UNE RUE ANDRÉE GEULEN par Gwen Breës

Dimanche 7 septembre, 11 heures du matin à Bruxelles.
Une petite foule se rassemble au coin d’une rue.
Située à cheval entre les communes d’Uccle et d’Ixelles, cette rue portait jusque-là le nom d’Edmond Picard (1836-1924), sénateur raciste et antisémite. Une cérémonie et organisée pour lui donner le nom d’Andrée Geulen (1921-2022), enseignante, résistante, communiste, membre du Comité de défense des Juifs — un réseau d’hébergement clandestin au sein duquel elle participa à sauver près de 300 enfants pendant la Seconde guerre mondiale.
Comme il se doit, les bourgmestres des deux communes prennent la parole. Celui d’Uccle, Boris Dilliès, profite de l’occasion « pour avancer ses pions sur l’échiquier politique », comme l’écriront quelques heures plus tard les filles, petits-enfants et arrière-petits-enfants d’Andrée Geulen, dans un communiqué dénonçant une « instrumentalisation ».
Car tout en évoquant sa vision de l’antisémitisme contemporain, Boris Dilliès accuse l’Université Libre de Bruxelles (ULB) d’être « une université antisémite ». Et il le fait devant Annemie Schaus, rectrice de l’ULB, présente dans l’assistance — ce qui fera dire à la famille d’Andrée Geulen : « Nous étions là pour honorer une femme, Mr Dilliès en a insulté une autre ».

Dilliès s’était déjà distingué par le drapeau israélien qu’il avait fait hisser sur la maison communale d’Uccle après le 7-Octobre, et qu’il avait laissé flotter alors que des milliers de Palestiniens avaient été tués et un million déplacé. On se souvient aussi des autopompes qu’il avait envoyées, à plusieurs reprises, contre les manifestants rassemblés devant l’ambassade d’Israël. Sans oublier les pressions qu’il a exercées, plus récemment, pour obtenir l’annulation d’un spectacle de Guillaume Meurice.
Ces actes lui ont valu d’apparaître parmi les « Justes » que Joël Rubinfeld, président de la Ligue belge contre l’antisémitisme, a répertoriés en juillet dans une tribune publiée dans « Marianne » et « Tribune juive ». Dans cette liste d’une trentaine de « compatriotes non-juifs » de Rubinfeld, on retrouve une brochette de personnalités libérales/conservatrices allant du centre-droit à l’extrême droite, et dont le point commun est moins d’être actives contre l’antisémitisme que d’être alignées sur les positions de l’État israélien et de défendre une « laïcité » qui cible particulièrement les musulmans. Qu’on en juge : Georges-Louis Bouchez, Georges Dallemagne, Corentin de Salle, Alain Destexhe, Denis Ducarme, Étienne Dujardin, Nadia Geerts, Drieu Godefridi, Merry Hermanus, Fadila Maaroufi, Jean Quatremer, Marcel Sel…
Bienvenue au club, monsieur le Bourgmestre.

Dimanche, vous n’avez pas détaillé ce qui vous permet d’affirmer que l’ULB serait « antisémite ». On se doute que vous visiez le fait que la direction de l’université n’a pas fait évacuer, l’an dernier, les étudiants qui occupaient un bâtiment du campus pour dénoncer le génocide à Gaza ; qu’elle a suspendu plusieurs collaborations institutionnelles avec des partenaires israéliens ; et qu’elle a respecté la procédure qui a mené des étudiants à choisir le nom de Rima Hassan pour nommer une promotion en droit.
Vos propos assimilant l’ULB à l’antisémitisme sur cette base relèvent d’un procédé rhétorique grossier. Le même qui transforme le drapeau palestinien et le keffieh en symboles islamistes, les résistants à des terroristes, les manifestations contre le nettoyage ethnique à des rassemblements pro-Hamas…
Joël Rubinfeld et une partie de vos amis sont coutumiers de cette méthode, qui vous rangent non pas du côté des « Justes » mais des complices. Les « Justes », s’ils existent, luttent contre toute forme de racisme, de colonialisme, d’injustice sociale. Comme Andrée Geulen. L’une de ses petites-filles déclara d’ailleurs, après avoir entendu votre discours : « Elle serait venue manifester cet après-midi pour soutenir le peuple palestinien. Ce qui se passe à Gaza est insupportable. Elle aurait trouvé ça tout aussi insupportable que ce qui s’est passé durant la Seconde Guerre mondiale. C’était une femme qui défendait tous les combats que nous, petits-enfants et arrière-petits-enfants, on essaye de transmettre. »
Quelques heures plus tard, une partie de la petite assistance devant laquelle vous avez parlé rejoignait l’immense marée humaine qui manifestait contre le génocide à Gaza. Fidèle à l’esprit d’Andrée Geulen.

