UNE QUESTION DE TIMING ? par Gwen Breës

Netanyahu et Trump en désaccord, ça n’arrive pas tous les jours. Quand l’un dit le matin qu’il n’y a « pas de famine, pas de politique de famine à Gaza », et que l’autre lui répond l’après-midi qu’il n’est « pas spécialement d’accord », qu’il y a « une véritable famine » et qu’on ne peut « pas faire semblant »… c’est peut-être le signe d’une bascule.
On ne peut exclure que ce différend soit en réalité concerté, tant le timing pour l’afficher laisse songeur : pile-poil au lendemain du début des vacances parlementaires en Israël. Au moment où toute perspective d’une motion de censure ou d’une convocation de nouvelles élections est repoussée jusqu’à mi-octobre.

Or, les déclarations de Trump décrivant la situation à Gaza comme un « chaos total », conseillant à Israël d’agir « d’une manière différente » et n’excluant plus de conclure un accord de cessez-le-feu avec le Hamas — qu’il avait pourtant fait mine d’enterrer ces derniers jours —, esquissent un éventuel changement de stratégie… qui risque de ne pas plaire aux partenaires de gouvernement de Netanyahu. Mais le Premier ministre dispose désormais d’un espace de manœuvre : il peut risquer des décisions qui feraient chuter son gouvernement, quitte à renaître une énième fois, tel un Phénix, en forgeant une nouvelle majorité avec d’autres partis.

Samedi, Netanyahu (Likud) n’a d’ailleurs pas invité ses alliés ultra-orthodoxes à la réunion où il a décidé d’augmenter l’aide humanitaire et d’instaurer des « pauses » dans les bombardements… officiellement, « il ne voulait pas qu’ils profanent le Shabbat ». Itamar Ben Gvir (Force juive), ministre de la Sécurité nationale, est furieux : « À ce stade, la seule chose qui devrait être envoyée à Gaza, ce sont des bombes : des frappes aériennes, l’occupation, l’incitation à l’émigration et la victoire dans la guerre. »
À l’inverse, Bezalel Smotrich (Parti du sionisme religieux), ministre des Finances, est plus pragmatique : il voit dans le choix de Netanyahu « une mesure tactique » préalable à une campagne militaire plus large « contre le Hamas ».

Cela ne transforme pas Netanyahu et Trump en faiseurs de paix. Mais n’oublions pas que l’un cherche à se maintenir au pouvoir à tout prix et à se protéger de la Justice, tandis que l’autre pense à son Prix Nobel, à l’électorat MAGA, aux accords avec les pays du Golfe et aux marchés qui peuvent s’ouvrir en transformant Gaza en « Riviera ». On peut donc imaginer que l’accord de cessez-le-feu soit remis sur la table — comme l’indiquaient les déclarations des médiateurs égyptiens et qataris, en totale contradiction avec celles de Trump et Netanyahu.

Et si la suite du scénario s’avère cousu de fil blanc, on pourra alors s’attendre à une nouvelle phase de la « guerre » — moins sujette aux mobilisations populaires et aux pressions diplomatiques, davantage axée sur la déportation que sur l’extermination. Les bombardements quotidiens feront alors place à une « guerre » de plus basse intensité. Aux largages de colis alimentaires succéderont les projets de gouvernement militaire, de « villes humanitaires » — les camps — et « d’émigration volontaire ». Puis, la bataille qui ne manquera pas d’advenir entre vautours étatiques et immobiliers autour de la reconstruction de Gaza.

D’ici là, « nous pouvons sauver beaucoup de gens », assure Trump — ajoutant, dans ce qui sonne comme un aveu du manque délibéré d’aide alimentaire : « Nous allons avoir de la bonne nourriture, de la nourriture solide ». « Nous allons mettre en place des centres alimentaires où les gens pourront entrer librement, sans limites. Nous n’aurons pas de clôtures », conclut-il, paraissant contredire la stratégie israélo-américaine assignée depuis fin mai à la « Gaza Humanitarian Foundation ». Trump se garde bien de préciser si ces centres seront encore gérés par des sociétés privées, encadrés par des mercenaires, localisés de manière à déplacer la population vers le nord de l’enclave… ni si l’armée continuera à tirer à balles réelles sur leurs chemins d’accès.
Mais il est très probable que, dans l’esprit des dirigeants israéliens et américains, l’aide humanitaire reste un instrument utilisé à des fins stratégiques et militaires. Si un cessez-le-feu venait enfin à être proclamé — et respecté —, l’enjeu des mobilisations pour la Palestine sera de s’adapter à ces nouvelles réalités. Sans faiblir.

Gwen Breës le 28 juillet 2025
(sur sa page FB et dans l’Asympto, avec l’aimable autorisation de l’auteur)

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