
02 octobre 2025
L’EXTRÊME-DROITE EN “ROBE DE PLAGE” par Hugues Le Paige
Giorgia Meloni vient de fêter le troisième anniversaire de son accession au pouvoir (1). Un record pour l’Italie habituée à des législatures écourtées. La présidente du conseil d’extrême droite se félicite d’autant plus de sa longévité qu’elle s’accompagne d’une popularité qui ne faiblit pas. Et elle ne se prive pas de s’accorder un bilan économique largement positif. Une image flatteuse qui est largement reprise par une partie de la presse internationale — particulièrement celle de droite — mais qui ne résiste pas à une analyse basique.(2)
Les chiffres du déficit public, de l’emploi, de l’inflation ou de l’immigration mis en avant par la cheffe des Fratelli d’Italia sont loin de correspondre à la véritable situation économique, sociale et budgétaire de la péninsule et sont pour la plupart le fruit d’opportunités provisoires ou d’interventions extérieures (l’Italie est la première bénéficiaire du Plan de relance européen). La politique générale du gouvernement italien s’inscrit dans la logique austéritaire européenne avec toutes les régressions sociales que cela suppose. Meloni affirme que l’immigration illégale a diminué de 60 % depuis son arrivée au pouvoir. Elle oublie d’ajouter qu’elle a accordé 500 000 visas de travail à la demande pressante du patronat italien en mal de main d’œuvre.
Tout cela n’empêche pas de présenter Meloni comme le nouveau modèle de la politique conservatrice. « La femme forte de l’Europe » titrait L’Express, l’hebdomadaire français consacrant un dossier dithyrambique à « l’exemple italien efficace et rassurant ».(3) Au-delà des cercles politiques une certaine « Melonimania » tente de s’installer dans les esprits. Typique à cet égard le portrait dressé par Emmanuel Carrère.
Alors qu’en juin dernier, il suivait Emmanuel Macron lors du G7 qui se déroulait au Canada, l’écrivain à succès tombait sous le charme de la Cheffe du gouvernement italien. « Je sais que Meloni est considérée comme d’extrême droite et qu’il ne faut pas dire du bien d’elle, écrivait-il, disons seulement que cette petite femme blonde détonnait au G7 par une sorte de rudesse enjouée et un dress code sans concession à la grisaille : au milieu des tailleurs stricts, sa robe bleu ciel, très légère, avait presque l’air d’une robe de plage. ». Passé l’anecdote, ces propos laudateurs témoignent d’un phénomène plus sérieusement politique. Giorgia Meloni s’est taillé une place de choix dans le concert international. Dès sa nomination à la tête de l’exécutif, elle a veillé à faire oublier son credo anti-européen pour construire une relation privilégiée avec Ursula von der Leyen. D’emblée, elle a voulu affirmer son objectif politique prioritaire : tenter de construire au niveau européen une nouvelle majorité rassemblant l’extrême-droite et la droite traditionnelle comme elle l’a réussi en Italie.(4)
Objectif partagé par une grande partie de démocrates-chrétiens du PPE qui n’ont d’ailleurs pas hésité à expérimenter cette majorité alternative au détriment des sociaux-démocrates et des écologistes. On a vu aussi comment Giorgia Meloni a largement imposé ses vues lors de l’adoption du Pacte migratoire notamment en ce qui concerne l’externalisation des demandes d’asile.
La leader d’extrême droite a consolidé sa position internationale en devenant l’interlocutrice privilégiée de Donald Trump (5). Préserver ce statut tout en ne s’écartant pas (trop) des intérêts européens est une figure risquée, mais jusqu’à présent il semble qu’elle gagne sur les deux tableaux. Mais pour combien de temps encore ?
Ce positionnement et la stratégie affichée d’union des droites traditionnelles et extrêmes gagnent du terrain en Europe. Voilà pourquoi l’extrême droite « en robe de plage » séduit le camp conservateur. En France, elle entre parfaitement dans les objectifs des milliardaires français Vincent Bolloré et Pierre-Edouard Stérin qui ne ménagent pas leurs efforts en ce sens à travers leurs médias et autre « centre d’étude ».
