VOLS ET DISPARITIONS AU MUSÉE par Bernard Hennebert

Pour écouter l’article de Bernard lu par Jean-Marie Chazeau, cliquez sur le lien ci-dessous :

À l’occasion du vol récent déjà qualifié « du siècle » au Musée du Louvre à Paris, nombre de médias belges ont tenté de dresser un bilan « sécurité des œuvres » en Belgique – le plus souvent en interrogeant les musées eux-mêmes. Certains parmi ceux-ci n’ont-ils pas parfois caché un peu de poussière sous le tapis ? Comment savoir en effet si une œuvre a été volée dans nos musées fédéraux?
Il faut savoir que certaines listes des œuvres non exposées temporairement ne sont plus vraiment « gardées à jour ».

BELSPO est l’organe qui gère la « politique scientifique » du gouvernement belge (ce qui inclut les musées fédéraux). Le 9 juillet 2025, celui-ci confirme par écrit à l’asbl « La Ligue des Usagers Culturels » (L.U.C.) qu’autrefois, les musées fédéraux tenaient à jour la liste des œuvres qui n’étaient pas présentées temporairement au public, mais que ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui : « La plupart des musées disposait de cette liste dans le passé et en dispose encore parfois, mais il est vrai qu’il est de plus en plus difficile de garder ces listes à jour. En effet, nos musées doivent malheureusement faire face à des contraintes importantes, tant en termes de budget que de ressources humaines ».

En visiteur actif des institutions culturelles fédérales depuis tant d’années, j’ai mon idée sur quels musées n’ont plus leur liste à jour. D’où ma question suivante adressée par écrit à BELSPO, le 19 juillet 2025 : « Vous indiquez que certains musées en disposent encore parfois (à l’heure actuelle). Puis-je savoir de quels musées il s’agit précisément? ».
Ma demande reste sans aucune réaction et, finalement après un rappel, BELSPO m’écrit, le 2 octobre 2025… pour ne pas me répondre sur le fond. Cette thématique « n’est pour l’instant plus abordée car les décisions budgétaires forcent d’autres discussions plus pressantes avec les musées. Merci pour votre compréhension. Bien à vous. ».

Pas de liste mise à jour, c’est bien utile

L’argument financier si souvent invoqué pour justifier tout et n’importe quoi est parfois un alibi bien utile pour empêcher tout débat de fond ou toute évolution, même peu coûteuse. En fait, certains musées, dans ce cas-ci fédéraux, peuvent avoir intérêt à ce que ces listes des œuvres non exposées temporairement soient inexistantes ou officiellement pas « gardées à jour ».
L’aveu feutré de BELSO s’est fait au cours d’échanges sur le fait que ses musées auraient dû indiquer clairement à leurs futurs visiteurs AVANT qu’ils n’achètent leur ticket, quelles salles sont provisoirement fermées, et la liste des œuvres (au moins majeures) qui ne seraient momentanément pas exposées. Bien entendu, il est impossible d’en informer le public, s’il n’y a plus de listes mises à jour des peintures, des photos ou des sculptures mises provisoirement en réserve, ou parties pendant quelques temps en restauration, ou prêtées pour être exposées ailleurs.
Agissant ainsi, les musées fédéraux s’autorisent à ne pas respecter une obligation qui découle de la législation économique, qui s’applique pourtant bien à eux, puisqu’elle concerne tout ce qui se vend ou s’achète.

Par le passé, David H., un visiteur non averti de l’absence temporaire de « l’Empire des Lumières », avait demandé le remboursement de son ticket au Musée Magritte. Comme celui-ci le lui refusait, il fit appel au Médiateur Fédéral et, après de nombreux mois, il a finalement obtenu gain de cause. Cette peinture doit en effet être considérée comme « majeure », notamment parce que le musée en vend des reproductions sous forme de posters et de cartes postales dans son shop. Il la met en avant régulièrement dans ses publications… et, en 2008, lorsque le musée fut restauré, cette toile fut choisie pour figurer sur la bâche qui en couvrait toute la façade.

Après ce fait, les Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique (MRBAB) ajoutèrent le point suivant (toujours en vigueur en 2025) dans l’article 3 de leur « Règlement des visites » : « La fermeture momentanée de certaines salles ou l’absence ponctuelle de certaines œuvres d’art (en déplacement ou en restauration) ne donne aucunement droit à un quelconque remboursement ou réduction du prix ». Par contre, dans le même règlement, nulle part n’est indiqué que les musées doivent en informer les visiteurs avant l’achat de leur ticket.

