DEBORSU SANCTIONNÉ PAR LE CSA ? par Bernard Hennebert

Pour écouter l’article de Bernard lu par Jean-Marie Chazeau, cliquez sur le lien ci-dessous :

En France, le Conseil d’État vient de confirmer, à la mi-novembre 2025, la sanction infligée en juillet 2024 par l’Arcom (l’ancien CSA, Conseil Supérieur de l’Audiovisuel) à CNews. Un soutien de Zemmour y avait tenu des propos climatosceptiques sans aucune contradiction. Ainsi, la chaîne de Vincent Bolloré est condamnée pour la première fois pour désinformation climatique à une amende de 20 000 euros (sur d’autres sujets, CNews a déjà écopé par les passé de nombreuses autres amendes).

En Fédération Wallonie Bruxelles, ce type d’amendes par notre CSA (qui, lui, a bien gardé son appellation d’origine) est devenu impossible pour certaines plaintes, celles qui concernent le contenu journalistique.
Par contre, notre organe de régulation qui fut créée en 1987 conserve les même pouvoir que l’Arcom lorsqu’il traite d’autres types de plaintes (diffusion de trop de publicités par RTL, non-respect par la RTBF de son contrat de gestion, etc.).
Ce qu’une partie du public ignore, sans doute parce que les médias l’en ont mal informé, c’est que le pouvoir politique a contraint le CSA à ne plus traiter lui-même les plaintes adressées par les usagers sur le contenu journalistique. Il doit les transmettre au CDJ (Conseil de déontologie journalistique), un organe d’autorégulation qui va les traiter mais ne pourra en aucun cas infliger des amendes.

À la mi-novembre 2025, une centaine de plaintes ont été adressées au CSA par des téléspectateurs en général scandalisés par le contenu de l’émission « Je vous dérange » de Christophe Deborsu sur RTL-TVi dont la thématique s’intitulait « Sans boulot, tous fraudeurs? ».
Vu le contenu qu’elles soulèvent, le régulateur est obligé de transmettre ces plaintes, à l’organe d’autorégulation qui va les traiter mais ne pourra jamais, quelque soient les horreurs éventuellement constatées, infliger une quelconque amende, ni à Deborsu, ni à RTL TVi. Est-ce une incitation à l’impunité et à la récidive? Car tant qu’on ne touche pas au portefeuille… Plusieurs citoyens qui ont eu le courage, l’énergie de déposer ces plaintes ont marqué leur étonnement sur les réseaux sociaux en ne comprenant pas bien pourquoi lorsqu’ils se sont adressé au CSA, c’est au CDJ que la patate chaude a été transmise, n’imaginant pas un seul instant qu’ainsi, si une faute est bel et bien constatée, aucune sanction financière ne pourra être imposée.

RÉPONDRE À VOS QUESTIONS

Dans ma chronique 33 parue dans L’Asymptomatique le 4 février 2025, vous trouverez plusieurs réponses à des questions concrètes.
Comment déposer plainte au CSA?
Qui dirige le CDJ?
Vous y découvrirez aussi comment le CSA et le CDJ ont traité un même sujet: des plaintes qui s’inquiétaient d’une censure ou qui regrettaient une «infantilisation de ses publics par l’éditeur» lorsque la RTBF avait diffusé avec un léger différé, le 20 janvier 2025, le discours d’investiture du deuxième mandat du Président Trump. (1)

MON INTERVIEW DU CSA

Pour mieux comprendre les enjeux de cette situation ubuesque, peu connue alors qu’importante, j’ai interrogé par écrit le CSA de la Fédération Wallonie Bruxelles qui m’a répondu de façon détaillée et nuancée en deux jours, le 14 novembre 2025. Un espoir: le CSA laisse entendre que pourrait évoluer sensiblement cette situation d’aujourd’hui que je trouve désastreuse alors qu’à l’instar de ce qui se passe dans notre société depuis quelques années, je pense que nous assistons à une progressive radicalisation au sein du journalisme et des métiers de la presse.
Que sera l’après Jean-Paul Philippot à la RTBF? Quel nouvel administrateur va être nommé dans quelques mois? (dans les coulisses, sous le sceau de l’anonymat, ces derniers jours, des suggestions de noms sont évoquées: Christophe Deborsu, Corentin de Salle, Nadia Geerts, Julie Taton… Je ne veux y croire!). Il convient donc que les usagers des médias électeurs fassent entendre fortement leur voix auprès des décideurs politiques. Faut sauver, ou consolider notre soldat CSA!

