UN ÉTÉ CULTUREL GRATUIT ET UNE BOUDERIE (PAYANTE) par Bernard Hennebert

Pour écouter l’article de Bernard lu par Jean-Marie Chazeau, cliquez sur le lien ci-dessous :

Quelques merveilles gratuites et estivales

Je ne suis pas nécessairement pour « le tout gratuit » tout le temps en culture. Loin de là. Par contre, j’affectionne quelques gratuités mensuelles ou temporaires « pour tous ». Et j’ai, à ce sujet, une priorité absolue : lorsque pareil avantage est mis en place, revendiquer qu’il soit vraiment bien médiatisé tant par les organismes culturels initiateurs que par les médias écrits et audiovisuels.
Tout d’abord ne pas oublier qu’à Bruxelles et en Wallonie, 160 musées sont gratuits chaque premier dimanche du mois. Une belle façon de faire du tourisme pas cher puisque les trains pratiquent aussi ces jours-là des tarifications avantageuses. Mais où sont ces musées? Une feuille recto verso avec toutes les informations utiles peut se lire ou s’imprimer, plutôt en A3. (1)

Le maison de Constantin Meunier: accès gratuit du mardi au vendredi.

À Bruxelles, le Musée Constantin Meunier est gratuit tous les jours où il est accessible, du mardi au vendredi. (2) Quant au Musée Antoine Wiertz, il est actuellement fermé pour travaux.
À peu près tous les musées fédéraux ont discrètement supprimé leur gratuité du premier mercredi du mois. La pratiquent encore, mais uniquement de 13H00 à 17H00, le Musée d’Art Ancien et le Musée Magritte. (3)

Enfin, toujours à Bruxelles, durant cet été 2025, voici deux « occasions » gratuites quotidiennes assez exceptionnelles!
Chaque jour des mois de juillet et d’août, de 10H00 à 18H00, vous pouvez avoir accès sans réservation et gratuitement au « Pavillon des Passions Humaines » dans le Parc du Cinquantenaire.

Le bas-relief de Jef Lambeau tous les jours de juillet et août dans le pavillon de Victor Horta au Parc du Cinquantenaire

Un pavillon dû à Horta qui abrite un gigantesque bas-relief de Jef Lambeau, en marbre de Carrare, particulièrement sensuel ou érotique, selon les sentiments de chacun. Pendant plus d’un siècle, l’œuvre trop provocante pour certains fut masquée par une palissade. (4)
Jusqu’au 4 janvier 2026 (fermeture hebdomadaire les lundis), le musée BELvue situé à côté du Palais Royal (au 7, place des Palais) conserve son entrée payant pour la découverte de son fond permanent mais vous offre la gratuité pour une splendide exposition Art Déco. (5)

Autrefois, ce musée BELvue pratiquait la gratuité du premier dimanche. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Actuellement, je ne trouve pas que l’aspect gratuit de cette expo Art Déco soit particulièrement mis en évidence sur sa façade. C’est dommage car un public très nombreux passe devant cet édifice pour découvrir le Palais Royal. Est-ce un détail, ces informations qui précisent les gratuités? Pour une fois, j’ai des statistiques précises . Envie donc de vous les partager.

En 2017, j’ai demandé à Ann Lavens, alors directrice du BELvue, si elle pouvait placer sur la rue, uniquement le 1er dimanche du mois, un panneau tout simple (voir notre photo) indiquant la gratuité mensuelle.
Non seulement elle accepta de se lancer dans pareil projet mais elle joua la transparence, ce qui n’est pas si fréquent, me communiquant des résultats chiffrés particulièrement significatifs.
0 Le nombre d’entrées en moyenne d’un dimanche payant, pour la période du 21 juillet 2016 jusqu’au 11 septembre 2017 : 106 visiteurs;
0 Le nombre d’entrées en moyenne d’un dimanche gratuit sans le panneau informatif pour la période du 21 juillet 2016 au 30 juin 2017 : 419 visiteurs;
0 Le nombre d’entrées en moyenne d’un dimanche gratuit avec le panneau informatif placé devant l’entrée du musée, sur base des résultats des trois dimanches de juillet, août et septembre 2017 : 637 visiteurs.

Beaucoup de musées devraient, à mon avis, trouver les moyens d’indiquer sur la voie publique leurs gratuités. C’est même une bonne pratique économique car elle permet d’augmenter leur fréquentation annuelle ce qui est parfois utile pour conserver ou développer des aides publiques.
Et, dans le cas du BELvue, il y aurait plus que probablement des personnes qui, lisant ce panneau, vont découvrir immédiatement gratuitement l’exposition temporaire… et puis décider de visiter aussi, dans ce très bel immeuble à l’accueil charmant, son fond permanent payant… où on peut même découvrir l’original de la lettre envoyée par le Roi Baudouin pour interrompre son règne, le temps de ne pas signer notre loi légalisant l’avortement…

