
07 août 2025
COMMENT (NE PAS) EN FINIR AVEC LE HAMAS par Gwen Breës
Le 5 août 2024, le cabinet du Premier ministre israélien annonçait avoir « démantelé » 22 des 24 bataillons de la milice du Hamas, les brigades al-Qassam. Dès février, l’armée israélienne disait en avoir déjà « neutralisé » 18.
Si ces chiffres indiquent que le rythme est passé d’un bataillon détruit par semaine à un tous les six semaines, ils rappellent surtout qu’il y a un an, l’offensive touchait à sa fin. L’objectif de « défaire le Hamas » semblait accompli : « Nous sommes à un pas de la victoire », assurait Netanyahu en avril. Six mois plus tard, Yoav Gallant, son ministre de la Défense fraîchement limogé, déplorait la prolongation d’une guerre dont « les objectifs ont été atteints ».
Et nous voilà en août 2025, au 670e jour, avec une étrange sensation de sur-place…
Netanyahu annonce son intention d’occuper toute la bande de Gaza pour « vaincre totalement » cette fois, et même : « achever la défaite de l’ennemi » — car il ne suffit plus de « défaire »…

Accès à un tunnel du Hamas (photo IDF – Israël)
Le même jour, une lettre ouverte de 550 anciens responsables du système sécuritaire — espions, hauts gradés, diplomates — appelle à la fin des hostilités, affirmant que « le Hamas ne représente plus une menace stratégique ».
Le temps a-t-il été figé ? L’arithmétique nous dit que, s’il a fallu 303 jours à l’armée pour « démanteler » 22 bataillons, elle aurait dû venir à bout des deux derniers en une cinquantaine de jours, et se retirer en septembre 2024, en laissant « seulement » 41.000 morts palestiniens.
Les effectifs des brigades al-Qassam étaient estimés à 20.000 membres. En élargissant aux autres groupes armés (Jihad islamique…), l’armée avait potentiellement 30.000 cibles dans son viseur. En septembre 2024, elle disait en avoir tué 17.000 et arrêté 4500 — sans compter les « milliers de terroristes frappés d’incapacité ». À ce rythme-là, les 8500 derniers auraient été éliminés avant Noël 2024, ce qui aurait stoppé les combats au moment où il n’y avait « que » 45.000 victimes palestiniennes.
Cette logique comptable est évidemment absurde, mais révélatrice du flou persistant autour des objectifs militaires. Car tandis que les mois passent et que les victimes s’entassent, le mouvement islamiste ne bouge pas de place dans la rhétorique israélienne : il est « la seule partie responsable de la poursuite de la guerre »…
Affamer pour négocier ?
Quand Israël rompt la trêve, c’est le Hamas qui choisit la guerre : pour prolonger le cessez-le-feu, en mars, Netanyahu impose de nouvelles conditions non prévues dans l’accord. Le Hamas refuse, Israël reprend l’offensive.
Quand Israël affame Gaza, c’est pour convaincre le Hamas de faire la paix : le blocus total de l’aide humanitaire est une « pression » pour qu’il accepte ces nouvelles conditions de cessez-le-feu, alors qu’il avait globalement respecté la première phase de l’accord.
Lorsque ce blocus est partiellement levé, en mai, sous les pressions internationales, Israël et les États-Unis lancent la Gaza Humanitarian Foundation « pour empêcher le Hamas de s’emparer des vivres » — ce dispositif permet surtout d’écarter les agences humanitaires de l’ONU, de continuer à rationner la nourriture, de contrôler et déplacer la population gazaouie, ainsi que la soumettre au traumatisme et à l’humiliation de tirs potentiellement mortels…
Qu’importe si les agences de l’ONU affirment n’avoir jamais eu la preuve d’un détournement systématique de l’aide par le Hamas. Au diable les généraux israéliens interrogés par le New York Times, qui abondent dans le même sens. Honte à CNN, qui indique que même l’administration Trump n’a trouvé aucune preuve. Et tant pis pour Haaretz, qui cite des officiers israéliens assurant que le système de distribution de l’ONU était « largement efficace pour fournir de la nourriture à la population désespérée et affamée de Gaza ».
Quand des Gazaouis sécurisent un convoi, Israël y voit un détournement par le Hamas : fin juin, Netanyahu suspend provisoirement les livraisons dans le nord de Gaza, sous la pression de son ministre Bezalel Smotrich, qui menace de démissionner après la diffusion d’une vidéo montrant des hommes armés autour de camions humanitaires… Il s’agissait en réalité de membres de clans locaux venus éviter les pillages.
Quand la famine émeut l’opinion internationale, c’est le Hamas qui l’a inventée : selon le président israélien, « Il n’y a pas de famine causée par Israël. Il y a une pénurie fabriquée de toutes pièces par le Hamas. »
Au temps béni des colonies

Photo d’archive et de propagande du Hamas
Quand Israël veut occuper toute la bande de Gaza, c’est pour mieux la libérer : « Beaucoup de Gazaouis nous disent : “Aidez-nous à nous libérer du Hamas” », raconte Netanyahu, promettant d’exaucer leur voeu — en oubliant que son armée a continué à bombarder les civils de Beit Lahia, Jabalia ou Khan Younès, en mars et avril, quand ils manifestaient leur colère contre Israël et le Hamas, et faisaient face à la répression de celui-ci…
Quand des pays exercent tardivement de timides pressions sur Israël, c’est eux qui sont coupables de faire des « cadeaux au Hamas » et de l’inciter « à poursuivre cette guerre ».
