Bruxelles : VERS UN NOUVEAU PLAN D’IMMOBILITÉ

Pour cette rentrée de septembre, Bruxelles s’offre un nouveau “plan de circulation” dont l’objectif avoué… est d’empêcher les voitures de circuler. Et on ne parle ici que de “Bruxelles-Ville” (pour le moment).
Le plan repose sur un principe : l’automobiliste se retrouve dans une boucle partout où il pénètre” (Le Soir, 18 juillet 2022).
En 1967, sur un air de manège, Jacques Tati, ce génial précurseur, avait déjà fait tourner les voitures en rond dans “PlayTime”.
Mais il prétendait nous amuser, pas gérer nos “vrais” déplacements.
Ici, dans la novlangue institutionnelle, cette idée de génie est baptisée “Good Move” (“Bien se déplacer”) (rires dans la salle).
Et cette nasse à voitures est poétiquement surnommée “maille”.
C’est ça, comme dans les filets.
Nos marins-pêcheurs en ont prévu soixante-trois dans l’agglomération bruxelloise.
Quand même, concepteur de “labyrinthes pour voitures”, quel beau métier !
– “Que veux-tu faire plus tard, mon petit ?”
– “Faire chier les automobilistes !
Et où seront ensuite rejetés tous les méchants “poissons” ?
Vers la “petite ceinture”, cet ensemble de boulevards et de tunnels qui, comme un micro périph’ parisien, cernent tout “le pentagone” de Bruxelles-Ville.
Gouverner, dit-on, c’est prévoir. On saluera donc l’audace conceptuelle qui consiste à lancer ce nouveau plan de “circulation” alors même que trois des principaux tunnels de la “petite ceinture” (“Porte de Namur”, “Trône” et “Arts Loi”) sont fermés au trafic, jusqu’à la fin de l’automne, pour cause de travaux.
Travaux qui viennent s’ajouter à ceux de la rue de Stalle, de l’avenue Van Volxem, du Quai de l’Industrie, de la Chaussée de Wavre, du Boulevard Général Jacques et de la chaussée de Waterloo – autres “axes de pénétration” importants dans Bruxelles.
Ce doit être ce que Young appelait la synchronicité.
Je n’ose donc même pas imaginer les embouteillages monstres qui en résulteront mécaniquement dès le premier septembre.

Ouïlle ! Voilà que j’entends déjà siffler vos balles de ping-pong à mes oreilles.
“… Poujadiste !” ” …Râleur professionnel !”.
J’ai même vu passer une boule de pétanque et un cochonnet (on me lit en vacances).
“Automobiliste ! Libéral !” (Aïe ! Ca, ça fait mal ! Pas dans le dos !).
Pour une fois que le gouvernement bruxellois prend une décision forte et courageuse en faveur des piétons, des cyclistes et des transports en commun… tu le dézingues comme un vulgaire pétébiste populiste ou un chasseur de buffle brabançon abonné à la Dernière heure !”.
Du calme, du calme.
Certes, il n’est pas totalement exclu que je devienne sur le tard un vieux con (cela arrive aux meilleurs d’entre nous).
Mais il ne faudrait pas non plus que le récent mantra macroniste (“… Je vais les emmerder !” (1) ) devienne le nouveau vade-mecum des politiques publiques.
Faire chier les gens, cela n’a jamais fait une politique.
Et si l’objectif était de privilégier les transports en commun, on aurait au moins pu accompagner cette réforme d’un geste fort en ce sens.
A l’heure où l’Allemagne et l’Espagne testent de nouvelles politiques tarifaires “presque gratuites” pour le rail, à l’heure où des dizaines de villes françaises se sont mises aux transports en commun gratuits (comme Lille, Dunkerque et Montpellier…), cela aurait permis d’apporter quelques pistes de “solutions” avant d’aggraver sensiblement les problèmes. Ici, on ne retiendra évidemment que les emmerdements annoncés.
Comme l’a admis lui-même Philippe Close, le bourgmestre de Bruxelles, “cela va secouer”. Ben oui. À ton avis ?

