
02 août 2025
COMPLÈTEMENT BOUCHEZ par Gwen Breës
Reconnaître l’État de Palestine ? Soutenir des sanctions européennes envers Israël ? Des sanctions ciblées contre ses dirigeants ? Interdire le transit d’armes vers ce pays qui rase Gaza et annonce sans détour l’annexion de la Cisjordanie ? Bannir l’importation de produits issus des colonies ?…
En Belgique, trois partis de la coalition fédérale reconnaissent qu’un génocide est en cours et exigent des actes. Deux freinent. L’un, catégoriquement : c’est le Mouvement réformateur (MR), principal parti de droite francophone du pays. Ou plus précisément, son président : Georges-Louis Bouchez.
C’est la première fois que j’écris son nom. Je m’y suis toujours refusé, comme on évite de nourrir un troll en le nommant. Mais ce n’est pas tant son omnipotente personne qui nous intéresse ici que ses dernières déclarations, où il franchit un seuil d’opportunisme et de normalisation du cynisme d’État rarement assumé avec autant de franchise — bien que ce cynisme mûrisse probablement dans l’esprit d’autres responsables politiques internationaux. Mais d’abord, un peu de contexte pour les non-initiés à la politique belge…
Bouchez, c’est un type qui clive, provoque, éructe et gesticule pour capter une attention qu’on a bien tort de lui donner en retour. Une sorte de disciple de Sarkozy et Trump du Borinage. Fervent relais des éléments de langage de la hasbara, il réfute le terme de génocide à Gaza parce que la population palestinienne aurait « quadruplé depuis 1940 ». Il crie au « coup de génie » lorsqu’Israël fait exploser 5000 bipeurs livrés au Hezbollah, sans se soucier des milliers de victimes collatérales ni de la violation infligée au droit international — qu’il prétend soutenir.
Sous son influence, le MR — qui se voulait jusque-là atlantiste, fidèle au multilatéralisme, économiquement libéral et sociétalement conservateur — opère depuis 2019 une radicalisation qui vise à préempter un espace laissé vacant par l’extrême droite. Et voilà qu’en pleines vacances, le gouvernement fédéral, dont les ténors se réjouissaient il y a dix jours d’avoir fait passer un vaste paquet de mesures antisociales et sécuritaires, se fissure sur une question de politique étrangère.
Tandis que le Premier ministre se repose en Afrique du Sud — ça ne s’invente pas —, des partis d’opposition demandent une réunion exceptionnelle du Parlement, et la perspective d’une majorité alternative sur Gaza n’est plus à exclure. Bouchez menace : cela « signifierait la fin du gouvernement ».
Alors que la France, le Royaume-Uni, le Portugal, la Slovénie, Malte, le Canada et l’Australie ont récemment annoncé leur intention de reconnaître l’État palestinien, et que même l’Allemagne s’y met, Bouchez s’entête. Il n’y voit qu’une « erreur » susceptible d’infliger à la Belgique « l’infamie de se faire féliciter par le Hamas ».
Qu’importe si la coexistence de deux États souverains est inscrite dans le programme de son parti, et si près de 70% de la population belge estime qu’il faut imposer des sanctions à Israël. Les sanctions ne sont que « des symboles qui plaisent aux opinions publiques nationales mais n’amènent pas de solutions ». Et de toute façon, la priorité est de « sauver des vies en rétablissant la situation humanitaire et un cessez le feu permanent et définitif ». Comment ? En essayant « de mettre les gens autour d’une table ». Étant donné que celui qui sera capable de faire asseoir Netanyahu autour d’une table avec des Palestiniens n’est pas encore né — ou plutôt si, mais il s’appelle Donald Trump —, on devine que l’attentisme de Bouchez consiste surtout à caresser le gouvernement d’extrême droite israélien dans le sens du poil… Et par la même occasion, à draguer les adeptes de la « guerre de civilisation » qui, au-delà du cercle restreint des inconditionnels belges d’Israël — dont le MR accueille quelques figures dans ses rangs —, concerne un large électorat islamophobe.
La nouveauté, c’est que Bouchez ne se dit plus opposé aux sanctions par principe — après tout, la Belgique en applique bien contre la Russie. Il invoque soudain un autre argument pour ne pas y recourir : « Si nous imposons des sanctions, les contrats seront repris par des entreprises américaines. J’en ai marre que nous soyons les dindons de la farce. »
Nous y voilà. Le problème n’est plus l’efficacité des sanctions, mais qu’elles risqueraient de coûter cher à certaines entreprises.
Au moins, cette déclaration a le mérite de la clarté : ce qui compte, ce ne sont pas les vies, la justice, ni même la paix. Ce sont « les contrats ». Si, pour les préserver, il faut tolérer les massacres de civils, la destruction de tout ce qui fonde une société et l’œuvre des bulldozers qui rend un territoire invivable pour les générations à venir, alors qu’il en soit ainsi. Et tant pis si cela suppose d’accorder à Israël une impunité qui dynamite les cadres juridiques internationaux.
Bien sûr, on pourrait aller un pas plus loin que Bouchez et extrapoler cette logique aux contrats à venir… Car le gouvernement israélien lance de nombreux projets de construction de routes et d’extension de colonies en Cisjordanie. Et plus personne n’ignore les intentions israélo-américaines de transformer Gaza en Riviera, en mini-Dubaï, ou encore d’y réimplanter des colonies — comme le revendiquent ces Israéliens ultra-orthodoxes qui marchaient, jeudi, aux portes de l’enclave pour revendiquer « une maison sur la mer, les pieds dans l’eau ».
Si, pour obtenir ces nouveaux marchés, il faut tolérer la déportation de la population gazaouie, après l’avoir enfermée dans des camps, alors qu’il en soit ainsi. Qu’importe si cela suppose d’épouser le jusqu’au-boutisme d’un État colonial, en légitimant une annexion illégale. Et tant pis si cela inflige à la Belgique « l’infamie de se faire féliciter » par un gouvernement suprémaciste et ses hordes de « colons extrémistes », dont certains pays n’hésitent plus à qualifier les actes de « terroristes ».
Cette logique tragique, nous devons la combattre de toutes nos forces, dès qu’elle pointe le bout du nez, en Belgique comme partout ailleurs.
Gwen Breës le 1er août 2025 sur sa page FB et dans l’Asympto avec l’aimable autorisation de l‘auteur.
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