assez dynamique, comme co-construction, entre le mécénat, de l’argent public, plus la motivation et l’engagement de tout un collectif.

Un “Ciné-Philosophique”
Claude (à Brigitte) : Toi, tu es “la régionale de l’étape”, même si au bout de trente ans, Kris et Annemie le sont devenus un peu aussi. Mais la France est un territoire où les gens circulent finalement beaucoup Quand tu es fonctionnaire, postier ou enseignant, tu peux être nommé à 500 kilomètres de chez toi. Dans mon village, parmi mes voisins proches, il y a des gens qui viennent de Bretagne, de Paris, du Mans, de Marseille. La distinction entre ceux qui sont “d’ici” et “pas d’ici” est finalement assez poreuse, et plus complexe qu’il n’y parait au premier abord. Plus évidemment, dans cette région particulièrement, beaucoup d’Anglais, de Hollandais,… et quelques Belges. Comment s’est passé cette “greffe” multiculturelle autour de ce projet-ci ?
Annemie : À l’intérieur de l’équipe, il y a un bon équilibre, je trouve, entre “jeunes” et “plus anciens”, entre “Français” et “étrangers”. Mais avec le public au sens large, les contacts avec “les gens du cru” doivent encore se développer.
Par définition, quand tu nais et grandis dans une région précise, tu as déjà ton propre réseau de relations sociales.
Je crois que cela vient de là : ils n’ont pas eu besoin de nous pour se “rencontrer”, ils se connaissent déjà, entre familles et amis, et développent ensemble tout un réseau d’activités.
Le “lieu de rencontre”, c’est chez eux, ou chez les voisins, le dimanche après-midi.
Pour le moment, nous avons donc une grande proportion de “nouveaux arrivants”, parce quand tu débarques dans une région, tu es tout seul, que tu sois jeune ou plus âgé, et dans ce cadre-là, un lieu comme le “HanGare” est évidemment une bénédiction pour rencontrer de nouvelles personnes et pour participer à des projets communs.
Dans notre Collectif, il y a par exemple Laurence et Stéphane, qui étaient profs dans des lycées français un peu partout dans le monde, et qui ont choisi Thiviers pour la beauté de la région, le climat et l’accès par train. Mais ils ne connaissaient personne dans la région. Le Collectif, c’est parfois devenu une deuxième famille.
Claude : Cela concerne combien de personnes, parmi les adhérents actifs ?
Brigitte : Le “noyau dur”, c’est huit personnes, plus une quinzaine de personnes autour qui prennent des responsabilités dans l’encadrement des activités, comme tenir le bar ou donner un coup de main lors de grands événements. Moi-même, quand je suis arrivée dans la région, j’ai d’abord participé à des activités principalement culturelles avec des gens qui, eux-mêmes, venaient d’ailleurs.
Claude : Tu venais d’où, toi ?

