SARKO ET SERDU par Bernard Hennebert

S … comme Sarkozy.

Quelques réflexions me viennent après la condamnation de Nicolas Sarkozy à cinq ans de prison pour association de malfaiteurs. Je n’oublie pas que c’est Nicolas Sarkozy qui a fait voter en 2009 une loi pour interdire la publicité après 20 heures sur les antennes de France Télévisions. Le 19 février 2008, il avait préconisé pour la première fois cette diète publicitaire dans un discours, où il avait affirmé également son opposition à la privatisation de France Télévisions (1).
Deux bémols, et non des moindres : il s’agissait probablement à l’époque de favoriser le transfert de cette manne financière publicitaire du service public vers diverses chaînes privées. Et d’autre part, il ne s’agissait que d’interdire la publicité « au sens strict ». France Télévisions a ainsi rapidement trouvé la parade en multipliant après 20H des émissions et des programmes « sponsorisés » par certains annonceurs, qui plaçaient ainsi leur « logo » avant ou après l’émission. Du coup, beaucoup de téléspectateurs n’ont guère vu de différence sur leur écran. Que ceux qui s’opposent à la publicité à la RTBF en tire cette leçon : pour se débarrasser de la pollution des annonceurs, il faut aussi refuser le soi-disant « sponsoring » !

Nicolas Sarkozy a écrit de nombreux livres. À chaque parution, les médias traditionnels nous ont fait croire qu’il s’agissait de grands succès de librairie dès leur publication.
2006 à 2024, j’ai été attentif à ce phénomène et je voudrais dégonfler un peu cette affirmation.
Le 5 septembre 2006, j’ai publié dans l’hebdomadaire « Le Journal du Mardi » un article intitulé : « Bonnes ventes culturelles : duperies médiatiques ! ».
J’y explique que « Témoignage », le nouveau livre de Nicolas Sarkozy, a été imposé aux librairies par son éditeur XO.
De nombreux exemplaires leur ont ainsi été envoyés sans qu’ils les aient préalablement commandés. Dans son enquête publiée le 26 juin 2006 dans Charlie Hebdo, Anne-Sophie Mercier raconte que cette stratégie commerciale a un double effet : « Premièrement, faire monter les ventes de l’ouvrage, puisque l’on sait qu’une bonne exposition favorise l’achat. Deuxièmement, gonfler artificiellement un chiffre présenté comme celui des « ventes », alors qu’il ne s’agit à ce stade là que de livres mis en circulation ». Cette pratique coûte cher aux libraires car ce sont eux qui doivent acquitter les frais de livraison des livres et les frais d’éventuels « retours ».

Une vingtaine d’années plus tard, je retombe sur le problème du coût de ces livraisons dans l’article sur « Le combat des librairies indépendantes » publié par Jacques Besnard dans La Libre du 26 avril 2025 : « (Il y a) augmentation du prix de l’énergie, et donc du transport. Pour recevoir les livres, les libraires doivent en effet payer le transport aller auprès du distributeur, mais aussi le retour lorsque les exemplaires commandés n’ont pas trouvé preneur. Certains viennent de France … (sous-entendu : ce qui coûte fort cher). Et cela réduit d’autant la marge destinée au détaillant ». Un témoignage, publié dans cet article, indique que, pour un livre vendu 10 euros en Belgique, 3,50 euros seulement reviennent au libraire.

Le 7 octobre 2015, « Le Parisien » publie une enquête ainsi résumée : « Les livres écrits par des politiques se vendent mal, à quelques exceptions près, comme François Fillon, même si les chiffres annoncés sont exagérés ». Le journal explique ainsi qu’une mini-polémique a éclaté au sujet des vrais chiffres de ventes de « Faire », l’ouvrage de l’ancien premier ministre de Sarkozy. Son éditeur, Albin Michel, a très vite crié au « best-seller », annonçant un volume de 52.000 exemplaires écoulés en deux semaines. Une grosse exagération puisque, selon l’institut de statistiques GfK (une référence pour les professionnels, selon Le Parisien), le livre de l’ex-Premier ministre n’aurait pas dépassé les 15.864 exemplaires sur cette période. Très loin des 80.000 exemplaires imprimés. L’annonce du « best-seller » fut donc pour le moins prématurée.

Pour « Passions », le livre suivant de l’ex-président, Le Soir et La Libre du 9 août 2019 annoncent un nouveau triomphe estival : « 220.000 exemplaires ont été vendus depuis le 27 juin » et « Les Passions de Nicolas Sarkozy passionnent ». Des articles dans Le Monde (25/08/2019) et dans Libération (29/08/2019) ont également tenté de quantifier ce succès, mais donner le chiffre précis des véritables ventes, avec des termes vagues comme « exemplaires facturés aux libraires » (après la facture, n’y a-t-il pas le retour des invendus ?), « autour de X exemplaires écoulés » (auprès de qui ? et achetés par qui ?), « X livres écoulés et plusieurs dizaines de milliers réimprimés », etc.