Depuis, il y eut des avancées et des retours en arrière autour de cette question.
Ainsi, les MRBAB ont montré qu’il était matériellement possible de donner ces informations à l’accueil. Un reportage de trois minutes dans « Images à l’appui » diffusé le 21 juin 2021 sur RTL TVI le prouve. Un membre du personnel de l’institution s’y fait filmer pour montrer comment la personne à l’accueil peut prêter à tout moment au visiteur qui lui demande un feuille qui contient les titres des œuvres actuellement non exposées. Un avis placé sur le comptoir informe le public sur cette démarche (1). Hélas, cette procédure ne restera pas appliquée bien longtemps. Retour donc à la « non information » des futurs visiteurs. Avant un nouveau coup de théâtre.

La statue de l’île de Pâques au Musée d’Art et d’Histoire

Suite à une très longue pression de la L.U.C., Thomas Dermine (PS), alors ministre des musées fédéraux, impose à BELSPO, à côté des « Règlements des visiteurs » (dont le contenu définit surtout les devoirs plutôt que les droits de ceux-ci) la création d’une « Charte des visiteurs » (qui, elle, s’axe plutôt sur ces droits du public), avec une reprise des trois quarts des textes précis déjà formulés dans le « Code des Usagers Culturels » en 15 points que doivent appliquer depuis 2006 les près de 4.000 organisateurs culturels aidés par la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Pour être précis, le point 3 de cette « Charte des visiteurs » au fédéral est un copié-collé du point 3 du « Code des Usagers Culturels » de la Fédération W.B. : l’organisateur culturel ou le musée, selon les cas, doit « fournir aux usagers et usagères avant le déroulement de l’activité culturelle envisagée une information la plus complète qui ne comporte pas d’indications ou de représentations susceptibles de les induire en erreur, notamment sur la nature, l’éventuel prix d’accès, la durée et la date de l’activité ».

C’est grâce à ce droit précis que la L.U.C. a réussi à ce que le Musée de la Boverie soit obligé d’indiquer à son accueil les titres de ses œuvres les plus connues non exposées. Par exemple, ses célèbres peintures de Picasso, Gauguin, Chagall ou Ensor acquises par la ville de Liège lors de la vente dite « d’art dégénéré » de Lucerne en 1939. En ce qui concerne les salles fermées, la L.U.C. a également convaincu en 2022, après sept mois d’échanges de nombreux courriers, la Fondation (privée) Vasarely d’Aix en Provence, d’informer ses futur visiteurs, sur son site internet et au comptoir, qu’une de ses sept salles abritant des œuvres monumentales était en restauration – et donc inaccessible pendant de nombreux mois.

Grâce à la mise en application de cette nouvelle « Charte des visiteurs », la L.U.C. a pu assez récemment revenir à la charge auprès de BELPO pour savoir si ses musées fédéraux allaient enfin respecter leur obligation légale d’informer en détail les usager. Et c’est à ce moment-là que l’organisme fédéral s’est réfugié, pour ne pas répondre, derrière la « non mise à jour » de la liste des œuvres non exposées.

La nouvelle ministre est une « Engagée »

La baignoire de Marat est actuellement à Paris

Il conviendrait donc que la nouvelle ministre des musées fédéraux Vanessa Matz (Les Engagés) s’enquière rapidement après de BELSPO pour savoir si, oui ou non, ses institutions disposent de listes actualisés des œuvres exposées. Et qu’elle soit particulièrement attentive à ce que les musées fédéraux respectent enfin le point 3 de leur nouvelle « Charte des visiteurs ». Des parlementaires pourraient-ils l’interroger à ce sujet?

Il n’y a pas les musées de la rue de la Régence (musée d’Art Ancien, Musée Magritte) qui sont à montrer du doigt.
À plusieurs reprises, la célèbre statue de l’Île Pâques était manquante dans le fond permanent du Musée d’Art et d’Histoire, sans aucun avertissement aux futurs visiteurs. Et, actuellement, il faut déconseiller aux futurs visiteurs, dont de nombreux touristes pour les prochaines fêtes de fin d’année, de rendre visite aux MRBAB s’ils aiment tout particulièrement Jacques Louis David. Jusqu’au 26 janvier 2026, l’une de ses œuvres parmi les plus connues, « La mort de Marat », a été déménagée à Paris, pour une exposition se déroulant au Louvre.

Bernard Hennebert

(1) La séquence de « Images à l’appui » diffusée le 21 juin 2021 sur RTL TVi : https://www.facebook.com/watch/?v=287572189455953

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