Un “menu spécial” à l’occasion d’un événement. Le “plat du jour” est aussi délicieux, mais plus modeste ;-).
Brigitte : De Paris, mais j’avais aussi des attaches familiales dans la région. Ici, les “gens du cru” gardent encore parfois une certaine distance, mais ils ne sont pas du tout hostiles. Les gens me semblent plutôt curieux et ouverts. Il faut je crois laisser du temps au temps pour que le lieu peu à peu prenne toute sa place dans la ville. Nous organisons par exemple un vide-grenier la samedi 14 juin, “Friches en Fête”, en partenariat avec d’autres gens du quartier, et pour certains, ce sera certainement l’occasion de pouvoir inscrire le lieu dans leur géographie personnelle de la ville. À la fin du mois, le 20 juin, il y aura aussi un concert de Bacano Banda (fanfare festive).
Claude : Il y a une certaine dynamique de projets dans le quartier autour de vous, puisqu’il y a maintenant un Magasin des producteurs qui occupent le bâtiment voisin (le Gare d’Manger), une “recyclerie” juste en face de chez vous (la Récréathiv ) et un opticien qui est en train d’ouvrir une boutique juste à côté. Tout ce côté de la rue, que j’ai connu comme une vieille friche industrielle, est en train de reprendre vie. Et puis à cent mètres, tu as aussi le Chat Pline, un café associatif et musical, qui est en train de retaper un ancien cinéma pour en faire un théâtre !
Annemie : Oui, et ce qui est le plus surprenant, c’est que tous ces projets se sont au départ montés indépendamment les uns des autres.
Brigitte : Il y a une dynamique extraordinaire avec les trente/quarante ans qui sont arrivés en masse un peu avant le confinement et surtout après.
Claude : Une espèce de “revival” du retour à la terre des années ’70 ? C’est vrai que les gens ont vécu “le confinement” en ville de façon tellement horrible que pas mal de gens ont décidé de reconsidérer leur habitat et leur travail sur des bases complètement différentes.
Annemie : Je vois aussi un paquet de jeunes qui ont fait des études, mais qui veulent une vie plus simple, plus proche de la nature, et qui cherchent une activité qui ait du sens pour eux.
Brigitte : Il y a des collectifs qui se regroupent un peu partout dans les villages aux alentours, qui ouvrent une guinguette, qui font du théâtre, qui vont réparer des vélos et des voitures, qui font du maraichage… Il y a une vraie dynamique.
Claude : J’ai vu que vous organisez régulièrement divers ateliers ? Ce matin, il y avait par exemple un cours de Qi Gong et un atelier de fabrication de meubles recyclés fabriqués avec des palettes en bois…
Annemie : Oui, il y a même une grosse demande parmi les “animateurs de stages”. Mais il ne suffit pas d’avoir une salle et de faire un peu de promo commune pour trouver des participants payants. Pour le moment, on pêche un peu tous dans le même étang. Un public, cela se construit aussi.
Claude : J’ai lu que votre objectif était d’arriver assez rapidement à une certain “auto-financement” du lieu. Dans ce contexte, quel est votre “business-plan” pour arriver à ce résultat ?
Annemie : Bon, c’est moi qui suis responsable des sous. La première année, où il y avait de gros investissements à faire, on a commencé avec un soutien financier de la Région et de l’Europe : 150.000 euros en tout, avec lesquels on a pu payer deux salariés 24 heures par semaine. Cela, c’était pour le “boost” de départ.
Maintenant, pour la deuxième année, il existe aussi en France des “espaces de vie sociale”, et la CAF…
Brigitte : … La Caisse d’Allocations Familiales…

Les activités.
Annemie : C’est ça… doit favoriser de tels lieux sur l’ensemble du territoire. Or un tel espace manquait manquait à la Communauté des Communes autour de Thiviers. On a monté un dossier, on la défendu, et on a obtenu l’agrément de l’Han-Gare, qui a ainsi obtenu une aide financière de 27.000 euros par an.
On a ainsi pu conserver un de nos deux salariés. Et au départ de cela, cela donne une base pour continuer à développer le projet avec le Café, avec le Resto (Leslie, qui fait à manger, est indépendante), le co-working, le loyer du Magasin des Producteurs (pour le moment, ils ne payent rien, car ils ont payé la restauration du lieu, mais dans trois ans, cela va commencer à “rapporter” aussi), la location des salles pour les activités… Bon, ce sont toutes de petites sommes, mais mises ensemble, cela commence à faire un budget. Avec tout ça, je pense qu’on va pouvoir payer un ou deux mi-temps supplémentaires.
Claude : Y a-t-il un volet spécifiquement culturel ?
Brigitte : De temps en temps des concerts, de temps en temps des conférences…
Annemie : Hier soir, il y avait un “ciné-philo” animé par un prof du lycée voisin, et qui souhaiterait reproduire la chose… Mais enfin, le volet culturel n’est pas notre projet principal.
Brigitte : Il y a aussi tout le volet “transition écologique” que nous souhaiterions développer d’avantage, en encourageant l’autonomie, les économies d’énergie, la mobilité douce…
Propos recueillis par Claude Semal au début du mois de juin 2025.
https://www.facebook.com/hangarethiviers/?locale=fr_FR
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