QUESTION : Autrefois, toutes les plaintes sur les contenus diffusés par les chaînes de la Fédération Wallonie Bruxelles étaient instruites par le CSA, avec possibilité ultime pour vous, le régulateur, d’éventuellement sanctionner financièrement. Aujourd’hui , ce n’est plus tout-à-fait le cas. Le CSA renvoie certaines d’entre-elles pour qu’elles soient traitées par le CDJ (Conseil de déontologie journalistique) qui, lui, ne peut pas aller jusqu’à sanctionner financièrement. Pourriez-vous m’indiquer si tout ceci est bien exact?

CSA : Oui et non. Le CDJ a été créé en 2009 (Note de la rédaction: De 2009 à 2014, le gouvernement Rudy Demotte II rassemble les partis socialiste, écologiste et social-chrétien). Depuis lors, toutes les plaintes qui portent sur des questions exclusivement déontologiques sont traitées par le CDJ uniquement. Quant aux plaintes mixtes, c’est-à-dire qui recouvrent à la fois des enjeux légaux et des enjeux déontologiques, le CSA doit les transmettre au CDJ pour avis.
La législation est cependant formulée d’une manière peu claire sur ce qui se produit une fois que le CDJ a rendu son avis.
Le CSA a toujours considéré qu’une fois l’avis reçu, il gardait la possibilité de traiter la plainte à son tour sous son angle légal.
À l’origine, ceci n’était pas critiqué par le CDJ. Mais depuis quelques années, le CDJ a adopté une autre position et estime que les avis qu’il rend dans le cadre de la procédure dite « conjointe » épuisent la compétence du CSA pour encore se prononcer sur le volet légal de la plainte.
Un récent arrêt du Conseil d’État a suivi cette interprétation du CDJ.

Le CSA respecte bien sûr cet arrêt, qui se fonde sur la rédaction équivoque de la législation, mais il regrette ses conséquences, puisqu’il aboutit, en pratique à ce que la grande majorité des plaintes portant sur des programmes d’information (qui comportent presque toutes un enjeu déontologique selon le CDJ) soient soustraites à la compétence du CSA.
Au-delà du rabotage de ses compétences, le CSA déplore surtout le fait que, dans tous ces dossiers qui ne sont donc plus traités que par le CDJ, la régulation par une autorité administrative indépendante habilitée à prendre des sanctions contraignantes et susceptibles de recours devant le Conseil d’État cède la place à une autorégulation par une instance dépourvue de pouvoir de sanction, et dont les décisions ne sont pas attaquables devant le Conseil d’État.
Cet arrêt a aussi pour effet de produire un effet « deux poids, deux mesures » puisque, concrètement, une émission de divertissement, pourtant moins impactante pour les publics qu’une émission d’information, pourrait être plus lourdement sanctionnée en cas d’infraction qu’une émission d’information qui ne relèverait plus que de la seule autorégulation.

QUESTION : Quelles sont précisément les plaintes qui, ainsi, ne sont plus traitées par vous ?

CSA : Toutes celles qui concernent, ne fût-ce qu’en partie, la déontologie dans l’information, y compris, donc, les plaintes mixtes qui concernent également le (non-)respect de la législation audiovisuelle. Un exemple concret : si, durant une émission d’information, un invité tient des propos ouvertement racistes, le CDJ considérera que, s’agissant d’une émission d’information, le problème comporte une dimension déontologique et que l’avis qu’il rendra – et qui n’aura tout au plus qu’un effet infamant – épuise la compétence du CSA.
Jusqu’à l’arrêt du Conseil d’État, une fois rendu l’avis du CDJ, le CSA aurait encore pu traiter la plainte sous son aspect légal et appliquer une véritable sanction, comme par exemple une amende.

QUESTION : À quelle date, cette évolution s’est faite ?

CSA : L’interprétation restreignant les compétences du CSA au profit du CDJ a été formalisée pour la première fois en 2018 par la RTBF, qui partage la position du CDJ. Elle se retrouve dans une décision du CSA du 8 mars 2018 (2). Elle a été entérinée par le Conseil d’État dans un arrêt du 15 avril 2025 (3).

QUESTION : Y-a-t-il des traces d’un débat parlementaire à ce sujet? Quelle était la composition du gouvernement à cette époque?

