LETTRE DE MON MOULIN (À CAFÉ) par Claude Semal

Ça commence sérieusement à puer la troisième guerre mondiale. Je me suis donc prudemment replié dans ma cuisine. Pour le moment, je ne suis pas encore caché sous la table, mais ça viendra. Notez bien, je n’y suis pas plus à l’abri là-dessous que partout ailleurs dans la maison. Mais au moins, je peux y faire du café.
Et c’est plus lumineux que la cave. Si je dois vous raconter l’apocalypse en direct, autant rester éveillé et garder les yeux ouverts. Et à défaut, je pourrai toujours récupérer le marc pour vous prédire l’avenir.

Un billet hebdomadaire n’est pas vraiment le format adéquat pour rendre compte d’une actualité qui change parfois de visage d’heure en heure. À peine aurais-je eu le temps de vous annoncer que Netan-voyou bombardait les installations nucléaires de l’Iran, que Trump ordonnait impérialement un fragile cessez-le-feu. Entretemps, les États-Unis avaient, eux aussi, furtivement balancé quelques bombes sur des centrales nucléaires iraniennes – mais ce crime de guerre (1) était parait-il destiné à « faire la paix », pas la guerre (Orwell, au secours !). Et les Iraniens avaient parallèlement eu le temps de prouver qu’ils pouvaient eux-aussi balancer des missiles balistiques sur les principales villes israéliennes – et que le fameux « dôme de fer » israélien avait parfois des allures de passoire. Une réplique à laquelle le gouvernement israélien n’est visiblement pas habitué. La guerre, oui : Israël bombarde où tu veux, quand tu veux, au Liban, en Syrie, en Iran, à Gaza – mais, en principe, par ses propres civils. Sauf quand ils sont otages à Gaza.

Cela nous a donné cette scène hallucinante où Netan-voyou pose devant un hôpital israélien touché par un bombardement iranien, et accuse l’Iran de « crime de guerre ».
Ce qui est assez gonflé de la part du mec qui a ordonné et programmé la destruction d’absolument toutes les infrastructures hospitalières de Gaza (35 hôpitaux, à vue de nez). Il en a même profité pour souligner combien sa famille avait elle aussi cruellement « souffert » des dommages de la guerre – parce que son propre fils avait dû « reporter » deux fois son mariage. Et non, même sous la torture, je n’avouerai jamais qu’il y a parfois des bombes qui se perdent.

Il y avait quelque chose de glaçant à entendre Donald Trump invoquer « dieu » à la fin de son allocution télévisée sur l’Iran. Cela allait bien au-delà du traditionnel « God bless America » (« Que dieu bénisse l’Amérique ») : « Je tiens à remercier tout le monde et, en particulier, Dieu, je tiens à dire que nous t’aimons, Dieu, et que nous aimons notre formidable armée. Protégez-les. Que Dieu bénisse le Moyen-Orient. Que Dieu bénisse Israël et que Dieu bénisse l’Amérique. » Voici les mots qui concluaient en effet le discours de Donald Trump censé « justifier » l’attaque des USA contre l’Iran. Du pur dialecte cul-béni de jus de cinglé.

Les trois pays engagés dans cette guerre éclair sont donc trois théocraties qui, comme au Moyen-Âge, prétendent toutes agir au nom de « dieu » (ou du moins avec son soutien) : Israël, l’Iran et les USA. Ce qui me rappelle furieusement la forte chanson de Bob Dylan : « With God On Our Side », traduite en français par Hugues Aufray – qui chante toujours à 94 ans – sous le titre de « Dieu est à nos côtés » (6). Je ne vous promets pas d’en faire autant (je parlais de l’âge d’Hugues Aufray) ;-).

Comme ce sont en outre trois pays qui se revendiquent de religions monothéistes, elles se réfèrent donc, en théorie, à la même entité divine (s’il n’y en a qu’une, il ne peut pas y en avoir trois). Sauf à considérer que, comme chez les Grecs, chaque ville aurait sa « divinité » protectrice particulière, voilà donc une théologie guerrière qui s’annihile d’elle-même. Car comment un même « dieu unique » pourrait-il défendre et protéger trois belligérants différents en train de s’entretuer ? La religion n’est pas seulement « l’opium » du peuple. C’est parfois aussi son shoot d’héroïne et ses amphétamines.