C’est le Hamas, « obstiné dans son refus », qui porte l’entière responsabilité de l’échec des négociations sur un nouveau cessez-le-feu… Et qu’importe si plusieurs négociateurs disaient les pourparlers bien engagés avant qu’Israël et les États-Unis ne les enterrent, puis tentent de les relancer. Tant pis si la cessation totale des hostilités était un point de blocage récurrent pour Israël, qui n’a accepté de l’envisager qu’en échange d’un désarmement — refusé par le Hamas, sauf « dans le cadre d’un État palestinien indépendant », lui-même rejeté par Israël.
Au diable les observateurs qui rapportent que le Hamas s’est plusieurs fois dit prêt à renoncer au pouvoir, acceptant une proposition égyptienne selon laquelle Gaza serait administrée, dans un premier temps, par un comité placé sous l’égide de l’Autorité palestinienne et de forces internationales. Israël a dit non : pas question de laisser l’Autorité jouer un quelconque rôle…
Cette position n’a rien de surprenant, quand on se rappelle que c’est précisément pour torpiller la mise en place d’une autonomie palestinienne, tel que préfigurée par les Accords d’Oslo, que Netanyahu et d’autres dirigeants israéliens avaient favorisé l’émergence du Hamas comme organisation concurrente à l’Autorité palestinienne — exactement comme Israël le fait aujourd’hui, en parrainant de nouvelles milices pour affaiblir le Hamas…
Effondrement
Le Hamas est partout. Pourtant, il arrive à peine à négocier, tant le contact est difficile à établir entre ses représentants dans l’enclave et ses délégations au Qatar. Il ne gouverne plus grand chose. Il parvient de moins en moins régulièrement à verser des salaires dont le montant ne cesse de diminuer. Ses infrastructures sont en ruine, ses hauts commandants pour la plupart éliminés, ses membres dispersés. Dans un territoire contrôlé à 75 % par Israël, bombardé en permanence et surveillé par une nuée de drones, ses combattants restent cachés dans les 40% de tunnels encore intacts.
En mai, un réserviste israélien racontait à +972 Magazine que pendant sa mission à Rafah, son unité n’en a pas croisé un seul : « Nous sommes seulement tombés sur des ambulanciers », précisait-il en référence aux 15 ambulanciers et pompiers tués « par erreur » par des soldats israéliens.
Des « experts militaires » suggèrent que le Hamas, privé de hiérarchie centralisée, agit désormais en cellules de guérilla, commettant des attaques sporadiques, comme celle qui a coûté la vie à huit soldats israéliens, le 15 juin à Rafah.
Le 31 juillet, des images de l’armée israélienne ont circulé sur les réseaux sociaux, montrant des combattants se positionnant le long d’une route près de Khan Younès, pour tenter une embuscade. Repérés par un drone, ils ont pris la fuite dans un tunnel. Times of Israel parle d’une « cellule exceptionnellement grande » d’au moins 12 hommes armés.
L’Institute for the Study of War, un think tank néo-conservateur américain, estime que les brigades al-Qassam ne disposent plus que de deux bataillons capables de mener des opérations coordonnées et tactiques, dans les camps de Deir al Balah et de Nusairat…
Pulsions
Le chef d’état-major de l’armée est réticent à l’idée d’occuper Gaza : il estime qu’il faudrait encore un à deux ans pour venir à bout des capacités du Hamas. Et que cela exigerait la mobilisation de dizaines de milliers de réservistes — alors qu’ils sont déjà 300.000 à épauler les soldats de carrière, que 15 à 25 % d’entre eux refusent désormais de servir à Gaza, que l’usure et l’épuisement rongent les troupes…
L’entourage de Netanyahu balaie ces états d’âme : si le chef d’état-major « n’est pas d’accord, il devra démissionner ».
L’occupation impliquerait aussi d’envahir les dernières zones de l’enclave encore à peu près épargnées, et de « mettre en danger » les captifs israéliens, comme l’admet un ministre — alors que Netanyahu présente l’intensification de l’offensive comme la voie pour « libérer tous nos otages ».
Leurs familles, confrontées à la cruauté des vidéos montrant deux d’entre eux faibles et émaciés, jettent leurs dernières forces dans la bataille. Mais rien ne dit que cela suffira à briser l’indifférence du gouvernement. Il se pourrait même que la perspective d’en finir avec leurs mobilisations ne soit pas pour lui déplaire… Ces derniers jours, un député de la majorité, membre du parti de Smotrich, a dénoncé la diffusion de ces vidéos, qu’il juge « au service de la propagande du Hamas ». Une députée du Likoud a demandé aux familles de « se taire ». Et le ministre Amichay Eliyahu a déclaré que les otages devraient être considérés comme des prisonniers de guerre, « et qu’on s’occupe d’eux à la fin de la guerre ».
Toutefois, certains pensent que le projet d’occupation de Gaza est une énième manœuvre de Netanyahu — tel le Haaretz, qui y voit « une tentative désespérée de ramener le Hamas à la table des négociations ».
Mais l’État israélien, encouragé dans son jusqu’au-boutisme par l’administration Trump, ne répond peut-être plus qu’aux pulsions apocalyptiques de ses ministres messianiques, et au coup de force permanent d’un Premier ministre obsédé par ses procès et sa survie politique — le jour même où il annonçait vouloir occuper Gaza, son gouvernement approuvait illégalement la destitution de la procureure générale d’Israël.
Qu’il s’agisse de poursuivre le carnage ou d’enterrer toute idée d’autodétermination palestinienne, ceux-là trouvent dans le Hamas une justification à toutes leurs « ripostes », le garant d’une « guerre » que certains en Israël veulent « éternelle ».
Gwen Breës, le 7 août 2025
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(Sources : Haaretz, Check News Libération, New York Times, Times of Israel, Amnesty International, Al Jazeera, Washington Post, Washington Examiner, Reuters, Institute for the Study of War, Ynet, i24 News, Euronews, Palestine Chronicle, Le Monde)
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