
23 septembre 2025
EDMOND, ANDRÉE ET BORIS par Pierre Gillis
Il était un avocat, tire-lire-lire,
Il était un avocat, tire-lire-la.
Tous les Juifs il n’aimait pas, tire-lire-lire,
Tous les Juifs il n’aimait pas, tire-lire-la.
Les Noirs non plus, d’ailleurs. Edmond Picard, c’est le nom de l’avocat, fut d’abord un libéral étiqueté progressiste, avant de rejoindre les premiers bataillons du POB, le parti ancêtre du PS, qui en fit un sénateur. Il aimait les pauvres, dit-on, et souhaitait qu’ils pussent voter. Il était méchamment convaincu que si ces pauvres avaient des problèmes, c’était la faute aux Juifs, et que l’âme belge, dont il se sentait imprégné et qu’il a puissamment célébrée, exigeait qu’on en extirpe toute trace de judéité, métastase du cancer qui ronge la société. National, socialiste et pathologiquement antisémite, on sait qu’il eut d’ardents disciples – notamment du côté de la rive droite du Rhin –, qui placèrent un trait d’union entre national et socialiste. Edmond est mort en 1924.
Il était une institutrice, Andrée Geulen, c’est son nom. Bien qu’encore jeune, elle avait compris à quel point les idées d’Edmond étaient toxiques, et lorsque ses disciples passèrent à l’acte et se mirent à massacrer juifs et autres mauvais nationaux, pollueurs de la pureté raciale et idéologique, le sang d’Andrée ne fit qu’un tour, et elle entreprit de les sauver en les abritant des projets assassins, comme elle le put. Pas seule, avec ses camarades du Comité de Défense des Juifs, organisation de résistance affiliée au Front de l’Indépendance, le plus important des mouvements de résistance belge, celui dans lequel s’étaient investis les militants communistes. Le CDJ a sauvé près de 4 000 enfants juifs, dont 300 ont été pris en charge par Andrée. Andrée nous a quittés en 2022, jeune centenaire.
Il est une rue, qui se partage entre les communes bruxelloises d’Ixelles et d’Uccle, et qui portait le nom d’Edmond – qui fut un sénateur notoire, rappelons-le. La pestilence des opinions du raciste sénateur finit par déranger – au bout d’un paquet de décennies, et notamment grâce aux protestations d’autres avocats, eux-mêmes allergiques aux fondements brunâtres de la pensée picardienne, Foulek Ringelheim et Michel Graindorge, c’est leurs noms. Et la décision fut prise de se débarrasser du fumet fascistoïde, la rue Edmond Picard s’appellera désormais rue Andrée Geulen.
Il était un bourgmestre, celui d’Uccle, une des communes concernées, Boris Dilliès, c’est son nom. Boris n’aime pas, vraiment pas, les idées qui furent celles d’Andrée. Boris est un des hommes de main du président de son parti, GLouB, on ne cite plus son nom, lui qui s’inscrit dans la descendance de ceux qui, à l’époque, affirmaient préférer Hitler au Front Populaire, ceux qu’Andrée a combattus avec succès. La preuve que Boris et son chef exècrent les convictions d’Andrée, c’est qu’ils se sont fait les protecteurs des planificateurs et réalisateurs d’un nouveau génocide, celui que les gouvernants israéliens mettent en œuvre à l’encontre du peuple palestinien.
Boris a profité de l’inauguration officielle, émouvante et festive, du nouveau nom de la rue anciennement Picard pour poursuivre l’opération de détournement/retournement dont il est un des acteurs : celles et ceux qui dénoncent le génocide en cours à Gaza sont qualifiés d’antisémites par le tueur en chef, Benyamin Netanyahou, c’est son nom, et Boris et ses amis répercutent et répandent cette affabulation ad nauseam.
Au point de s’en prendre sur ce mode à la rectrice de l’ULB, Annemie Schaus, c’est son nom, qui avait tenu à assister à la cérémonie. L’institution qu’elle dirige et représente est accusée d’être « antisémite » parce qu’elle appelle un chat un chat, et un génocide un génocide. Ce faisant, elle s’inscrit dans la continuité de ses plus belles traditions, celles qui en ont fait un foyer de solidarité avec l’Espagne républicaine et un terreau de résistants.
La boucle est ainsi bouclée : la dénonciation de l’antisémitisme est recyclée au service d’une politique dont le fondement est l’apartheid, et l’aboutissement le massacre d’un peuple. Cette politique est l’odieux contraire de ce que firent Andrée et ses ami.e.s, lorsqu’ils ont combattu l’apartheid et le génocide antisémite perpétré par les nazis.
Je suis sûr que Picard aurait applaudi des deux mains ce contresens, ce méprisable tour de passe-passe. Un génocide peut en cacher un autre.
Pierre Gillis
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