VOTE CENSITAIRE À L’EUROVISION par Bernard Hennebert

Alors que les appels à boycotter la prochaine édition de l’Eurovision se multiplient, pour protester contre la participation d’Israël à ce Concours, pendant que les massacres continuent à Gaza et que la colonisation se poursuit en Cisjordanie,
Bernard constate que la prétendue « réforme » du Concours de l’Eurovision maintient un système de « vote censitaire » qui favorise la manipulation des votes du public. Par les gouvernements et groupes de pression qui en font un objectif directement politique. La prétendue « neutralité » du Concours, dont on peut par ailleurs s’interroger sur l’utilité, est évidemment dans ce contexte une vaste blague (C.S.)

VOTE CENSITAIRE À L’EUROVISION par Bernard Hennebert

Pour écouter l’article de Bernard lu par Jean-Marie Chazeau, cliquez sur le lien ci-dessous :

Le site Huffington Post le rappelle, le 20 mai 2025 : pour le concours Eurovision de la Chanson, le public peut « voter par trois canaux : le paiement par SMS, l’appel téléphonique ou la carte bancaire via internet ». Et chaque personne peut ainsi, en déboursant, exprimer ses suffrages pour un ou plusieurs artistes, presque jusqu’à plus soif. On est ainsi bien plus proche du vote censitaire… que d’un concours où les votants sont égaux entre eux. Le résultat d’une telle réglementation permet de mettre en avant les goûts de ceux et celles qui sont prêts à payer à de nombreuses reprises plutôt que de déposer un seul bulletin dans l’urne.
Pour rappel, le public ne peut pas voter pour le (la) candidat (e) de son propre pays.

En 2025, on commence enfin à se poser des questions à ce sujet. Mais pas vraiment parce que cette façon de faire privilégie les votants prêts à débourser, à plusieurs reprises, les frais liés à chacun de ces multiples votes.
Cet intérêt vient surtout du constat que ceux et celles qui soutiennent la candidate d’Israël, au cours de l’édition se déroulant à Bâle, voulaient à tout prix lui faire acquérir la place la plus élevée possible dans le palmarès. Cela sera en partie réussi, puisque Yuval Raphael, survivante de l’attaque du 7 octobre, arrivera en seconde position.

Le 21 novembre 2025, France Info s’inspire d’un communiqué de l’AFP pour annoncer que cette situation va évoluer. Le site titre son texte « L’Eurovision modifie les règles de vote après la controverse autour d’Israël ».
D’autres journaux vont dans le même sens. Par exemple, La Libre du 22 novembre 2025 : « Le soutien public massif attribué aux candidats israéliens ces dernières années a suscité la controverse ». Ces journaux n’indiquent pas dans leurs articles qu’il faille interdire à un pays de participer à l’Eurovision, mais s’interrogent plutôt sur la façon dont le public a été amené à voter pour sa représentante.

Ces précisions sur la cause de la modification du règlement sont intéressantes car on constate que le communiqué officiel de L’Union Européenne de Radio-Télévision (UER) fait l’impasse sur cette explication. Il n’indique pas précisément ce qui l’a finalement décidé à introduire de tels changements dans le vote du public. Il se permet juste un vague « Il est en effet important (que le concours) reste un espace neutre et qu’il ne soit pas instrumentalisé ». Ce qui peut laisser entendre qu’il l’ait été… Dans ce cas, par qui ? Par quoi ? Mystère et boule de gomme. Pour le savoir, le public ne pourra que s’en référer aux articles des médias et pas à ce long communiqué officiel qui ne cite à aucun moment Israël.

L’UER enfonce d’ailleurs encore davantage sa tête dans le sable en indiquant plus loin : « Nous restons convaincus de la validité et de la fiabilité du résultat de l’édition 2025 ». Mais alors, dans ce cas, pourquoi évoluer ? En fait, dans ce texte officiel, beaucoup est exprimé d’une façon vague ou indirecte. L’UER refuse ainsi d’expliquer clairement au public la raison de ses agissements et s’avère incapable de décrire publiquement et de façon précise ses faiblesses passées.

« Et » n’est pas un synonyme de « ou »

Le communiqué de l’UER annonce que « pour l’édition 2026, le nombre maximal de voix par mode de paiement (en ligne, par SMS et par téléphone) passera de 20 à 10. Les fans seront vivement encouragés à exprimer leur soutien en votant pour plusieurs prestations ».
Remarquons que le communiqué officiel utilise bien la conjonction de coordination « et » dans sa phrase « (en ligne, par SMS et par téléphone) ». Dans sa version anglaise, on a droit à un « and ».

Figurez-vous que l’article repris par France-Info le 21 novembre 2025, que je viens de citer, transforme ce « et » en un « ou », ce qui donne « Tous les habitants des dizaines de pays participants peuvent voter par téléphone, SMS ou en ligne »… Ce non-respect du texte du communiqué change fortement les possibilités de vote par individu.