Le 16 octobre 2024, Tristan Berteloot et Simon Blin affirment dans Libération que « Le Temps des Combats », l’ouvrage de Sarkozy publié en 2023, a « été tiré à 120.000 exemplaires pour sa mise en place ». Avec une vente réelle de combien d’exemplaires ? Un professeur expérimenté n’oserait pas être aussi imprécis avec des chiffres auprès de ses étudiants. Pourquoi ne pas attendre que les livres soient effectivement achetés par des lecteurs avant de publier ces chiffres ? Dans le sport, on attend au moins que les coureurs aient franchi la ligne d’arrivée avant de leur offrir des bouquets de fleurs…

S… comme Serdu.

Je suis très touché par le décès d’un ami, le cartooniste Serdu. Son nom ne sera pas associé à un musée. Lorsqu’il publiait un livre (et il en publia beaucoup), peu de médias nationaux en faisaient écho. Il vivait autrement.
Lors de son décès, la semaine dernière, la presse et les télés régionales ont par contre beaucoup parlé de lui. Sur les réseaux sociaux, un nombre incroyable de simples citoyens ont marqué leur tristesse.
Le reportage que lui a consacré No Télé est magnifique. No Télé, c’est la télévision locale du Tournaisis – la région où il habitait (2).
Serdu serait sans doute content que je rappelle ici que cette télévision est menacée de disparition suite à une décision de la ministre des médias de la coalition au pouvoir (MR – Les Engagés), qui prétend qu’il y a « trop » de télévisions régionales. Ce sera ainsi la fin de ces reportages de proximité pourtant bien utiles. Une honte.
Serdu était en fait très connu, car il s’était mis, sur le terrain, au service d’un nombre incroyable d’associations citoyennes. Dès que leur combat lui plaisait, il enfourchait ses crayons noirs et de couleurs comme autant d’armes offensives et joyeuses.
Pour noyer mon chagrin, je ne peux que partager mon expérience personnelle.

Pendant 10 ans, Serdu a ainsi illustré gratuitement les 65 journaux « Comment Télez-Vous? » publiés par l’asbl ATA que je coordonnais (l’Association des Téléspectateurs Actifs ).
Ce fut une magnifique aide « longue durée », créatrice et peu commune. Une fidélité incroyable. Serdu était très sympathique. Et très minutieux ! Il corrigeait même nos fautes de français et d’orthographe !
Serdu avait pris un pseudo (Esdé) pour signer les dessins qu’il nous a offert pendant si longtemps, pour éviter que le monde médiatique ne se « venge » sur lui, d’une façon ou d’une autre.
Pour chaque numéro, on échangeait par FAX. Il recevait les textes d’une demi-douzaine d’articles, et nous envoyait très vite une quinzaine de dessins. Publié en couverture, son travail donnait envie aux futurs lecteurs de lire la publication en entier.
Tout le gratin de « l’audiovisuel » recevait gratuitement ce journal (directions de chaînes, CSA, ministres, parlementaires, journalistes). Ce moyen de pression, financé par quelques centaines de « vrais » abonnements de sympathisants, nous a permis d’obtenir des dizaines d’améliorations du service public et des droits des téléspectateurs.

Ainsi, sans Serdu et sans l’ATA, la RTBF ne serait sans doute toujours pas obligée aujourd’hui de répondre par écrit et de manière circonstanciée aux plaintes et aux demandes d’information de ses usagers. Cette obligation n’a pas d’équivalence dans les règlements des services publics de bien d’autres pays. (3)
Pour lui rendre hommage, cet article est illustré par une petite sélection de ses dessins sur la RTBF, au cours de la dernière décennie du siècle dernier. L’ATA s’est dissoute ensuite volontairement, les problèmes de l’audiovisuels devenant trop nombreux et trop complexes pour une petite association sans permanent, ni subsides, ni sponsor, et refusant toute rentrée publicitaire. Personne, hélas, n’a repris depuis le relais. …Avis aux amateurs ! Ces dessins, dont beaucoup, en un quart de siècle, n’ont pas pris une seule ride.

Bernard Hennebert

(1) http://www.consoloisirs.be/textes/080219sarkozy.html
(2) https://www.notele.be/si103-media160301-le-dessinateur-et-caricaturiste-serdu-est-decede.html
(3) si vous désirez lire les articles et leurs illustrations par Serdu des 65 journaux de l’ATA, vous pouvez les télécharger ici (avec un glossaire par thématiques) : http://www.consoloisirs.be/ata/index.html

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