CSA : Le décret de 2009 qui a institué le CDJ et mis en place la procédure dite « conjointe » ne découle pas d’une initiative gouvernementale mais d’une initiative parlementaire. L’idée était, à l’époque, de mettre en place une autorégulation de la déontologie journalistique après avoir constaté une lacune en la matière lors du cas « Bye bye Belgium ». Ceci peut expliquer la rédaction maladroite du décret. Les travaux parlementaires parlent d’une volonté d’éviter un « double contrôle » sur les éditeurs mais ils ne disent nulle part que l’intervention du CDJ dans un dossier mixte a pour effet d’épuiser la compétence du CSA.
Depuis l’arrêt du Conseil d’État du 15 avril 2025, la Ministre des Médias a indiqué qu’il lui semblerait opportun que, si le décret était modifié, il le soit à nouveau sur la base d’une initiative parlementaire. À ce stade, plusieurs parlementaires ont manifesté leur volonté de déposer une proposition de décret modifiant le décret de 2009 mais rien n’a encore été déposé.

QUESTION : Quels étaient les arguments présentés pour demander pareille évolution majeure ?

CSA : En 2009, la création du CDJ a été justifiée par la nécessité de pouvoir intervenir par rapport à des manquements déontologiques qui n’étaient pas vraiment couverts – ou alors seulement marginalement – par les compétences du CSA (comme cela était apparu lors du dossier « Bye-bye Belgium »). Lorsque le CDJ a revendiqué son interprétation actuelle du décret, son argument a été qu’il fallait éviter que les éditeurs fassent l’objet d’un double contrôle.
Le CSA estime cependant qu’en pratique, l’interprétation du décret qu’il défendait n’entraînait pas vraiment de double contrôle : d’une part, parce que les deux instances contrôlent le respect de normes différentes, et, d’autre part, parce que, dans les rares cas où les normes contrôlées par les deux instances sont proches l’une de l’autre, le CSA est assez raisonnable pour tenir compte de l’avis du CDJ au moment de prendre sa propre décision.
Il est cependant vrai que la rédaction maladroite du décret peut, en cas de lecture littérale, mener à l’interprétation du CDJ. C’est la raison pour laquelle le Conseil d’État y a fait droit.

QUESTION : Votre correspondant en France, l’ARCOM (l’ancien CSA) applique-t-il une règle analogue?

CSA : C’est assez différent en France, comme partout ailleurs en Europe. La Fédération Wallonie-Bruxelles est la seule entité d’Europe qui impose au régulateur, dans le droit, une coopération avec l’organe d’autorégulation de la déontologie journalistique en cas de plaintes touchant à la fois au domaine de l’autorégulation (déontologie) et de la régulation (règles décrétales). La situation est unique, et elle l’est encore plus depuis l’arrêt du Conseil d’État qui a pour effet d’épuiser les compétences du régulateur en cas d’avis rendu par le CDJ sur une plainte mixte.

QUESTION : Si une évolution à cette situation devait avoir lieu, cela passe-t-il par le gouvernement, par le parlement?

CSA : Le Gouvernement pourrait parfaitement adopter un projet de décret modifiant le décret de 2009 pour clarifier l’articulation des compétences du CSA et du CDJ, et le soumettre ensuite au Parlement. Mais comme dit ci-avant, la Ministre des Médias préfère à ce stade s’en remettre à une initiative parlementaire.En tout état de cause, une clarification du décret apparaît comme hautement nécessaire car l’arrêt du Conseil d’État – outre qu’il dépouille le CSA de la majorité de ses compétences légales sur les programmes d’information – laisse toute une série de questions non tranchées et ne permet pas d’apaiser le débat. Par exemple, il ne définit pas ce qu’est un dossier mixte, ce qui laisse encore la porte ouverte à des contentieux.
Il ne tient pas compte non plus du fait que le CDJ est compétent pour déterminer ce qui tombe dans la déontologie journalistique et donc pour réduire discrétionnairement les compétences du CSA et le champ de la régulation.

Bernard Hennebert

Photos du dessus : Wen Chi Su photography

(1 ) https://www.asymptomatique.be/trump-la-rtbf-france-info-par-bernard-hennebert/

(2) RTBF décision Ambassadeur russe.pdf

(3) https://www.csa.be/144569/competences-csa-cdj-le-csa-prend-acte-de-la-decision-du-conseil-detat-et-appelle-a-une-clarification-legislative-pour-consolider-la-securite-juridique/

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