Gwen Breës sur FB et dans l’Asympto, avec l’aimable autorisation de l’auteur.
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(Sources : Anne Herscovici, Lucie Cauwe, BX1, Kazerne Dossin)

EN COMPLÉMENT A L’ARTICLE DE GWEN, UN POST D’ANNE HERSCOVICI :

Le superbe discours de ma nièce, Julie Hellenbosch: Elle a dit l’essentiel.
Ma grand-mère n’a pas posé de bombes, pas fait de coups d’éclats. Elle ne se considérait pas comme une héroïne. Elle se voyait comme un maillon. Le maillon d’une machine au mécanisme bien huilé, un réseau où douze femmes, qui par leur travail méticuleux, leur courage, leur idéal de justice, ont mis à l’abri des milliers d’enfants. Sans tambour ni trompettes.
80 ans plus tard, les combats sont encore nombreux et le courage des femmes n’est pas en reste. Aujourd’hui encore, elles font bouger les lignes :
– En Belgique, où elles représentent la majorité des personnes hébergeant des sans-papiers, faisant fi des visites domiciliaires et autres sanctions potentielles.
– Au Moyen-Orient, où des femmes comme Nava Hefetz, une rabbin militante pour la paix et les droits humains, ou Ghadir Hani, une palestinienne israélienne – pour ne citer qu’elles – militent ensemble pour la justice et la paix.
Ma grand-mère ne se considérait pas comme une héroïne. Elle a fait ce qui lui semblait juste. Comme beaucoup de femmes aujourd’hui. Baptiser cette rue du nom d’Andrée Geulen, c’est donner de la visibilité à tous ces actes courageux qui se font dans l’ombre, à toutes ces femmes qui placent le bien commun avant leur propre intérêt. C’est donner de l’espoir aux filles et aux femmes d’aujourd’hui et un modèle aux combattantes de demain ! »

ET CE COMMUNIQUE DE LA FAMILLE

Ce 7 septembre 2025 s’est déroulé un événement important pour notre famille, mais bien au-delà pour la société belge et le travail de mémoire. La rue Edmond Picard, à cheval sur la commune d’Uccle et d’Ixelles, a été rebaptisée rue Andrée Geulen. Edmond Picard (1836-1924), avocat, écrivain, sénateur, fut surtout, comme le rappela très bien Foulek Ringelheim dans un de ses ouvrages*, un raciste et antisémite enragé, un « préfasciste ».
Andrée Geulen (1921-2022) était notre mère, notre grand-mère, notre arrière-grand-mère. Mais c’était aussi et surtout une résistante. Ce petit bout de femme, alors institutrice de 21 ans, décida de rejoindre le Comité de défense des Juifs aux côtés d’autres hommes et femmes, notamment Ida Sterno et Yvonne Jospa. Elle participa à cacher et sauver près de 300 enfants juifs.
Ce 7 septembre 2025, une cérémonie officielle a marqué ce changement de nom. Ils étaient nombreux à venir célébrer « Madame » Andrée avec nous. Amis, famille, élèves de rhéto de Decroly, enfants cachés, juifs, non juifs, étaient là, heureux de se retrouver pour honorer une femme qui s’est battue pendant et après la guerre pour défendre les opprimés, quelles que soient leur origine, leur religion, leur couleur de peau. Car son engagement pour la paix s’est poursuivi jusqu’à sa mort en mai 2022 à l’âge de 100 ans.

Des hommes et des femmes se sont exprimés pour honorer Andrée. Boris Dilliès, Bourgmestre MR d’Uccle, a quant à lui profité de son statut et de sa prise de parole pour avancer ses pions sur l’échiquier politique, en accusant l’ULB d’être une université antisémite, jetant dans la boue sans la nommer, une autre femme présente ce matin, la rectrice de l’ULB, Annemie Schaus.Cette polémique regrettable n’avait aucunement sa place à cet événement. Nous étions là pour honorer une femme, Mr Dilliès en a insulté une autre. Nous étions là pour partager un moment de bonheur et de souvenir. Nous en sommes ressortis heurtés.

Nous refusons cependant de ne retenir de ce moment que cette instrumentalisation regrettable. Nous voulons retenir les retrouvailles, l’amitié, les paroles justes, l’émotion partagée, les arrière-petits-enfants tirant sur le drap pour dévoiler la plaque commémorative, les chants réconfortants de la chorale de la rue de la victoire.
Chaque fois que nous passerons dans cette rue, nous penserons à la détermination d’Andrée, et plus largement à toutes celles qui résistent, qui tiennent bon, malgré les coups bas et les insultes, à ces femmes qui défendent le libre examen, le dialogue, le débat, la tolérance, la solidarité, la paix entre les peuples — quels qu’ils soient — et surtout, qui ont le courage de la nuance.

Anne et Catherine Herscovici, filles d’Andrée Geulen
Agnès et Pierre Burniat, Julie et Bruno Hellenbosch, petits-enfants d’Andrée Geulen
Théophile, Simon, Charlie, Alice, Tom, Lola et Lison, arrière-petits-enfants d’Andrée Geulen

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