Je reprendrais bien un peu de café.

En France, le « conclave » sur l’âge de la retraite s’est soldé par un échec. Qui aurait pu le prévoir ?! (… points d’ironie, comme disait Irène). On se souvient pourtant que c’est au nom de cette prétendue « avancée sociale », soi-disant « concédée » par les Macronistes, que le Parti Fauxialiste a refusé, à cinq reprises, de voter la censure du pourtant très à droite gouvernement Bayrou. Retailleau, comme ministre de l’intérieur raciste et liberticide, difficile de trouver pire !
Le PS s’estime aujourd’hui « trahi ». Mais c’est d’abord lui qui a trahi le Nouveau Front de Gauche, qui était arrivé en tête aux élections de juin 2024, en ne censurant pas d’office un gouvernement réactionnaire et illégitime !
En « riposte », le Parti d’Olivier Faure annonce à présent qu’il va déposer… sa propre motion de censure (sic). Qui n’a aucune chance de passer, puisque Bardela a déjà prévenu que le Rassemblement National ne la voterait pas (à moins que Marine le Pen décide subitement le contraire, histoire de montrer que « c’est elle la cheffe »). Je suppose que le PS espère ainsi se repeindre en « opposition » de gauche avant les prochaines échéances électorales (les municipales en 2026, et les législatives n’importe quand, si Macron décide à nouveau de dissoudre les Chambres). Pas sûr qu’il y ait encore beaucoup de monde au balcon pour croire à cette fable-là.

Cette semaine, Raphaël Glucksmann présentait de son côté son « projet pour la France » (le même que pour la Géorgie ?) (2). Une sorte de « pré-candidature » à l’élection présidentielle – au moment même où son épouse, Léa Salamé, était désignée pour présenter le JT de 20 heures de France 2 à la rentrée. Ben voyons, pourquoi se gêner ?
Raphaël Glucksmann, dont la première épouse avait été Ministre des Affaires Intérieures en Géorgie et en Ukraine, pendant qu’il « conseillait » l’autocrate local, aime visiblement travailler en famille. Le népotisme n’a pas l’air de trop le déranger.
Son « pré-programme » a par ailleurs déjà évacué 21 des 30 propositions du Nouveau Front Populaire, ce qui lui donne un profil de centre-droit plutôt « européaniste », militariste (il préconisait de mettre la France en « économie de guerre » !) et très « anti LFI » – ce qui devrait plaire à l’aile droite du PS et à une partie de l’électorat macroniste.

Mais comme la France Insoumise elle-même, dont on connait la force de frappe et le savoir-faire en matière de campagnes électorales, est déjà dans les starting-blocks pour les prochaines municipales (ainsi que pour la prochaine présidentielle), je doute qu’une autre candidature « utile » puisse encore émerger « à gauche » entre la candidature (probable) de Jean-Luc Mélenchon et la candidature (probable) de Raphaël Glucksmann. Ils occupent leur créneau respectif : la « gauche de rupture » et la « gauche de droite ».
François Ruffin et Clémentine Autain ont pourtant annoncé, chacun de leur côté, une « candidature à la candidature », mais on ne voit pas très bien sur quelles forces politiques et sociales elles pourraient s’appuyer pour légitimer une quelconque onction démocratique. D’autant que le PCF présentera probablement de son côté l’inévitable Roussel – sauf si le Parti Communiste élisait une nouvelle direction, ce qui ne semble pas à l’ordre du jour.

La « surprise » viendra donc peut-être de la droite, où Dominique de Villepin, qu’on a vu très en pointe sur toutes les questions internationales ces derniers mois, vient d’annoncer la création de son propre Parti, la « France Humaniste » – ce qui ressemble furieusement à une « pré-déclaration » de candidature présidentielle.
Mais pour toutes les questions économiques et sociales, de Villepin, l’ancien premier ministre de Chirac, reste fondamentalement un homme « de droite ». Sauf s’il avait brusquement changé de logiciel, après avoir croisé l’esprit sain dans la cathédrale de Chartres, ou Saint Marx au Mur des fédérés, je ne le vois donc pas « mordre » sur le programme et l’électorat de Jean-Luc Mélenchon dans la gauche populaire. Ce sont plutôt les possibles candidatures macronistes de Gabriel Attal ou d’Édouard Philippe qui devraient être impactées par cette (éventuelle) nouvelle candidature.

