POUTINE AU « PUBLIC », PHÈDRE AUX « MARTYRS » par Françoise Nice

Au Théâtre Le Public à Bruxelles, une adaptation du « Mage du Kremlin »
Poutine partout, Poutine nulle part ; Poutine nulle part, Poutine partout.

Plonger dans un alambic rempli de soufre : contrôle, peur, folie. Plonger dans un univers glauque, celui de Vladislav Sourkov, alias Vadim Baranov, le personnage de fiction qu’en a tiré l’ex conseiller politique et essayiste Giuliano Da Empoli dans son premier roman, « Le mage du Kremlin » (Ed. Gallimard). Ce livre fut écrit avant le début de la grande invasion du 24 février 2022.
S’immerger dans ce livre, en faire une adaptation pour la scène et la jouer avec Itsik Elbaz, c’est le pari lancé par Frederik Haugness. Sur la scène du Théâtre Le Public, vous verrez ces deux comédiens tenir le rôle de deux amis, Isidore et Ferdinand : ils jouent avec aisance et élégance une petite galerie de personnages ayant gravité au Kremlin, une plongée dans un monde ignominieux où la politique ne serait rien d’autre qu’un exercice de puissance occulte et maligne. Où l’on meurt ou se suicide, comme Boris Berezovski.

J’avais tenté de lire ce roman au moment de sa parution, il m’était tombé des mains. L’adaptation de Frederik Haùgness et Itsik Elbaz s’éloigne du roman de da Empoli. Avec l’aide de l’assistante Mathilde Bourguet, et du vidéaste Jean Goovaerts, ils sont parvenus à créer un spectacle qui mélange efficacement les scènes comiques, les moments de réflexion ou d’effroi. A l’entame du spectacle, Isidore et Ferdinand précisent qu’ils ne sont ni politiciens ni historiens. Et rappellent qu’en temps de guerre la vérité est la première victime.
Grâce au travail de recherche et de montage d’archives vidéo de Jean Goovaerts, on revoit quelques moments de l’actualité russe sous Boris Elstine et ensuite, depuis 1999, avec l’avènement de Poutine comme premier ministre et ensuite comme président. Il fut élu pour la première fois en mars 2000. « Le mage du kremlin » n’est pas un biopic sur Vladimir Vladimirovitch Poutine, mais un spectacle fondé sur les confidences du personnage imaginé par Giuliano da Empoli, Vadim Baranov. Et derrière ce nom, il y a une personne toujours vivante mais aujourd’hui en froid avec Poutine, Vladislav Sourkov, cet homme qui fut son conseiller pendant 17 ans, peut-être même celui qui l’a engendré-inventé.

Dans ce beau travail de Frederik Haùgness, Itsik Elbaz et leur équipe, j’ai retrouvé un peu de l’ambiance ambiance moscovite des trente dernières années. Une ambiance où le pouvoir rime avec apparat et mystère, où l’on ne sait pas ce qui se passe derrière les murs du Kremlin.
Voir cette création théâtrale vous amènera peut-être ensuite, rentré chez vous, à faire un retour sur ces années de fin brutale de l’Union soviétique en décembre 1991, de l’irruption du capitalisme sauvage, de l‘hyper inflation, de la souffrance des peuples et du changement de système, des deux guerres de Tchétchénie principalement.
Grâce à cette adaptation théâtrale, on retrouve ou l’on découvre une petite galerie de monstres au Kremlin. Et si Giuliano da Empoli n’est pas l’écrivaine britannique Mary Shelley, si Poutine n’est pas Frankenstein ou le docteur qui a inventé le monstre, « Le mage du Kremlin » dans sa version théâtrale se veut une approche ouverte.
« Il faut réfléchir, être plus intelligents que ce qui nous est mis sous les yeux » dit Itsik Elbaz. « Je suis curieux des réactions des spectateurs : me dira-t-on qu’il s’agit d’un spectacle pro ou anti-poutine ? ».
A vous de voir ce thriller politique épicé de pincées d’humour et marqué par une belle complicité de jeu. Sans oublier que depuis février 2022, selon les sources disponibles, la guerre russo-ukrainienne aurait fait – au minimum – environ 50.000 morts ukrainiens et le double du côté russe. Et ceci sans pouvoir compter, mais sans oublier les blessés, les traumatisés. Et bien sûr les déplacés et réfugiés. Six millions d’Ukrainiens selon le Haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU, et semble-t-il plus d’un million de Russes.

