RETOUR DANS UNE VILLE DÉVASTÉE par Gwen Breës

Le cessez-le-feu est intervenu trop tôt pour permettre à Israël d’effacer toute trace de Gaza City, mais trop tard pour éviter un assaut militaire particulièrement destructeur — preuve, s’il en était besoin, que la volonté américaine de forcer la signature d’un accord n’était pas motivée par des considérations liées au sort de la principale ville de l’enclave ni de sa population.
L’invasion terrestre et le pilonnage aérien n’auront même pas permis à l’armée israélienne de vider entièrement Gaza City de ses habitants. Par choix, ou faute de choix, certains sont restés sur place jusqu’au bout.
Comme d’autres l’ont vécu précédemment en rentrant à Khan Younès ou à Rafah, des centaines de milliers d’habitants reviennent à présent dans le nord de la bande de Gaza après un exil qui aura duré, selon les cas, plusieurs jours ou plusieurs semaines.
La situation qu’ils subissent en découvrant leur ville dévastée n’est pas due au hasard des combats : elle résulte d’une stratégie réfléchie et méthodiquement appliquée par le pouvoir israélien.
Pour tenter de comprendre les sentiments qu’ils éprouvent, voici des extraits de deux posts récents de Hani Almadhoun (Gaza Soup Kitchen), rédigés ces dernières 48 heures après des échanges avec des membres de sa famille de retour à Beit Lahia ou à Gaza City :

« Chaque maison que possédait notre famille a été détruite. Non seulement à Beit Lahia, mais aussi à Gaza City. Toutes, sans exception. Nos voisins subissent le même sort. Nous ne sommes pas seulement apatrides, nous sommes désormais sans abri.
Il y a quelques jours à peine, ces maisons étaient encore debout. Aujourd’hui, nous marchons dans des rues qui n’existent plus, sur des amas de gravats, de poussière et de cendres. Portes, murs, souvenirs — tout a été réduit à néant en quelques heures.
Cette opération génocidaire n’avait pas pour but de viser des combattants. Elle visait les maisons — systématiquement, délibérément, et à une vitesse foudroyante.
Des familles restent là, face aux ruines, accablées de chagrin, tentant de comprendre qu’il n’y a plus rien à quoi revenir.
(…)
L’un des aspects les plus douloureux du déplacement, ce n’est pas seulement de perdre sa maison — c’est de perdre son sentiment d’appartenance. On se réveille dans un lieu qui ne nous appartient pas. On ne connaît pas les gens autour de soi. On ne sait même pas qui sera à nos côtés demain. Il n’y a plus de voisins, plus de voix familières, plus d’histoire partagée.
On a l’impression de simplement passer, sans vraiment vivre. Les rues ne signifient plus rien. On ne se relie plus à ce qui nous entoure. La boussole intérieure s’éteint.
(…)
On recommence à zéro, sous les bombes, dans la pénurie et la peur. L’incertitude étouffe. On ne sait pas si le prochain repas arrivera. On ne sait pas si ceux qu’on aime survivront.
Quand cela arrive, on perd bien plus qu’une maison. On perd sa communauté. On perd des morceaux de son identité.
À Gaza, aujourd’hui, tout le monde est un étranger, et personne n’est vraiment “d’ici”, car chacun a été repoussé d’un coin à l’autre, encore et encore. Des quartiers entiers ont été dispersés. Il n’y a plus d’ancrage, plus de repères — seulement la survie.
C’est pour cela que tant de gens ont refusé de quitter leur quartier, même au prix du danger. Rester, ce n’était pas seulement défendre un bâtiment — c’était préserver la dignité, la mémoire, et les liens qui donnaient un sens à la vie.
Avec le temps, les déplacés ont compris une chose essentielle : si tu dois partir, ne pars pas seul. Pars avec ceux en qui tu as confiance. Reste près de ceux qui connaissent ton histoire.
À Gaza, certaines familles ont loué ensemble un bout de terrain, planté leurs tentes côte à côte, pour sauver ce qu’il restait de vie sociale, de solidarité, de communauté. Être déplacé, ce n’est pas seulement perdre un lieu. C’est perdre la part de soi qui y vivait. »

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Le 24 septembre, l’émission « QR » de la télévision publique belge consacrait son débat à la situation à Gaza. Parmi les invités, outre l’ambassadrice d’Israël, figurait l’Anversois Ralph Pais, cofondateur du Joods Informatie en Documentatiecentrum (JID). Celui-ci affirma, non sans un certain aplomb, que l’Union des Juifs progressistes de Belgique (UPJB) n’est pas une organisation juive et que 98 % de la communauté juive désapprouvent les propos tenus par son représentant sur le plateau, Henri Goldman — lequel saluait la reconnaissance de l’État palestinien et appelait à des sanctions renforcées contre Israël.
Ce discours de délégitimation est classique des soutiens inconditionnels d’Israël, qui, ces deux dernières années, n’ont cessé de mettre en avant leur représentativité en prétendant que « la très grande majorité des Juifs de Belgique refuse que la voix de la diaspora soit accaparée par des marginaux qui signent régulièrement des cartes blanches dans lesquelles la plupart des Juifs de Belgique ne se reconnaissent pas » (selon les mots d’un élu belge du Mouvement Réformateur, connu pour ses sympathies avec le Likoud de Benjamin Netanyahu).

Le lendemain de l’émission, une photo datée d’avril refaisait surface sur les réseaux : on y voyait Ralph Pais posant devant le Mur des Lamentations, à Jérusalem, aux côtés de Sam Van Rooy, député du Vlaams Belang, parti connu pour ses accointances avec l’idéologie néonazie.
Et puis, ce dimanche, un rassemblement se tenait à Bruxelles « pour soutenir le peuple d’Israël, la libération de tous les otages et la lutte contre l’antisémitisme ».
Il était organisé par « l’Alliance pour la paix au Moyen-Orient », une nouvelle plateforme qui revendique « les valeurs judéo-chrétiennes issues de la Bible hébraïque et des Écritures chrétiennes » et rassemble une centaine d’organisations juives et chrétiennes évangéliques — parmi lesquelles le JID de Ralph Pais.
Il serait évidemment trop rapide de faire de cette mobilisation un test pour mesurer si 98 % de la communauté juive partagent les positions de Ralph Pais et, plus largement, cette vision de « la paix au Moyen-Orient » qui ignore les musulmans en général et les Palestiniens en particulier. Il faut néanmoins noter qu’à trois quarts d’heure du début du rassemblement, moins de 500 personnes y avaient pris part. Il n’est donc pas du tout certain que la très grande majorité des Juifs — majoritairement laïques en Europe — souhaite que leur voix soit accaparée par des inconditionnels du régime israélien qui promeuvent le concept très trumpien de « solidarité entre le judaïsme et le christianisme ». Et c’est tant mieux.

Gwen Breës sur sa page FB et dans l’Asympto, avec l’aimable autorisation de l’auteur

P.S. La Libre Belgique et la RTBF ont annoncé 2000 manifestants, sans préciser si ce chiffre provient des organisateurs ni mentionner (une fois n’est pas coutume !) le chiffre de la police. Ce chiffre est totalement farfelu !

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