
15 septembre 2025
GAZA EFFACÉE JUSQU’À SON PASSÉ par Gwen Breës
Mercredi 10 septembre au matin, l’armée israélienne a annoncé par SMS le bombardement imminent du dépôt abritant la plus importante collection archéologique de la bande de Gaza. Les occupants avaient une demi-heure pour quitter les lieux.
Ce dépôt, situé dans le quartier Rimal, à Gaza City, est théoriquement protégé par la Convention de La Haye sur les biens culturels. Géré par l’École biblique et archéologique française de Jérusalem (ÉBAF), et placé sous responsabilité française, il est parfaitement connu de l’armée israélienne. Ses soldats s’y étaient introduits en janvier 2024, en prenant soin d’inviter le directeur adjoint de l’Autorité israélienne des antiquités. Celui-ci avait d’ailleurs publié une courte vidéo des collections — poteries, mosaïques, outils métalliques —, assortie d’un enthousiaste phylactère : « WOW! ». Une rumeur veut que quelques pièces auraient alors été dérobées pour être exposées dans une petite vitrine dans le parlement israélien.
Si le dépôt de l’ÉBAF a été condamné à la démolition, c’est officiellement parce qu’il se trouvait à l’étage inférieur d’un immeuble résidentiel de dix étages : tous les bâtiments élevés sont considérés par Israël comme de potentiels postes d’observation du Hamas. Lorsque l’équipe de l’ÉBAF a reçu l’avertissement, elle a immédiatement alerté le Consulat général de France, l’UNESCO et le Patriarche latin de Jérusalem, qui sont intervenus pour tenter de suspendre la frappe. Le porte-parole de l’armée israélienne a répondu : « Dans le cadre des efforts visant à permettre aux résidents et aux organisations internationales de se rendre dans le sud de la bande de Gaza, le transfert d’entrepôts de la communauté internationale et leur contenu est autorisé. »
Israël a donc généreusement concédé un court sursis avant de bombarder l’immeuble. Le 11 septembre, l’équipe de l’ÉBAF a alors sauvé à la hâte tout ce qu’elle pouvait des 180 m³ d’artefacts issus de trois décennies de fouilles — la redécouverte du passé de Gaza, tels les vestiges de l’ancien port grec d’Anthée ou de la nécropole romaine d’Ard-al-Moharbeen, a commencé en 1995, dans la foulée des accords d’Oslo…
Les pièces jugées les plus précieuses furent transférées vers l’une des trois églises de Gaza City, dans l’espoir que celle-ci échappe aux bombes. Récemment, l’équipe de Gaza Soup Kitchen expliquait suivre une tactique similaire en organisant ses distributions de colis alimentaires dans un site appartenant à une église, seul endroit où elle pense encore pouvoir échapper aux missiles.
Mais les archéologues se heurtèrent à d’innombrables obstacles : bombardements, manque de temps, absence de camions, routes détruites, matériaux d’emballage introuvables, risques de pillage ou d’accident, sans compter une équipe épuisée par le manque de nourriture, d’eau potable et de soins.
En si peu de temps, les milliers d’objets archéologiques n’ont pas pu être tous sauvés. « Beaucoup ont été cassés ou perdus, mais ils avaient été photographiés ou dessinés, de sorte que les informations scientifiques sont préservées », explique l’archéologue René Elter. « Ce sera peut-être la seule trace qui restera l’archéologie de Gaza… dans les livres, les publications, les bibliothèques. »
La bande de Gaza, située au croisement entre l’Afrique, l’Asie, l’Amérique, l’Est et l’Ouest, a été sans cesse habitée depuis l’Âge du Bronze. Depuis le 7 octobre 2023, l’armée israélienne y a déjà détruit entièrement ou partiellement près de 65% des sites patrimoniaux — bâtiments religieux, musées, bâtiments historiques, sites archéologiques, monuments… Selon Hamdan Taha, coordinateur du projet d’histoire et de patrimoine de la Palestine, lié à l’Unesco, Israël cible intentionnellement les sites archéologiques.
C’est le cas du palais du Pacha, construit au XIIIe siècle et qui fut bombardé en même temps que la mosquée Al-Omari, le souk de l’Or et le hammam Samra — soit les plus importants monuments historiques de la vieille ville de Gaza. C’est aussi le cas de la quasi-totalité des 1244 mosquées présentes dans toute l’enclave.
Depuis la reprise des attaques sur Gaza City, en août, au moins 1000 bâtiments ont été démolis. L’offensive se concentre pour l’instant sur le déplacement forcé des habitants vers le sud de l’enclave et sur le ciblage prioritaire des immeubles de plusieurs étages. Mais les stratégies israéliennes ne surprennent plus : tout le bâti sera systématiquement démoli d’ici au 7 octobre prochain, date qu’Israël s’est fixée symboliquement pour « finir le job ».
À moins d’un miracle de dernière minute, Gaza City sera alors un territoire vidé, aplani, où ne subsisteront sans doute — comme le suggère l’épisode de l’entrepôt de l’ÉBAF — que trois églises. Et quelques reliques de civilisation chrétienne… qu’Israël pourrait tenter d’exposer dans son parlement, ou dans l’une des villes pilotées par intelligence artificielle qu’il prévoit d’ériger sur les ruines d’une histoire multimillénaire.
Gwen Breës sur la page FB et dans l’Asympto.
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(Sources : The Guardian, Haaretz, RFI, Terre Sainte Magazine, The Conversation)
(Photo : la mosquée Al-Omari avant son bombardement)
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