20 novembre 2025
MÉTIERS EN PÉNURIE ET FORMATIONS par Bernadette Schaeck
Métiers en pénurie : la faute aux chômeurs et aux autres allocataires « trop fainéants » ?
C’est une des bases de la construction du discours de l’Arizona.
Les gouvernements (fédéral, régional) veulent “enrôler” de force les chômeurs en fin de droit dans des formations dans les métiers en pénurie, ou les contraindre à accepter un emploi en pénurie. L’IWEPS a publié hier un nouveau numéro de sa collection Décryptage, consacré aux métiers en pénurie. Elle est intitulée « Métiers en pénurie : s’il suffisait de se former ! »
Que révèle cette analyse ?
– Les formations aux métiers dits « en tension » n’offrent pas nécessairement une insertion plus rapide ni plus stable sur le marché du travail.
– Les premiers emplois sont souvent précaires : intérim, temps partiel, bas salaires.
– Les inégalités de genre sont marquées : les femmes diplômées de ces filières connaissent une insertion plus lente, davantage de discontinuité et une qualité d’emploi inférieure à celle des hommes.
– Cinq ans après leur sortie, seul un tiers des diplômés semble encore travailler dans le secteur correspondant à leur formation initiale.
L’IWEPS conclut “ Il est urgent de questionner les conditions de travail et d’emploi dans les secteurs concernés, et de renforcer « l’employeurabilité » : la capacité des entreprises à attirer, stabiliser et valoriser leur main-d’œuvre” (1).
On accuse toujours les travailleurs ou les chômeurs de ne pas trouver d’emploi à cause de leurs supposées lacunes (dont le manque de formation).
L’étude évoque plutôt « l’employeurabilité », c’est-à-dire la responsabilité des employeurs dans la pénurie qu’ils créent eux-mêmes, en réalité.
Cela ne fera pas l’objet d’un reportage RTL à 410.000 spectateurs…
X X X X X X X

dessin Manu Schordia
Mais qu’elle est belle, leur insertion professionnelle ! L’Arizona les fait tourner dans son carrousel. Les bénéficiaires des CPAS engagés dans un contrat de travail article 60, le sont pour la durée strictement nécessaire pour ouvrir le droit aux allocations de chômage.
Jusqu’à présent, et sans entrer dans les détails, le temps de travail nécessaire varie selon l’âge : un an, pour les moins de 35 ans, un an et demi entre 35 et 50 ans, 2 ans à partir de 50 ans.
L’Arizona a décidé de modifier les conditions d’admissibilité aux allocations de chômage : elles seront les mêmes pour tous, quel que soit l’âge : un an.
Ce sera d’application à partir du 1er mars 2026.
Les plus âgées parmi les personnes sous contrat article 60 seront donc jetées plus vite que ce que leur contrat prévoyait au départ.
Exemple : une personne âgée de 51 ans au moment de son engagement le 1er juin 2025 devait travailler pendant deux ans. Son contrat devait se terminer le 30 mai 2027.
Elle sera jetée de son emploi à partir du 1er juillet 2026.
Les personnes concernées sont les plus âgées, celles que l’on qualifie comme étant “les plus éloignées de l’emploi ». Elles seront renvoyées vers les CPAS.
Si elles ont droit au RI (Revenu d’Insertion du CPAS), quelles seront les exigences du CPAS en matière de “disposition à travailler” ?
Seront-elles renvoyées vers le Forem (ou Actiris, VDAB, ADG selon la Région) ?
Ou bien le CPAS leur proposera-t-il ou leur imposera-t-il un nouveau contrat article 60 ?
Le carrousel de la précarité risque de tourner très vite, avec l’Arizona.
X X X X X X X
« Fraude sociale » en CPAS : Y a-t-il des chiffres fiables ? Rien n’est moins sûr.
La seule étude sur la fraude en CPAS a été commanditée par le SPP Intégration sociale et réalisée par Pwc en 2012 (lien en premier commentaire).
