09 décembre 2025
A rire et à pleurer, à pleurer de rire WADESJAOUNON, CE PAYS PETIT ? par Françoise Nice
Où c’est qu’ils sont les compères St Nic et Père No ? Cachés dans le bois ? cherchez, attendez, espérez, tricotez de nouveaux visages et des chaussettes pour Marie et Joseph sur la Grand-Place de Bruxelles, cela forge une patience certaine et nécessaire. Ou faites des masques en carton moulé aussi beaux que ceux de Natacha Belova, tel celui de la petite Alice et ses yeux grand ouverts sur le réel et le rêve dans « Une traversée », faites ce que vous voulez, mais offrez-vous une soirée au Théâtre de Poche à Bruxelles. Allez voir le Belgian Cabareteke de Claude Semal et Eric Drabs.
La magie de tous les soirs dans ce théâtre-là, juste devant son entrée, c’est ce petit poêle à bois et ses braises ardentes qui la symbolise au mieux pour moi. Un théâtre, ce serait cela, sa salle et son foyer, (ses loges, ses bureaux), et en été les conversations qui bruissent sous la canopée. Maintenant, par temps frais, longer le resto tout proche, entendre au loin le dzim boum d’une boîte, et puis …
Entrer et retrouver une reprise amendée du « Belgian Cabaretje » porté par le formidable duo de Claude Semal, chanteur- compositeur et comédien et d’Eric Drabs, musicien et comédien itou. Ils chantent et jouent dans toutes les complicités de l’humour, mimétisme, farces, grimaces et clowneries avec ou sans accents. Ce registre-là alterne avec des passages plus sensibles.
Laurence Warin et Martine Kivits signent la mise en scène. Et « Belgian Cabareteke » nous embarque comme un air à l’orgue de barbarie, au piano bien martelé pour jouer et chanter « Petit petit petit petit pays/ pays petit ». Et si l’on s’en tient aux instruments, il y en a une belle série, clarinettes, guitare, guitare basse, dulcimer et balalaïka, ou du genre. Sans oublier l’harmonica. Ceci pour dire que les duos de sketches et de chansons de Claude et Éric sont présentés dans un écrin aussi soigné que le spectacle est chaleureux, et qu’on rit beaucoup à recevoir le guignol satirique, tendre, plein de réflexion aussi autour des images et ambiances belges brassées dans ce spectacle.
Brassées oui, ah mes mots devancent ma modeste pensée avec un mot qui va puiser dans la réserve de houblon. Bière et frites, vous y assisterez à la tragédie d‘une frite. Jamais je n’y avais pensé, être une lamelle de patate coupée, surgelée, jetée avec une foule de camarades dans une huile bouillante, oui, c’est atroce. Paroles : « Il pleut du sel, quel temps de m… il pleut de la mayonnaise maintenant, (…) podverddeke, j’ai été mangée ». Les costumes et accessoires d’Odile Dubucq sont efficaces et drôles. Vous en avez déjà conçu vous, des costumes pour jouer les betteraves, une moule ailée ou une frite qui se contorsionne ?
Brasserie, brasser les clichés de la belgité, de ce qui fait notre identité caricaturale, sans se noyer dans une cuve de moche mélancolie. Sans déblatérer ni juger grand-monde, sauf dans un sketch hallucinant et qui tape fort sur « la psychologie du coussin ». Semal est le chef gendarme qui apprend à son assistant (Eric) Van Appel comment on doit stimuler le retour des demandeurs d’asile déboutés et autres étrangers refoulés. Dans ce sketch, le grotesque est d’une férocité réaliste inénarrable. Vous verrez. Et en entendant ensuite « Semira », cette chanson écrite après la mort (à Saint Luc le 22/09/1998) de la jeune Nigériane Semira Adamu, sans doute, à ce moment-là, ce sera pour vous aussi la petite pluie lacrymale. Et penser, qu’est-ce qui a changé depuis cet assassinat perpétré par les sbires de l’état belge ?
Impossible de faire ici le compte-rendu de ce Belgian Cabareteke. Il n’y a rien de plus spontané et élastique qu’un duo d’humour, entre blagues de potaches, esprit satirique et fine sensibilité. Issu du Cabaretje de 2006, Claude Semal et son équipe ont revu le spectacle initial, supprimé et rajouté une chanson, réécrit l’une ou l’autre articulation. Et la force d’humour, et la réflexion politique progressiste – ah tiens on dit encore ça ? – en sourdine plus qu’en manifeste, opèrent magistralement. J’aurais aimé plus de références à l’actualité. Deux allusions à peine à nos guignols actuels. Nul doute que le carnet de route de Semal se remplit rapidement d’autres chroniques à chanter.
On rit, et avec Claude Semal et Eric Drabs, on se reprend à réfléchir à cette créature difforme à deux têtes et tant de strates institutionnelles alambiquées qui s’agglutinent et s’emmêlent, nom d’un skieven achitekt ! Une création nationale fragile, ce qui conduit les deux personnages sur le plateau à vouloir célébrer maintenant le 200e anniversaire de la Belgique, car s’il faut attendre cinq ans encore, peut-être qu’il n’existera plus ce sacré pays. Claude Semal réfléchit autour de ce « Pays petit » composé en 1979, m’a-t-il dit. Le folk singer, l’humoriste est aussi un militant de gauche, toujours journaliste de l’Hebdo « POUR » à « l’Asymptomatique » aujourd’hui.
En l’écoutant, en réécoutant « Le pays petit » ou « Europa », on entend la force de ses visions poétiques et politiques. Un vrai folk singer, comme on les appelait dans les années 60. Par les sombres temps qui courent, pas de temps à perdre, moins que jamais, il faut rire et réfléchir. Le public très enthousiaste, samedi à la sortie, était invité comme chaque année à acheter les crayons de solidarité de l’Union des artistes, mais aussi à acquérir le tout nouveau, « Le treizième album » de Claude Semal. Un cd qui s’ouvre avec « Bye-Bye Macron ». Je ne l’ai pas encore écouté, j’y reviendrai.
Françoise Nice
« Belgian Cabareteke », à voir au Théâtre de Poche jusqu’au 20 décembre. Bord de plateau le mercredi 10/12. (Photos Philippepetitjean et fni).


Bernadette Goossens
Posted at 17:32h, 09 décembreUn vrai plaisir, comme tous les spectacles de Claude et ses compères.