Troc avec une fleur

Les fleurs de papier et le tram, nouvel usage du troc

En 2021, la Flandre a reconnu les « strandbloemen » (« fleurs de plage ») patrimoine culturel immatériel.
L’origine de cette tradition remonterait à l’entre-deux guerres. Sur les plages belges de la mer du Nord, pendant l’été, les enfants confectionnent des fleurs multicolores en papier crépon sur des tiges en bois ou en fil de fer. Ils les « vendent » en échange de quelques coquillages (certains sont plus rares que d’autres) sur des petits comptoirs qu’ils confectionnent dans le sable. Cette activité permet à bien des enfants qui se connaissent pas au départ, et des parents, de lier connaissance… et d’apprendre à commercer.
La Belgique est le seul pays au monde que l’on peut traverser d’une frontière à l’autre en tramway (des Pays-Bas à la France, ou vice-versa). Cela coûte 2,50 euros, pour un comme pour tous les arrêts. C’est le « Kusttram » (tram de la Côte).
Durant tout l’été 2025 (juillet et août), les enfants de moins de 12 ans sont invités à payer leur place en échange d’une fleur en papier. Quel chouette apprentissage au troc-gratuité ! (6)

Désormais en 4 langues !

Les campagnes de Napoléon : glorification d’une guerre de conquête.

Nos amis touristes du monde entier (pas que les Européens) doivent savoir que lorsqu’ils visitent la partie francophone de la Belgique (Bruxelles et la Wallonie, et vice-versa), ils ont les mêmes droits culturels que les autochtones. Plus de 4.000 organisateurs culturels aidés par la Fédération Wallonie Bruxelles sont obligés de respecter les 15 droits du Code des usagers culturel, et ce, depuis 18 ans.
C’est une initiative pratiquement unique dans le monde. Je pense que, parmi ses points, les plus innovants et utiles sont les points 2, 5, 13 et 15. (7)
Nouveauté 2025 (se prépare-t-on petit à petit au 20ème anniversaire du Code, le 10ème n’ayant jamais été célébré?) : justement pour nos amis touristes, l’Administration Générale de la Culture a fait traduire ces 15 droits, initialement uniquement en français, en néerlandais, allemand et anglais. (8)
L’année dernière, après une quinzaine d’années de combats, tous les musées fédéraux de Bruxelles ont repris la plupart de ces 15 points du Code. (9)
Donc désormais, à côté de leur « Règlement de visiteurs » (souvent assez autoritaire), ils affichent ce qu’ils nomment leur « Charte des visiteurs ». Impressionnant à comparer, si vous avez oublié votre roman policier lors de votre prochain bain de soleil. (10)
Il existe un site probablement peu connu du grand public, et pourtant il vous fournit un nombre incroyable d’information sur le fonctionnement de la culture et de la présentation de ses activités en Fédération Wallonie Bruxelles. À conseiller vivement. Vous pourriez même vous habituer à aller régulièrement découvrir comment il évolue. (11)

Et pour bouder

À éviter ? Le Musée Royal de l’Armée à Bruxelles propose actuellement, en dehors de ses collections permanentes, une expérience d’une trentaine de minutes: « Napoléon, l’Épopée Immersive » initiée par le studio Sandora. (12)
À Paris, ce « Napoléon » (présenté comme le «sauveur de la Révolution ») est également à l’affiche actuellement sous la Tour Montparnasse. C’est le prétexte pour que Olivier Tesquet publie dans le Télérama du 16 juin 2025 une passionnante et indispensable enquête « La réalité virtuelle comme cheval de Troie ? ». (13 )
Ce studio Sandora serait « couvé » par Pierre-Édouard Stérin. Qui est ce dernier? « Le 20 mai 2025, (celui-ci) séchait pour la troisième fois consécutive une convocation obligatoire de la commission d’enquête parlementaire sur « l’organisation des élections en France ». Encore inconnu il y a un an, le milliardaire catholique traditionaliste, exilé fiscal en Belgique, intéresse les députés depuis la révélation par « L’Humanité » du projet Périclès, qui vise à faire basculer un millier de mairies dans le giron de l’extrême droite aux prochaines municipales ».

Pierre-Édouard Stérin

Télérama a condensé ainsi son enquête: « Napoléon, Jeanne d’Arc (une prochaine thématique encore dans les tiroirs)… Les expositions immersives de Pierre-Edouard Stérin, cheval de Troie de l’extrême droite ? Le milliardaire traditionaliste multiplie les investissements dans le secteur des expériences immersives historiques. Sous le vernis récréatif, une stratégie plus politique qu’il n’y paraît ». On y apprend notamment : « Stérin, qui investit aussi dans l’éducation a vite compris la puissance affective (de ce nouvel outil) propice à l’enrôlement idéologique. De quoi rêver d’un Puy du Fou augmenté ».
Ces données ne sont guère présente dans le travail journalistique belge à l’occasion de la diffusion de ce « Napoléon » au sein de notre Musée Royal de l’Armée établi au Cinquantenaire.
Parmi les partenaires belges : Le Soir, De Tijd, LNRadio, Visit;brussels, etc.