Avec les « et » (la version officielle), chaque citoyen pourra ainsi voter, à partir de l’édition de 2026, jusqu’à 10 fois par téléphone, 10 fois par SMS et 10 fois en ligne, ce qui reste encore impressionnant. Donc, un maximum de 30 fois… au lieu de 60 fois au cours des années précédentes !
Hélas, je pense qu’avec cette évolution du règlement, ma comparaison avec un suffrage censitaire continue de garder toute sa pertinence.
En fait, on organise ces votes « culturels » soi-disant pour faire émerger « démocratiquement » les souhaits ou les préférences de la population, mais la vraie raison qui pollue le tout, c’est la volonté de gagner le plus d’argent possible en multipliant les possibilités de vote par individu.

Martin Green, le directeur du concours, ne pense pas exactement de la même façon, puisqu’il précise dans le communiqué : « Ces mesures nous permettront de concentrer toute notre attention sur ce qui est l’essence même de l’Eurovision : la musique, la créativité et le lien avec le public. Si nous restons convaincus de la viabilité et de la fiabilité du résultat de l’édition 2025, les modifications que nous avons décidé d’introduire offriront des garanties renforcées et feront augmenter la participation. Les fans auront l’assurance que chaque voix compte et que chacun peut se faire entendre ». Pour garder sa crédibilité, Mr Green n’aurait-il pas dû ajouter à la fin de cette phrase un « en fonction de l’argent qu’il dépense » ?

Changer « ce qui n’allait pas » !

Dans ce communiqué de presse, d’autres modifications sont évoquées par le directeur. Elles laissent indirectement entendre que les éditions qui ont précédé ont révélé des failles.

1 : « Nous prenons des mesures claires et décisives afin que l’Eurovision continue de célébrer la musique et l’unité. Il est en effet important qu’il reste un espace neutre et qu’il ne soit pas instrumentalisé ».

2 : « Ces nouvelles instructions découragent vivement toute campagne promotionnelle disproportionnée, en particulier si celle-ci est lancée ou appuyée par des tiers, notamment un gouvernement ou une agence gouvernementale ».

3 : « Les artistes et les diffuseurs participants doivent s’abstenir de prendre une part active ou de contribuer à des campagnes promotionnelles de tiers susceptibles d’influer sur l’issue du scrutin ».

4 : Concernant les jurys de professionnels des différents chaînes de télévision participantes dont les suffrages constituent la moitié du vote (l’autre moitié étant constituée par ceux du public) : « Autre changement, le nombre de jurés passera de 5 à 7 et les horizons professionnels dont les jurés pourront être issus seront élargis, afin d’inclure des journalistes et critiques musicaux, des professeurs de musique, des chorégraphes et metteurs en scène, ainsi que des personnalités du monde de la musique ». Bien sûr, le communiqué ne précise pas quels étaient les spécificités professionnelles des jurés avant ce changement… mais on découvre par cette déclaration les « manques » à changer.

5 : « Tous les jurés devront signer une déclaration formelle confirmant qu’ils voteront en toute indépendance et impartialité, qu’ils ne se concerteront pas avec d’autres jurés avant le Concours, et qu’ils feront un usage réfléchi des médias sociaux (en d’autres termes, qu’ils ne partageront pas leurs préférences en ligne avant la fin du Concours) ».

La candidate d’Israël qui a gagné en 2018

Décider de ne pas décider

Le 4 décembre 2025, au cours de leur assemblée générale à Genève, les membres de l’UER, selon un nouveau communiqué officiel, ont apporté « leur soutien à une série de modifications du règlement du Concours, visant à renforcer la confiance, la transparence et la neutralité (de celui-ci) ». De plus : « Les membres ont décidé à une large majorité qu’il n’était pas nécessaire d’organiser un autre vote sur la participation et que l’Eurovision 2026 se déroulerait comme prévu, avec les nouvelles garanties mises en place ».
Ainsi, la participation d’Israël pour l’édition 2026 reste actée puisque la majorité des membres de l’UER ont décidé qu’il ne fallait organiser un vote à ce sujet.
Le communiqué se termine ainsi : « Dans le sillage de ce vote, les diffuseurs seront invités à confirmer leur participation à l’Eurovision 2026. La liste complète des participants à cette édition 2026, qui marquera le 70e anniversaire du Concours, sera annoncée avant Noël (2025) ».

Après la diffusion de ce communiqué, l’Espagne, les Pays-Bas, l’Irlande et la Slovénie, suivis par l’Islande, ont rapidement annoncé leur boycott de la prochaine édition du Concours se déroulant à Vienne les 12, 14 et 16 mai 2026 (fin de l’écriture du présent article : 13 décembre 2025).
Dans l’histoire de ce Concours, il y a déjà eu d’autres non participations, mais c’était souvent un seul pays qui en prenait l’initiative. En 1969, pour s’opposer à Franco, l’Autriche a refusé de participer à l’édition se déroulant en Espagne. En 1975, la Grèce marque par son absence sa réticence à l’arrivée de la Turquie dans le concours.
Et les deux années qui suivent, c’est la Turquie qui fera chaise vide à cause du retour de la Grèce dans le concours. La Turquie ne participera pas non plus à l’édition du concours organisée à Jérusalem en 1979.

Bernard Hennebert

Photo du dessus : la candidate d’Israël qui a gagné le concours Eurovision  en 2018

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