Françoise Nice

« Le mage du Kremlin », adaptation, mise en scène et jeu de Frederik Haùgness et Itsik Elbaz, à voir au Théâtre le Public jusqu’au 22 juin.(Photos Gaël Maleux).

Photo Loan Bguyen

UNE PHÈDRE ! revisitée par l’humour décalé au Théâtre des Martyrs.
Fabuleux, drôle et intelligent…

Non mais ! Ils ne le savent pas, JD Vance, Elon Musk et DT, ah non, ils ne le savent pas, et pas plus Bartus en costard trois pièces à petits boutons, ou Manu Micron à la mèche bien brushée, eux et quelques autres, PoutPout aussi ou Bibi l’abominus qu’ils rendent involontairement au théâtre, au vrai théâtre, toute sa puissance, sa beauté et ses saveurs d’art global.

Oui, rire, on en a besoin, oui vivre une heure quarante de rires, de texte inspiré par la pièce de Racine, Phèdre ! Oui, découvrir comment une tragédie classique devient une comédie où l’on ne cesse de rire, où l’on reçoit les 36 facettes de l’humour décalé, pourtant en découvrant simultanément la force des alexandrins de Jean Racine. Un texte écrit par François Gremaud, une pièce interprétée par Romain Daroles, une création de la 2B Company venue de Suisse au Théâtre des Martyrs à Bruxelles.

A deux ils ont composé une adaptation libre et hilarante de la fatale aventure de Phèdre. Phèdre, cette femme qui se croit veuve du roi Thésée et qui se meurt d’amour pour son beau-fils Hyppolite. Facile à suivre ? oui, jusque ici. Il faut encore compter avec le rôle d’Oenone, une gouvernante un peu intrigante, et la présence récurrente d’un vieux domestique barbu.
Allez voir cette farce aussi hilarante qu’intelligente, ce one-man show, cette performance impressionnante. Dans le rôle d’un conférencier, Romain Daroles nous sert quelques bribes inaugurales de la généalogie des dieux et héros grecs, et ensuite l’histoire de cette Phèdre.
Il nous la raconte et l’interprète, tantôt racontant l’histoire, tantôt interprétant une petite série de personnages. Le décor, il n’y en a pas, juste une table sur le plateau, pas de musique, pas de jeux d’éclairages.
Non ! juste le jeu de Romain Daroles, avec un livre pour seul accessoire. Ce livre accompagne Romain, tantôt couronne de la souveraine, barbiche du vieux domestique, éventail ou que sais-je encore.

L’intérêt de cette pièce est qu’on y reçoit toutes les facettes du jeu comique : pour faire rire la salle, utilisez vos gestes, un accent, quelques mimiques, parodiques ou plus légères, et allez-y.
Le personnage de Thésée, quand il ressurgit parmi les vivants est bien tapé, fait de quelques rictus de rouleur de mécanique de l’une ou l’autre série.
Pendant cent minutes, sans s’abreuver ou reprendre son souffle, Romain Daroles nous balade entre l’Antiquité, l’art du théâtre au 17e siècle de Racine, et aujourd’hui. En cet instant où dans la salle, il joue ce spectacle pour la 550e fois. Il n’y a nulle trace d’usure ou d’automatisme dans le jeu.
Non, Daroles pétille, nous prend à partie et nous fait rire avec des techniques qui lui permettent de nous offrir un bon stand-up. Hier, après le spectacle, François Gremaud et Romain Daroles interrogés par Laure Tourneur du Conservatoire de Bruxelles, ont raconté comment ce « Phèdre ! » était à l’origine destiné aux publics scolaires puis s’est élargi à tous les publics.
Et que cette pièce fait partie d’une trilogie d’œuvres consacrées également à Giselle et Carmen, ces figures célèbres du ballet et de l’opéra.
Allez petits chanceux, en sortant du spectacle, on vous offrira aussi le texte édité par le théâtre Vidy de Lausanne. De quoi lire quand décidément, vous n’en pouvez plus devant le petit écran, ses atrocités et son grotesque. Et si en septembre, un de vos enfants vient vous dire : « Maman je veux devenir comédien », ne cherchez pas les coupables !

Françoise Nice

A voir au Théâtre des Martyrs à Bruxelles jusqu’au dimanche 18 mai et en 2026 à Namur.

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