
30 septembre 2025
LA FORĒT, NOTRE OMBILIC par Françoise Nice
« Si tu abats les arbres, tu tues les esprits ». Au Théâtre National à Bruxelles, j’ai retrouvé avec intérêt et joie ZORA SNAKE, danseur et performer, sur la scène et qui plus est, chorégraphe de son nouveau spectacle « Combat des lianes ».
En février, j’avais pu découvrir son « L’opéra du villageois » consacré au vol des masques rituels et des œuvres d’art par les colonisateurs de l’Afrique. Cette fois il nous fait découvrir un aspect fondateur de la culture des communautés baka de l’Est du Cameroun, le rapport symbiotique des populations avec la forêt. Pour nous faire découvrir ce qu’ils appellent la forêt sacrée, il a tout d’abord emmené son équipe pendant deux semaines là-bas.
S’immerger, regarder et dialoguer avec les riverains et habitants de la forêt, et mettre en gestes, en images la déshumanisation, l’aliénation, la folie et la douleur provoquées par la déforestation. Dans l’escalier qui mène au Studio du Théâtre National, s’affiche ce message cousu avec du fil de laine sur une feuille de papier : « Nous sommes la forêt, la forêt c’est nous ».
Au centre de la scène trône une haute statue, avec pour visage un masque dont la chevelure est un arbre stylisé qui caresse le ciel. Le masque porte une longue robe de paille, elle est aussi une grande hutte par où sortent et rentrent les danseurs et danseuses.
Edzingui le dieu des forêts sacrées des communautés baka est la figure centrale du spectacle. Le masque s’éclaire de temps à autre, comme l’indice d‘un dialogue avec les humains. Sur la gauche, sur un podium surélevé, le DJ Pawel lance, mixe et conjugue des sons, tandis que face à lui, en hauteur aussi, la compositrice et percussionniste Christiane Prince frappe ses tambours avec force et agilité. Le duo des percussions et de la musique techno roule en belle synthèse. Et c’est sur ce tapis sonore, agrémenté de paroles préenregistrées, celles d’un vieillard, d’une femme, des cris d’enfants que se déploie la danse. Avec des pauses de silence. Et se dessine peu à peu une allégorie mouvante des violences et souffrances, des combats pour résister aux accapareurs des arbres et de leur précieuse chair, des troncs coupés, ces futures planches. Cette chair des arbres fait partie de notre chair d’humains. Et c’est par les lianes que nous sommes liés, reliés aux arbres, aux esprits. Ces liens sont symbolisés par les superbes collants de Lamyne M.
Forts, rapides, les rythmes se déclinent, se succèdent, soutiennent les séquences dansées par les cinq interprètes, Joy Alpuerto Ritter, Jessica Chiye Warshal, Zadi Landry Kipre, Gandir Prudence, deux femmes, deux hommes et Tejeutsa alias Zora Snake, tous d’une impressionnante technicité. Ils et elles délivrent aussi un jeu très expressif de mimiques et de rictus qui évoquent le burlesque de la folie.

Photo Marin Dringuez
Je vous décris ce que j’ai cru percevoir. Si ce n’est que ma petite critique est orpheline de la chair du spectacle, de toutes les images scéniques qui s’y succèdent, évoquant l’effroi, la maladie, la peur – ah ces yeux dressés vers un ciel qui perçu comme menaçant-, la solidarité entre populations vulnérabilisées, et les actes de résistance. Zora Snake s’applique aussi à instaurer un lien de proximité avec le public : une danseuse qui monte dans les travées, l’un ou l’autre solo tout près du public, qui lui a été invité à apporter son don pour le dieu de la forêt et la déesse des eaux Mami Wata.
Je n’avais que trois noisettes, et je les ai remises au chorégraphe. Un don de saison qui vient de mon village de toujours ou presque. Des communautés Baka du Cameroun aux scènes de Belgique, et à chaque spectateurice, ce qui fait lien est aussi formulé avec justesse dans le dossier de presse : « Il ne s’agit pas de voir Combat des lianes comme une pièce de danse à clef mais plutôt comme une vaste métaphore poétique et visionnaire sur l’état brutal du monde, aujourd’hui ».
C’est ce qui explique sans doute pourquoi et comment j’ai pensé au carnaval brutal, dément, gesticulant, bête et éminemment destructeur qui s’affirme au cirque de l’actuel locataire de la Maison-Blanche ? La fable dansée, le cri d’alarme du « Combat des lianes » ne concerne pas les seuls habitants ou voisins des forêts équatoriales. Loin de là. Et ce message est dansé et offert avec une belle puissance et quelques sourires. Avec « Catarina et la beauté des fascistes » qui fut joué deux soirs seulement la semaine dernière, cette création où le metteur en scène portugais Tiago Rodrigues déploie l’histoire et les dilemmes d’une famille engagée dans la lutte contre le fascisme, la rentrée du Théâtre National se place sous le signe des découvertes de grande qualité et si l’on veut, du réveil de nos consciences. En attendant le Festival des libertés qui commence ces jours-ci.
Françoise Nice
COMBAT DES LIANES, à voir au Théâtre National à Bruxelles jusqu’au 4 octobre et le 11 octobre aux Ecuries de Charleroi Danse. Photos Marin Dringuez
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