Quelques chiffres publiés par cette étude et quelques éléments d’analyse à ce sujet :
1.
4,59 % de fraudes en RI (Revenu d’intégration)
4,62 % en ASE (Aide sociale équivalente)
1,72 % en aide médicale
2.
Pour un montant moyen de 1.685 euros en RI et 1662 en ASE. Ca donne la mesure des montants dérisoires de fraudes. Des montants de fraudes de pauvres…
3.
Des chiffres très peu fiables :
– Établis sur base des réponses fournies par les CPAS eux-mêmes. Aucune fiabilité statistique.
– Un nombre de réponses relativement peu important : 283 CPAS (sur 589), soit 48 %
– Les CPAS ont mis en moyenne 20 minutes (!) pour répondre à l’enquête. C’est dire.
– Les réponses données par les CPAS sont souvent lacunaires, le rapport d’enquête n’étant en mesure de fournir que des « tendances générales », des « résultats indicatifs », selon les propres termes de l’étude.
– Les CPAS déclarent eux-mêmes avoir des difficultés à prouver les fraudes devant la Justice. Ils ne disposent pas de preuves suffisantes susceptibles d’être acceptées par les Tribunaux.
Pour 724 décisions de recouvrements, seulement 50 procédures ont été entreprises devant les tribunaux. Très interpellant, non ?
4.
Un des moyens de détection de la « fraude au domicile » consiste dans les visites à l’improviste. Nous sommes bien placés pour savoir à quel point ces “visites surprise” entraînent des retraits ou refus abusifs de RI ou d’ASE pour non-résidence.
5.
Des chiffres très bas de fraudes donc, en pourcentage de bénéficiaires et de montants, mais pourtant peut-être surévalués.
Pour toutes les raisons ci-dessus, il se peut que le pourcentage de fraudes soit plus bas que l’estimation qui en est faite.
6.
Très souvent, “à gauche”, lorsqu’on évoque la lutte contre la fraude sociale des pauvres, on rétorque que la fraude fiscale des riches, elle, n’est que peu ou pas combattue. Nous avons bien sûr raison de le faire.
Mais nous devons aussi avoir une position politique sur la fraude sociale des pauvres, sur la façon dont elle est traitée, sur ce que nous en pensons, et sur ce que nous proposons.
– Il y a fraude et fraude. L’ampleur, les moyens utilisés, peuvent être extrêmement différents.
– Nous ne devons pas avoir peur de dire que certaines fraudes ou prétendues telles sont ce que nous appelons des “fraudes de survie”. Que la fraude, souvent petite, est en quelque sorte parfois imposée par les mesures restrictives en matière de protection sociale au sens large.
– La lutte contre la fraude sociale (des pauvres) est réprimée de façon extrêmement dure. Récupération, retrait de l’aide, sanctions de plusieurs mois (c’est-à-dire que même si vous remplissez les conditions d’octroi, vous n’avez plus d’aide pendant plusieurs mois).
Pourquoi pas de peines alternatives, par exemple ?
Stéphane Moreau peut négocier une transaction pénale (payer pour ne pas être jugé, en somme). Un pauvre peut par contre se voir retirer tout revenu de survie pendant plusieurs mois.
– Au nom de la lutte contre la fraude sociale, chaque bénéficiaire est considéré comme un fraudeur en puissance, et en conséquence ce sont très souvent des personnes qui en remplissent toutes les conditions d’octroi qui n’accèdent pas aux droits.
7.
En Belgique, la “fraude sociale” regroupe tant les fraudes des employeurs que les fraudes des allocataires sociaux. Il serait temps de séparer les torchons et les serviettes.
Je ne me relis pas. Ceci est une contribution sans prétention.
Bernadette Schaeck (de l’Association de Défense des Allocataires Sociaux)
(1) Source : Décryptage, IWEPS, Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique, ” Métiers en pénurie, s’il suffisait de se former ! ”
dessin Manu Schordia


No Comments