Mais au delà de ce que j’appellerai charitablement “un problème de communication”, ce qui est mis en œuvre là, c’est une certaine “politique de mobilité” dont je ne suis pas sûr de partager toutes les prémisses ni toutes les orientations.
La plupart de ces politiques publiques se basent en effet sur ce postulat : l’usage d’une automobile relèverait d’un “choix”. Il suffirait donc de “faire chier les automobilistes”, jusqu’à ce qu’ils changent de moyens de transport pour sauter avec joie dans un train, un tram ou un métro. Or cela me semble une pure vue de l’esprit.
Il y a en effet des dizaines de professions ou de situations pour qui l’usage des transports publics reste impossible ou aléatoire. Parce que les transports en commun sont ce qu’ils sont. Parce ce que ces travailleurs doivent transporter de lourdes charges, ou parce qu’ils travaillent à des horaires très particuliers, ou parce qu’ils habitent à Houte-si-plou.
Comme les déménageurs, le personnel de l’HORECA, le personnel d’entretien, les gardiens de nuit, les plombiers, les serruriers, les électriciens, les couvreurs, les vitriers, les médecins, les infirmières, les livreurs… et les intermittents du spectacle.
Ils sont ainsi quelques dizaines de milliers, à Bruxelles, pour qui la voiture est d’abord un outil professionnel.
A tous ceux-là, il faut ajouter les déplacements domestiques “privés” que les impératifs de la vie familiale ou l’absence de transports en commun ont aujourd’hui rendu indispensables. Si vous faites vos courses hebdomadaires dans une “grande surface”, comme beaucoup d’entre nous, votre caddie ne rentrera pas dans le tram. Et votre fils de dix ans n’ira pas à son club de foot à Berghem en taxi (pas le mien, en tous cas).

Ces politiques publiques me semblent en outre incarner une vison de plus en plus “localiste” de la ville : un “enfermement” symbolique (mais de plus en plus concret) dans le ghetto d’un quartier (les fameuses “mailles”).
J’adore mon quartier à St-Gilles, j’y fais la plupart de mes courses à pied, mais enfin, je me perçois avant tout comme “Bruxellois”. Des communes comme Ixelles, Schaerbeek, Boitsfort et Bruxelles-Ville font depuis toujours partie de ma “géographie personnelle”. J’y ai vécu, j’y ai travaillé, j’y ai des amis, je connais leurs cafés, leurs places, leurs magasins et leurs salles de spectacles. D’une certaine façon, je m’y sens “chez moi”.
Or administrativement, j’y suis de plus en plus souvent accueilli comme un “étranger”.
Les parkings payants, confiés à des sociétés privées, assurent aux communes de grasses rentes de situation. Mais s’ils sont pratiquement gratuits pour les riverains, leurs tarifs sont carrément prohibitifs pour les autres habitants de Bruxelles. A Schaerbeek, c’est 50 euros par jour ! Imagine-t-on ce que cette somme représente pour un chômeur qui touche 900 euros par mois ? “Ma ville” s’est ainsi très sensiblement “rétrécie” aux quelques rues autour de mon propre quartier.
Autrefois, j’allais par exemple souvent répéter à Schaerbeek avec mes guitares et mes amplis. Aujourd’hui, c’est à la fois plus rapide et moins couteux d’aller répéter à Rebecq, à 25 kilomètres de Bruxelles ! Ce qui quand même un peu schtroumpf.
Le local technique de ma compagnie théâtrale, où est entreposé notre matériel de son et d’éclairage, est malheureusement situé à Laeken, au-delà de la Basilique. Il faudra désormais compter deux heures aller-retour pour s’y rendre. Nous eussions sans doute été mieux inspirés de louer un local à Tubize. Allo, quoi ?!
Ces deux exemples sont bien sûr un peu anecdotiques. Mais à l’échelle d’une région, ces problèmes de circulation finiront nécessairement par pénaliser l’activité économique de tous et la vie culturelle et sociale de chacun.
Quant aux éventuelles vertus “écologiques” de l’opération… je doute que la multiplication des embouteillages géants et l’allongement de la durée des transports soulagent vraiment les poumons de la Ville ou le foie de la planète.
Une fois n’est pas coutume, j’espère toutefois totalement me tromper.
Pour que dans ces “zones à circulation apaisée” (sic) fleurissent partout les rires des enfants joueurs, les jardins tropicaux suspendus aux lampadaires et les vélos coopératifs partagés avec des trottinettes à hydrogène.
Au lieu de ressembler, comme la Place de Brouckère après dix ans de palissades Sarajevo, au triste parking vide du Colruyt un dimanche après-midi.

