DÉPLACER ET DILUER par Rodrigue Collard (sur FB)

Allez, j’ai envie de me prêter au jeu aussi de l’analyse de la réponse de GLB, c’est la trend du jour (puis c’est plus calme à Nandrin)
Avant d’entrer dans le fond, rappelons le contexte factuel (pour ne pas se laisser perdre par la fumée rhétorique) :
→ La carte de stationnement pour personnes à mobilité réduite est personnelle et ne peut être utilisée que si la personne handicapée est présente. L’usage d’une carte périmée est invalide. Ce n’est pas discutable, c’est la règle officielle du SPF Sécurité sociale et des services régionaux. (handicap.belgium.be et handicap.brussels)
→ La RTBF a rapporté que le chauffeur de GLB a été verbalisé à plusieurs reprises pour usage d’une carte PMR périmée. GLB s’est défendu publiquement (« je n’ai rien à voir avec ça ») et l’affaire a été largement commentée.
→ Sur l’enregistrement, présenté par Vincent Flibustier : en Belgique, enregistrer une conversation à laquelle on participe n’est pas en soi une infraction, sauf intention frauduleuse ou de nuire. Le droit de la presse et la protection des sources encadrent en outre la publication d’informations d’intérêt public. Et même si la RTBF se dédouane, cela est bien dommage, car cela justifierait le fait qu’un média, public qui plus est, estime que cela en fait une publication d’intérêt général (serait-ce au final une auto-censure que de se dédouaner ?)

Avec ces bases, regardons sa « réponse ».

1) « Liberté de la presse = responsabilité » → écran de fumée
GLB ouvre sur un couplet morale/éthique.
C’est un déplacement de terrain : on parle d’un fait précis (l’usage d’une carte PMR, valide ou non, et par qui), il répond par une généralité sur « les médias irresponsables ». C’est un red herring classique : déplacer l’attention de la question vérifiable (carte périmée, présence de la personne PMR) vers un débat moral abstrait impossible à trancher dans l’instant. Pendant qu’on disserte, on n’examine plus la carte. Or la règle est claire et indépendante de ses états d’âme.

2) « Je suis victime d’un acharnement » → victimisation stratégique
Se présenter comme l’objet d’un « feuilleton ridicule » sert à pré-dramatiser toute critique comme du « bashing ». C’est un procédé d’inoculation : si je convaincs le public que tout ce qui vient de la presse est « acharné », je n’ai plus à répondre sur le fond. Mais ici, le fond est têtu : une carte périmée n’est pas valable, point. Que le conducteur soit son chauffeur n’efface pas la question de la chaîne de responsabilité autour d’un véhicule de fonction.

3) « J’ai donné 40 minutes d’explications et des preuves » → renversement de la charge de la preuve
Dire « j’ai tout expliqué » n’est pas une preuve. C’est une affirmation sur la procédure, pas un élément matériel. Les seules pièces véritablement pertinentes ici seraient : immatriculation, carte (validité), identité du titulaire, présence/absence du titulaire lors du stationnement. Les règles officielles exigent la présence du titulaire pour l’usage de la carte ; si ce n’était pas le cas, la discussion est close. Qu’il ait « proposé » des pièces ne dit rien de leur contenu ni de leur pertinence.

4) « Je ne fais jamais pression, je corrige des erreurs »… tout en dénigrant des journalistes « militants de gauche » → contradiction flagrante et ad hominem
Affirmer « je n’exerce pas de pression » et dans la même tirade traiter la SDJ/RTBF de « militants de gauche », c’est de la pression symbolique (discréditer l’interlocuteur au lieu de contester les faits). C’est un ad hominem qui évite la question PMR. Par ailleurs, des extraits audio circulent précisément parce que le ton employé est jugé coercitif ; que chacun apprécie, mais on ne peut pas simultanément dire « zéro pression » et dénigrer bruyamment l’équipe visée.

5) « Appeler en direct c’est normal, la RTBF m’a appelé en direct aussi » → faux équilibre
Mettre sur le même plan l’appel d’un journaliste (démarche professionnelle vers une source) et l’appel d’un responsable politique vers une rédaction au sujet d’un contenu en cours de publication, c’est une fausse équivalence. Dans un cas, on recueille des infos ; dans l’autre, on tente d’influer sur la couverture. Ce n’est pas illégal en soi, mais c’est du rapport de force, et ça s’appelle bien de la pression si cela s’accompagne d’invectives/menaces, ce que l’audio laisse entendre.

6) « Le CDJ est biaisé, donc inutile » → discrédit de l’arbitre pour éviter l’arbitrage
Plutôt que d’aller au Conseil de déontologie journalistique (CDJ) pour contester formellement, GLB dévalorise l’instance (« entre-soi ») et annonce que « ça ne répare rien ». C’est commode : si l’arbitre est illégitime par principe, je n’ai plus à produire mes preuves devant lui. Or la protection des sources et le cadre déontologique existent précisément pour arbitrer ces litiges, et la presse a des obligations (rectificatifs, droits de réponse) que le CDJ évalue. Dire « inutile » ne rend pas l’organe inutile.

7) « Diffuser une conversation privée = faute pénale » → juridiquement contestable
C’est là où son argument se fissure : en Belgique, l’enregistrement par un participant n’est pas pénal en soi sauf intention frauduleuse ; et la diffusion, lorsqu’elle relève d’un intérêt public (comportement d’un responsable politique envers la presse, véracité d’informations d’intérêt général), est couverte par le droit de la presse, sous contrôle a posteriori (vie privée, équilibre des intérêts). Présenter cela comme une faute pénale évidente est trompeur.

8 ) « La RTBF coûte 400 M€ / an, plus que tous les partis » → whataboutism budgétaire
Glisser la dotation de la RTBF au milieu d’un débat PMR + enregistrement est un whataboutism : on change de sujet vers le financement pour susciter l’indignation. Le coût n’a aucun lien avec la validité d’une carte PMR ou la légalité d’un enregistrement. C’est un leurre émotionnel.

9) « N’importe qui peut être accusé à tort du jour au lendemain » → appel à la peur
Le passage « ça peut vous arriver à vous aussi » vise à convertir un cas documenté en peur généralisée. Cela dissuade d’examiner les documents concrets (validité de la carte, présence du titulaire), pourtant au cœur du dossier. Les règles sur la carte PMR sont publiques et objectives ; si elles ont été violées, on peut le constater et le sanctionner, sans transformer l’affaire en fable sur « la réputation détruite ».

Mon verdict sur la posture de GLB

Son texte n’est pas une réponse au fond ; c’est une boîte à outils rhétoriques : victimisation, red herring, ad hominem, fausse équivalence, whataboutism, appel à la peur. À aucun moment il ne règle la question centrale : qui a utilisé quelle carte (valide ou périmée), dans quelles conditions (présence du titulaire ou non), alors que les règles sont limpides.
Sur l’enregistrement, sa thèse de la « faute pénale » est fragile au regard du droit belge tel qu’exposé par des sources spécialisées ; sur la déontologie, s’il estime que la RTBF s’est trompée, la voie cohérente est de saisir les mécanismes (droit de réponse, CDJ), pas de déclarer l’arbitre illégitime et d’essentialiser « les journalistes ».
En clair : la communication de GLB cherche à déplacer et diluer. Tant qu’on parle « idéologie des médias », « coûts publics », « militants de gauche », on ne parle pas de PMR, et c’est précisément l’objectif.

par Rodrigue Collard (sur FB)

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