DANS LA GUEULE DU LOUP par Gwen Breës

« Phasage » et « gradualité » sont les termes militaires qui ont accompagné la pluie de bombes tombée cette nuit sur Gaza City. La 711ᵉ nuit. Celle qui compte déjà des dizaines de morts et de disparus. Celle qui inaugure l’invasion terrestre dans une ville que l’occupant veut vider de ses habitants. Et raser. Alors il « phase » le degré de cruauté en « intensifiant » les explosifs, comme si menacer et tuer étaient devenus ses seuls modes de communication. Partez, partez vers le sud, dit-il. Vous y trouverez des tentes, de la nourriture, des soins. Mais à force d’avoir déjà été déplacé dix, vingt fois, tout le monde sait que c’est faux. Au sud, il n’y a plus de place. Au sud, les mêmes mécanismes pervers ont été orchestrés pour que vous soyez en insécurité à tout instant : drones, snipers, missiles, hôpitaux saccagés, aide alimentaire pillée ou militarisée.
Tout le monde sait que quitter Gaza City, c’est ne jamais y revenir. C’est passer d’une gueule du loup à une autre : celle des camps qui mènent vers le désert du Sinaï, ou à une déportation « volontaire » au Sud-Soudan. Alors, malgré les tracts et les SMS de l’armée, malgré les bombes qui tombent « massivement », deux à trois cent mille habitants sont restés chez eux.

Pendant ce temps, le commandant de l’armée sait que l’ampleur du désastre grimpe à chaque étape, alors il implore encore son gouvernement de signer un cessez-le-feu. Mais comme rien ne se passe, il applique scrupuleusement les ordres, augmentant « graduellement » le degré de terreur infligé à une population déjà désespérée. Cette nuit, les détonations étaient tellement fortes qu’on les entendait de Tel-Aviv.
Le grand chef du régime colonial, lui, ne dévie pas d’un iota. Mais il doit préparer son opinion aux conséquences. Face à l’isolement croissant de son pays, il prône non pas la remise en question mais une économie autarcique… centrée sur l’industrie militaire. « Nous allons devenir Athènes et super-Sparte », promet-il, vendant à ses ouailles l’avenir d’un territoire tour à tour conquérant et assiégé. En oubliant qu’au terme de l’histoire, Sparte n’était plus qu’une petite ville insignifiante de province…

Et tandis que « Gaza brûle », comme se réjouit l’un de ses sous-chefs, que font les dirigeants de nos pays ? S’activent-ils pour mettre fin au saccage d’une ville multimillénaire, au massacre et à l’exode forcé de centaines de milliers d’êtres humains, qui se déroulent en ce moment-même ? Non. Il y a plus urgent : tandis que certains s’étripent sur la symbolique du drapeau palestinien, d’autres s’agitent pour forcer un festival de musique à réinviter un chef d’orchestre israélien. Dans la gradation de la complicité et de l’abjection, existe-t-il encore un stade supérieur ?

Gwen Breës sur sa page FB et dans l’Asympto

 

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