Claude Semal le 19 août 2022

(1) Le 4 janvier 2022 dans “Le Parisien”, à propos des non-vaccinés.

La “petite ceinture” à Bruxelles

6 Commentaires
  • Marianne STASSE
    Publié à 21:01h, 11 septembre

    Hello Claude, Dans tous les travaux que tu as mentionnés, tu as oublié ceux près de la gare du midi pour le nouveau métro. Une catastrophe notamment pour les gens qui habitent Anderlecht et où beaucoup de gens semblent très malheureux de ce plan Good Move. En outre, ces travaux coûtent une fortune qui aurait été mieux investie dans des transports de surface et la construction de logements abordables qui manquent tellement à Bruxelles. Sinon … personnellement, mon compagnon et moi nous passons de voiture depuis 30 ans. À Bruxelles, vélo, transports en commun, marche à pied. Parfois Cambio. Parfois, location d’une camionnette. On fait des listes de courses et on ne ressort pas avec 3 fois plus que prévu. Lui fait presque tout en vélo avec sacoche adaptée. Moi, je préfère le sac à dos avec éventuellement un ou 2 sacs dans les mains. Nous buvons l’eau du robinet et peu d’autre chose, ce qui aide évidemment. Et … les enfants sont grands …. Si on avait une voiture, on devrait se priver de tellement d’autres choses … pour nous, bilan positif donc, sans se prononcer sur le détail du plan Good Move.

  • Semal
    Publié à 11:56h, 31 août

    Hello Manu,
    merci pour ta contribution. Selon Belstat 2022, il y a 0,58 véhicule automobile par “ménage” dans la Région Bruxelloise (contre une moyenne belge de 1,07).
    Tu m’interpelles “… vous, les automobilistes”. Mais à Bruxelles, je suis avant tout un piéton et un usager des transports en commun (qui doivent représenter ensemble 95% de mes déplacements). Je bénéficie en outre, comme tous les “jeunes” et les “vieux”, d’un abonnement STIB à 5 euros par mois, d’un incomparable rapport qualité/prix.
    Mais comme beaucoup de Bruxellois, je “panache” mes déplacements. Et parmi les “cyclistes”, beaucoup ont d’ailleurs AUSSI un véhicule à 4 roues.
    Toutefois, pour des raisons d’âge, de physique et d’intendance, sur lesquelles je ne m’étalerai pas (ouïlle!) je ne suis par contre plus du tout cycliste à Bruxelles, après l’avoir été plusieurs années, n’étant guère porté sur les sports de glisse, et ayant trop d’imagination pour négliger les effets d’un rail de tram ou d’une portière sur une roue de vélo (et celle des chutes à répétition sur mes vieux os).
    J’ai par contre découvert cet été, à la campagne, les vertus du vélo électrique, qui m’ont réconcilié avec les côtes et les pédaliers. Mais c’est un autre sujet.
    Si on partait du souci d’améliorer les déplacements en ville, pour les gens comme pour les marchandises, on aboutirait “logiquement” à privilégier pour l’essentiel les transports en commun et les deux-roues, comme tu le soulignes. Mais on laisserait aussi rouler les voitures individuelles et les véhicules utilitaires pour tout le reste.
    Or ce qui me semble absurde dans l’actuel plan de circulation, c’est qu’on semble moins se soucier du “mieux” circuler… que d’empêcher de circuler !
    Et cela, alors même que, pour tous les navetteurs qui habitent en dehors de la capitale, l’offre “chemin de fer” continue à diminuer (tant en nombre de gares qu’en nombre de voitures et de personnel). Pour les usagers quotidiens du rail, il y a donc visiblement de gros problèmes d’accès au réseau, particulièrement pour tous ceux qui doivent prendre une correspondance (et qui la ratent, pour cause de retards à répétition, parfois une fois sur deux).
    Tout cela en faisant la promotion, au niveau européen, de la filière des véhicules individuels électriques, ce qui va impliquer la liquidation de tout le parc automobile “essence”, des travaux pharaoniques d’équipement de la ville (installation de dizaines de milliers de bornes de rechargement)… pour une technologie qui risque d’être complètement obsolète dans quinze ans (si la filière “moteur à hydrogène” se confirme)! J’ai un peu de mal à voir où est “l’écologie” là-dedans, ou même simplement la logique et la raison.

