« CABOTS MORDUS » par Françoise Nice

Grouille-toi grand frère, le théâtre brille / De ses mille feux, de ses millions d’efforts.
Combien de fois l’avez-vous manipulée, remonté son petit ressort, entendu surgir la musique et regardé danser le couple de mariés, ou cette ballerine en tutu et son partenaire ? la boîte à musique, boite à bijoux de votre grand-tante ou un jouet rien que pour vous quand vous étiez enfant ? La mélodie se répétait, simple, enjôleuse, entêtante. Et si ça se trouve, vous vous êtes disputés plus d’une fois avec ce frère qui voulait vous la dérober. Quelle musique faisait-elle encore ? un air baroque, une musique pour numéro de clown, un poème de Brecht mis en musique par Kurt Weil. Du blues qui racle bien nos émotions et notre arrière-gorge, rallume des souvenirs de jeunesse et bâtit des délires de cowboys ?

Boîte à musique ? non, au Théâtre des Martyrs à Bruxelles, avec « Cabot mordus » ce qui s’ouvre c’est la « boîte noire » du théâtre (comme l’appelait Antoine Vitez) où se jouent toutes les expériences, toutes les émotions des humains et de leurs personnages, d’Hamlet à …qui vous voudrez, par exemple Toto et Lolo, deux frères comédiens.
Et ils font quoi les acteurices derrière leurs rôles ? tournent en rond, galèrent pour attraper l’un ou l’autre contrat, même une prestation de faux serveur pour la réception d’un ministre ? vrai comédien et faux serveur, vrai serveur et faux comédien, mais galère assurée d’autant que les ministres savent eux aussi jouer la comédie, pour paraître pauvres et donc soi-disant impuissants pour trouver de quoi améliorer les besoins des acteurs ou d’un théâtre .

Photo Alice Piemme

Au Théâtre de la Place des Martyrs, dans un beau et simple décor à rideau rouge, la boîte à grands talents que nous ouvrent les deux amis Jean-Marie Piemme et Philippe fait jouer deux excellents comédiens, Fabrice Adde et Frank Arnaudon.
Avec une agréable complicité alerte ils interprètent la comédie drolatique écrite par Jean-Marie Piemme, un duo sur les états d’âme et le vécu de deux frères acteurs. Cling clang, ils se titillent, se chahutent, et se soutiennent en frères qu’ils sont, Louis l’aîné, le plus grand, et Victor, le petit quand ils étaient enfants, Lolo et Toto.
Parfois se chamaillent, ou se tombent dans les bras quand remonte un de leurs souvenirs d’enfance sous le portrait de leur maman. L’aîné joue du théâtre classique, et l’autre se réclame d’un théâtre plus radical, contemporain et qui le fait performer nu et peint en bleu. A -t-il tenu le rôle d’un schtroumpf ? rien n’est dit.

La partition se déroule, le jeu est très soigné : on embarque avec les propos moqueurs, grinçants, éminemment caustiques comme Jean-Marie Piemme nous y a habitués. Une petite tirade de Victor pour l’entame : « Ces messieurs-dames cultivés sont nos ennemis, ils vont à l’art comme on va à la selle, machinalement, mécaniquement, en héritiers qui bouffent le spectacle, chient trois commentaires stupides en sortant, tirent la chasse, – Et voilà mon dieu, cher ami, quelle merveilleuse soirée ! Et toi, tu veux que je balance quel texte à ces fienteux nautiques ? » Vous riez ? pas encore ? allez voir les “Cabots mordus” portés par Fabrice Adde (connu au théâtre et au cinéma ) et Frank Arnaudon, que Philippe Sireuil nous a fait découvrir dans « Le barbier de Séville » mis en scène par Anne Schwaller et ensuite dans sa mise en scène de « Figaro divorce ». Vous riez ? vos mâchoires grincent ? dans ces « Cabots mordus », j’ai retrouvé l’humour des vérités inconfortables que Jean-Marie Piemme épingle comme d’autres attrapent les papillons, et la force du savoir-faire de Philippe Sireuil, accompagnant le jeu, fignolant les lumières, et s’entourant de grands professionnels fidèles, Vincent Lemaire pour la conception et la peinture du décor. Sans oublier la musique originale de David Callas et la création sonore d’Eric Ronsse. La liste de l’équipe que je cite n’est pas complète, beaucoup de soin a également été apporté aux maquillages et dans la confection des costumes.

Remontez le petit ressort de vos mandibules et allez-y voir, ces « Cabots mordus » sont un bijou de talents combinés et de scènes surprises. Où s’évoquent, sur le mode hilarant tout ce qui peut dépiter, dégonfler, faire craquer l’égo et l’âme des comédiens. Le temps… « Cabots mordus » est une belle fable sur ce qui fait la force du comédien : affronter sa sensibilité, donc sa vulnérabilité d’humain. Par le rire bien sûr.
À Philippe Sireuil, qui signe ici, à ce jour, sa dernière mise en scène au Théâtre des Martyrs, que d’autres propositions et demandes lui soient adressées. À Jean-Marie Piemme, que son venin politique souriant voire hilarant coule encore et encore.

Françoise Nice (sur sa page FB et en libre lecture dans l’Asympto)

« Cabots mordus », au Théâtre de la Place des Martyrs à Bruxelles, jusqu’au 5 octobre. Et du 10 au 21 mars 2026. (Photo Alice Piemme)

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