Personnellement, je n’ai pas voulu découvrir cette programmation culturelle. Je vous en épargnerai donc toute appréciation esthétique. Par contre, je ne permets de vous offrir cette autre réflexion de type économique de cette vogue des expositions dites immersives.

Le succès parfois foudroyant en terme de fréquentation de certaines de ces manifestations culturelles peut provenir des campagnes promotionnelles massives (sur les réseaux sociaux, par l’affichage en rue, dans les médias) que peuvent se permettre bon nombre de ces initiatives.
Il est vrai qu’elles disposent de grosses rentrées financières grâce à plusieurs astuces !
Lorsque l’investissement du matériel de base est amorti (notamment les appareillages pour le son, la lumière et les projections), la production de ces spectacles est limitée car la plupart des thématiques sélectionnées visent des œuvres d’artistes tombées dans le domaine public. De plus, les frais de création de chacune de ces expositions sont amortis par des présentations « longue durée » dans de fort nombreuses villes.
Sur France-Info, le journal de 19H du 29 décembre 2024 propose un reportage « Les expos immersives au service de la culture ». Son commentaire explique pourquoi ce type d’expositions a un coût bien souvent moins élevé que celui occasionné par la mise en place d’expositions temporaires : « À cause du prix des assurances et du transport des œuvres ».

En général, la tarification de base pour ce type d’activité a été, dès les premières réalisations, bien plus élevée que le prix habituel d’une entrée pour une exposition même de prestige ou pour une séance de cinéma dans un complexe commercial. Petit à petit, cet excès est apparu comme normal et devint quasi naturel pour un public qui prend goût et s’adonne à ce type de loisir. D’autant plus qu’il n’a pas souvent l’occasion d’en comparer le montant avec les entrées d’autres expositions. Cette difficulté de plus en plus grande à pouvoir comparer les prix en culture fut d’ailleurs le sujet – qui garde toute son actualité – de ma toute première chronique dans « L’Asymptomatique » en septembre 2023. (14)

La force de ces campagnes de marketing risque d’attirer donc de plus en plus de visiteurs et, la crise économique aidant, nombre d’entre eux pourront difficilement se permettre de passer à la caisse deux fois. Il leur faudra choisir des spectacles d’illustration autour de peintres célèbres ou découvrir, dans d’autres lieux, ces œuvres, et d’autres, en chair et en os. Est-ce la force du marketing qui l’emportera? Le droit à découvrir la diversité de la création est-il menacé? Voilà sans doute une question plus essentielle à poser, et à résoudre, que de s’opposer à un nouveau type de spectacle.

Bernard Hennebert

——

(1) https://artsetpublics.be/programmes/le-guide-des-musees-gratuits/

(2) https://fine-arts-museum.be/fr/les-musees/musee-meunier-museum

(3) https://fine-arts-museum.be/fr/les-musees

(4) Site du musée : https://www.artandhistory.museum/fr/pavillon-des-passions-humaines

Article : https://bx1.be/categories/culture/le-pavillon-des-passions-humaines-souvre-exceptionnellement-au-public-en-juillet-et-aout/?theme=classic

Et, sur Facebook, une vidéo filmée dans le Pavillon : https://www.facebook.com/reel/1215517459897034

(5) https://www.belvue.be/fr/expo/expo-art-deco

(6) https://www.delijn.be/fr/nieuws/kusttram-strandbloem/

(7) https://www.culture.be/index.php?eID=tx_nawsecuredl&u=0&g=0&hash=963128744e095fa84b188d01254d746b8b7b8e62&file=fileadmin/sites/culture/upload/culture_super_editor/culture_editor/documents/Documents_utiles/Droits_des_usagers_et_publics_de_la_Culture/202411-A3-codeusagers-web.pdf

(8) https://www.culture.be/vous-cherchez/droits-des-usagers-et-publics-de-la-culture/

(9) https://la-luc.blogspot.com/2024/10/nouveau-les-musees-federaux-vont-mieux.html

(10) https://fine-arts-museum.be/fr/votre-visite/planifier-sa-visite/reglement-du-visiteur

(11) https://www.culture.be/

(12) https://www.napoleonvr.com/city/bruxelles?

(13) https://www.telerama.fr/debats-reportages/napoleon-jeanne-d-arc-les-expositions-immersives-de-pierre-edouard-sterin-cheval-de-troie-de-l-extreme-droite-7026172.php

QUELQUES EXTRAITS DE CET ARTICLE : https://halteaucontrolenumerique.fr/?p=8486

(14) https://www.asymptomatique.be/cachez-ces-prix-que-je-ne-saurais-voir-par-bernard-hennebert/

Comment être efficace… ou pas.

Au Musée BELvue, à côté du Palais Royal, en 2025, la mention de gratuité (en blanc dans un petit rond rouge) de l’expo Art Déco est quasi invisible depuis le trottoir.

Alors qu’en 2017, le même musée plaçait sur la rue (qui mène devant le Palais Royal) un panneau très visible en 4 langues « Zéro euro, Aujourd’hui » pour indiquer sa gratuité du premier dimanche. Et c’était efficace.

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