  • Philippe Malarme
    Publié à 07:33h, 23 août

    Bruxelles pour les Bruxellois et les touristes, c’est un choix qui se respecte. J’habite en périphérie, j’ai mes habitudes au Public, au Music Village et dans quelques restaurants du centre-ville. Je ne me vois pas rentrer à vélo à Overijse à 23 heures en hiver.. Mais je suis têtu. J’ai prévu un resto en ville fin août et une soirée au théâtre début septembre. Je croise les doigts.

  • Thierry Abel
    Publié à 12:39h, 20 août

    Et mieux vaut être jeune, sportif et en bonne santé !

  • Jean-Philippe Gerkens
    Publié à 11:53h, 20 août

    La raison pour laquelle on essaye de diminuer la présence de l’automobile en ville n’est pas pour emmerder les gens mais bien au contraire pour que la vie du plus grand nombre s’améliore. Et quand je dis “vie” je parle en premier lieu de l’énorme tribut que payent les populations urbaines aux dangers directs et indirects de l’automobile. Rien qu’à Bruxelles, on parle de 150 tués et de milliers de blessés (un peu l’équivalent du terrorisme) chaque année. Et en années-vie perdues à cause de la pollution et du bruit, c’est énormément plus. On en serait à 10.000 morts prématurées liées aux particules fines, au bruit, aux composés organiques volatiles, etc.

    Cela sans parler des quantités d’espace public gigantesques dilapidées pour garer tout ce parc auto qui, durant 97% du temps, reste immobile. Dans une ville où la place manque. Que des enfants qui vivent entassés (quand ils ne sont pas confinés) n’aient pas la possibilité de jouer devant chez eux ou d’aller à l’école en sécurité au 21ème siècle ne ressemble pas à ce qu’on appellerait “le progrès” ou “la civilisation”, mais à une forme de régression technologique toxique. Bruxelles souffre cruellement de l’excès d’automobilisme, ce n’est pas une question d’idéologie de gauche, de droite ou environnementaliste. Parlons enfin du coût financier et technologiques de ces engins de plus d’une tonne qui carburent au diesel ou à l’uranium dans un contexte qui devrait nous pousser à la sobriété… Une tonne pour transporter un peï ou une meï de 100 kg à 12 km/h de moyenne. Y’a pas un problème avec ce brol ? Est-ce vraiment ça l’efficience ingénieuriale d’aujourd’hui ? Est-ce vraiment l’engin approprié au cout approprié pour une mobilité populaire et démocratique ?

    Et il y a un mot, Claude, que je n’ai pas lu dans ton article et qui peut faire une énorme différence pour la plus grande partie des gens: c’est le mot “vélo”. A Copenhague, 36 % des déplacements sont effectués à vélo et ça augmente encore. Aux Pays-Bas c’est pareil. Quand les trajets automobiles insensés auront disparu, il restera toute la place nécessaire pour les usages nécessaires de la voiture. Pour les gens (pères et mères de famille nombreuses, professionnels et autres travailleurs de nuit) qui ont déjà fait le choix du vélo, ce plan de mobilité ne va rien aggraver, bien au contraire….

    Pour terminer une petite chanson d’un type que tu aimes probablement bien et avec qui t’as peut-être gratté ta guitare :
    https://www.youtube.com/watch?v=NKmqfwbXqNc

    • Manu Berquin
      Publié à 15:08h, 24 août

      Je plussoie.

      Nous voyons au quotidien les effets de la pollution sur la santé des gens. Tu peux enlever les médecins et les infirmière de ta liste de ceux qui auraient absolument besoin d’une voiture: dans notre maison médicale, les médecins, kinés et infirmières font leurs déplacements à vélo. C’est plus rapide, on ne perd pas de temps à chercher une place, c’est bon pour notre santé physique et mentale et c’est un bon exemple pour les patients. Et je suis à 5 ans de la pension. S’il ne restait que les utilisateurs impératifs sur les routes, ce serait beaucoup plus calme.

      Par ailleurs, en tant qu’automobiliste, tu ne représentes que 47% des Bruxellois: 53% des ménages à Bruxelles n’ont pas de voiture (par choix ou par manque de revenus) et se débrouillent autrement, et la proportion augmente chez les jeunes.

      Alors bien sûr qu’il faut améliorer les transports en commun, les aménagements cyclables, et il aurait mieux valu que ça se fasse sans travaux en même temps. Mais au total, ça va dans le bon sens, vers une ville appartenant à ses habitants et pas aux machines.

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