Encore autre chose. Je ne sais pas vous, mais moi, cela me fait rire. Rima Hassan est entrée dans le TOP 50 des personnalités préférées des Français (IFOP, juin 2025) à la 44ème place, en doublant d’emblée Emanuel Macron à la 47ème (- 8). Ils ont certes tous les deux 30% d’opinions « positives »… mais Macron explose le compteur avec 70% d’opinions négatives !
De Villepin, lui, conforte sa première place à 54% d’opinions « positives » et, se voit peut-être déjà en haut du podium présidentiel (3). Il n’y a toutefois aucune corrélation réelle entre une image publique « positive » et les résultats électoraux effectifs. Pour preuve, Fabien Roussel (45%) et Anne Hidalgo (32%) on respectivement fait 2,28 et 1,75% dans les urnes ! Parce que les électeurs de droite aiment peut-être « bien » le côté chasseurs/police/BBQ/anti-LFI de Roussel, comme les électeurs de gauche saluent l’indépendance d’esprit « gaulliste » de Villepin – mais ce n’est pas pour cela qu’ils iront voter pour lui !
Un peu de lait, ou un morceau de sucre, dans votre café ?

Claude Semal, le 25 juin 2025

Nota Bene : pour suivre la situation à Gaza, je vous renvoie aux excellents articles de Gwen Breës dans l’Asympto (4). Et pour la situation en Belgique, allez lire l’article de Tony Demonte où il détaille les 15 façons dont le MR et les Engagés font les poches à tous les allocataires sociaux et aux travailleurs pauvres (5).

(1) Bombarder une centrale nucléaire est un crime contre l’humanité, car cela pourrait envoyer dans l’atmosphère terrestre des quantités importantes de matières hautement radioactives.
(2) Raphaël Glucksmann a travaillé de 2009 à 2012 comme conseiller spécial auprès de l’ancien président et autocrate géorgien Mikheïl Saakachvili, aujourd’hui en prison.
(3) https://www.ifop.com/publication/tableau-de-bord-des-personnalites-juin-2025/
(4) SOLSTICE D’ÉTÉ DANS L’ENCLAVE par Gwen Breës  HASBARA ET CRÊPES AU NUTELLA par Gwen Breës
(5) 15 MESURES POUR NOUS FAIRE LES POCHES par Tony Demonte (sur FB)
(6) Dylan/Aufray : « Dieu est à nos côtés »

Mon nom ne veut rien dire
Mon âge encore moins
Je suis pour tout dire
Un bon citoyen
J’admets sans réplique
Ce qu’on m’a enseigné
Je sais qu’en Amérique
Dieu est à nos côtés

Je l’ai lu dans l’histoire
Les Américains
Se couvrirent de gloire
Contre les Indiens
Ils les massacrèrent
Le coeur bien en paix
La conscience claire
Et Dieu à leurs côtés

Après la seconde guerre
On nous a appris
Les Allemands de naguère
Deviennent nos amis
De toute une race humaine
S’ils ont fait un bûcher
C’est de l’histoire ancienne
Dieu est à leurs côtés

Nous avons les bombes
Les plus perfectionnées
Que saute le monde
S’il faut le faire sauter
Un levier qu’on bascule
Un bouton à pousser
N’ayons plus de scrupules
Dieu est à nos côtés

Il y a un mystère
Qui revient toujours
Jésus notre frère
Fut trahi un jour
C’est tout un problème
À vous de décider
Si Judas lui-même
Avait Dieu à ses côtés

Maintenant j’abandonne
Je suis trop fatigué
Ma tête résonne
Je cherche la paix
Que Dieu nous la donne
Cette paix méritée
Que Dieu nous la donne
S’il est à nos côtés

3 Comments
  • Catherine Kestelyn
    Posted at 12:19h, 29 juin

    (collabOratrice)

  • Catherine Kestelyn
    Posted at 12:18h, 29 juin

    Excellent article, comme d’hab’!
    Et excellents collaborateurs (en plus de Bernadette Schaeck, collabiratrice – et pas que – qu’on ne qualifie plus), Gwen, Tony et bien sûr Bob.
    Bon weekend à tous & toutes, veillez à survivre à la canicule…

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