Dans les cercles internationaux, notamment aux côtés d’Elon Musk ou du vice-président américain Vance, Meloni a régulièrement développé des discours « trumpiens » notamment sur l’immigration, la religion, la justice ou le « wookisme ». Mais c’est bien dans sa politique intérieure que l’on retrouve ses sources d’inspiration idéologiques. Meloni formée dans le giron du néofascisme italien dont elle a été une militante assumée ne peut se départir de ses racines même si, sur certains points, elle veut en adoucir l’expression.
Elle se refuse toujours de reconnaître le caractère antifasciste de la Constitution de 1948 qui est la pierre angulaire de la démocratie italienne. Elle mène une guerre culturelle contre une supposée « hégémonie de gauche » depuis longtemps en berne. À travers l’enseignement, la culture, les médias il s’agit de construire un nouveau récit national basé sur les valeurs chrétiennes. Mais qu’il s’agisse des restrictions à la liberté d’expression et de manifester, aux droits des femmes et des minorités, à l’indépendance de la magistrature ou de la volonté de concentrer le pouvoir aux mains de l’exécutif et de réduire les contre-pouvoirs, les atteintes à la démocratie sont désormais monnaie courante.
Cependant même si Meloni conserve un taux de popularité élevé, elle doit faire face à deux échéances qui seront importantes pour son avenir politique. Comme dans d’autres pays européens, en Italie le mouvement en faveur de la Palestine et contre le génocide perpétré par Israël prend des dimensions inédites avec une mobilisation qui dépasse, et de loin, les milieux traditionnellement concernés. Des centaines de milliers de manifestantes et manifestants occupent les places et poursuivent une action au jour le jour. Meloni a été un des soutiens les plus fervents du gouvernement israélien. Sa position n’est plus tenable. Et nul ne peut prévoir les conséquences politiques de cet affrontement.
Par ailleurs, dans un domaine plus traditionnel, des élections régionales partielles vont se dérouler à l’automne (6). Malgré de nombreuses difficultés et sans toujours échapper aux manœuvres politiciennes, l’opposition sera unie pour ces scrutins. Ensemble le centre (Italia Viva), le centre-gauche (PD), le mouvement des Cinque Stelle et la gauche plus radicale (Sinistra Italiana-Verdi per l’Europa) peuvent l’emporter face à l’actuelle majorité (Fratelli d’Italia, La Lega, Forza Italia) qui peine à se rassembler. L’issue des scrutins régionaux ne modifiera pas la situation au niveau national, mais elle peut permettre d’entrevoir de nouveaux rapports de force.
Hugues Le Paige sur son blog et dans l’Asympto, avec l’aimable autorisation de l’auteur
[1] Lors des élections législatives du 25 septembre 2022 : la coalition dirigée par G.Meloni (Fratelli d’Italia, La Lega, Forza Italia) obtenait 43,82 %, la coalition de Centre Gauche (PD, Sinistra Italiana-Verdi per l’Europa, Europa +) 26,12, Cinque Stelle 15,42, Centre (Azione- Italia Viva) 7,78.
[2] Voir à ce sujet Romaric Godin et Ellen Salvi : https://www.mediapart.fr/journal/international/240925/giorgia-meloni-nouvelle-egerie-de-la-bourgeoisie-francaise
[3] L’Express du 18 septembre 2025
[4] Depuis 2022, les lecteurs de ce Blog-Notes ont pu suivre ici l’évolution progressive de cette stratégie politique qui conditionne l’avenir de l’Europe
[5] Voir Hugues Le Paige, « Giorgia Meloni, idéologue pragmatique » Le Monde Diplomatique, juillet 2025
[6] De fin septembre à la mi-novembre : Val d’Aoste, Les Marches, Calabre, Toscane, Campanie, Les Pouilles, Vénétie
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