Véhicules électriques : LA GRANDE ARNAQUE

Qu’est-ce qui nous a pris ? Quelle hallucination collective a-t-elle pu saisir les députés européens pour présenter comme “écologique” et “respectueuse de la planète” la décision d’envoyer 280 millions d’automobiles européenne à essence ou au diesel à la casse, pour les remplacer par un parc complet de véhicules électriques flambant neufs ? C’est pourtant ce que vient de décider le Parlement Européenne en sa séance plénière du 8 juin 2022 à Strasbourg : tous les véhicules thermiques (ainsi que les voitures hybrides) seront interdits de fabrication en Europe dès 2035.

Certes, les émissions de CO2, le réchauffement climatique et la pollution de l’air dans les grandes métropoles urbaines nous obligent à repenser collectivement l’ensemble de nos moyens de transport.
Mais la voiture électrique repose aujourd’hui sur une technologie mal maîtrisée (la fabrication des batteries électriques est extrêmement polluante) et nécessitera des équipements publics pharaoniques (combien de bornes à construire pour “recharger” les 600.000 véhicules bruxellois ?).
Nous dépendrons en outre largement du nucléaire, en France comme en Belgique, pour quotidiennement produire toute cette nécessaire électricité supplémentaire. Une voiture “propre”, vraiment ?
Dans l’excellent web magazine d’écologie “Reporterre”, la journaliste Célia Izoard (1) a consacré trois articles très documentés à la voiture électrique (2, 3 et 4).
Ils mériteraient d’être cités dans leur entièreté, tant ils soulèvent de problèmes et de questions. Ils peuvent se résumer par son titre inaugural : “Non, la voiture électrique n’est pas écologique” !

1. Une impasse productiviste

Bazarder une vieille technologie pour en proposer une ” nouvelle ” est une ruse connue du capitalisme productiviste. Dans le monde de la musique, on nous a fait le coup quatre ou cinq fois en quarante ans.
On nous a revendu le même vieux fond de catalogue musical sur quatre ou cinq supports différents. Et nous avons ainsi successivement acheté des 33 tours vinyles, puis des K7 audio, puis des Compact Discs, puis des minidisques, puis des téléchargements électroniques en MP3.
Et à chaque fois, en consommateurs dociles, nous avons racheté toute la quincaillerie qui les accompagnait : tourne-disques, radios, enregistreurs K7, Walkman, lecteurs CD, ordinateurs, Iphone. Pour en revenir aujourd’hui, comble de l’absurdité… à presser à nouveau des disques vinyles !
Mais entretemps, le tout le pognon du secteur musical est passé de la poche des musiciens à celles des fabricants d’électro-ménager et aux géants du numérique.
Toine Thys, un copain saxophoniste, vient de cartonner avec son Trio dans les charts de Spotify : un million de streams pour son titre “The optimist” !
Succès pour lequel il vient de royalement toucher… 500 euros ! Comment vivre de son métier dans de telles conditions ?
Autre témoignage plus “perso”. Il a y quarante ans, je travaillais ponctuellement comme vendeur “renfort fêtes” à la FNAC de Bruxelles. Nous avions en rayon toute la production discographique belge indépendante (et j’allais moi-même y livrer, par caisse de vingt-cinq exemplaires, mes propres 33 T en tram) (5). Aujourd’hui, on vend essentiellement à la FNAC la gamme complète des appareils de téléchargement. Adieu la musique, bonjour l’électro-ménager. CQFD.
Bref. Revenons à nos bagnoles.
Il y avait certainement des tas de choses à faire pour améliorer les moteurs thermiques et affiner les carburants, pour remettre les vieilles voitures aux nouvelles normes environnementales, pour y installer de nouveaux filtres et des pots d’échappements plus efficaces. En développant parallèlement le transport par rail et tous les autres transports collectifs.
Mais flanquer à la poubelle ces millions de véhicules qui roulent, pour produire et vendre des millions de véhicules individuels électriques tout neufs, c’est un projet de capitaine d’industrie capitaliste et productiviste. Pas un plan raisonné de développement écologique, économique et social.

2. Un coût de fabrication “CO2” bien plus élevé pour les voitures électriques !

C’est dingue, mais l’empreinte carbone de la fabrication d’une voiture électrique est aujourd’hui bien plus élevée que celle d’un véhicule thermique.
Célia Izoard mentionne dans son article quatre-vingt-cinq études comparatives électriques / thermiques (2) : “Un point fait consensus : produire un véhicule électrique demande beaucoup plus d’énergie, et émet deux fois plus de gaz à effet de serre que de produire un véhicule thermique, du fait de la production de sa batterie et de sa motorisation. Le travail de ces analyses de cycle de vie consiste donc à calculer à partir de combien de kilomètres parcourus cette production polluante rend le véhicule électrique “avantageux” par rapport à son homologue essence ou diesel. Un des paramètres cruciaux à connaître est évidemment l’origine de l’énergie qui a servi à produire le véhicule, et ensuite celle de l’électricité qui le fait rouler : nucléaire, charbon, diesel ou énergies renouvelables ?” (2).
Ce “nombre de kilomètres” varie donc énormément d’un modèle à l’autre et dépend fortement des conditions dans les quelles les batteries ont été produites.
La Chine, par exemple, le leader mondiale des batteries automobiles, utilise encore régulièrement le charbon (pas glob, donc).
Même quand elle est entièrement produite en Europe, une VW électrique doit rouler entre 137.000 et 200.007 kilomètres pour voir son empreinte carbone “rattraper” celle d’une VW thermique (en espérant qu’il ne faille pas remplacer la batterie avant ce terme !) (2)(6).
Le bonus “écologique” de la voiture électrique reste donc très relatif dans la lutte contre le réchauffement climatique. Tout ça pour ça ?

3. De la douceur dans votre moteur, du poison dans la nature.

Car le talon d’Achille des voitures électriques reste incontestablement la production de ses batteries. Pour une autonomie espérée de 400 ou 500 kilomètres, elles pèsent en effet plusieurs centaines de kilos, “de 700 kg dans une Audi e-Tron à 305 kg dans une Renault Zoe” (2), et nécessitent des quantités astronomiques de métaux souvent exotiques (lithium, cuivre, cobalt,…). “Une batterie de Renault Zoe peut contenir 8 kg de lithium, une Tesla 15 kg (contre 300 g pour un vélo électrique)” (3).
Or les conditions d’extraction de ces métaux sont souvent épouvantables (comme les 200.000 personnes, y compris des enfants, qui extraient le cobalt au Congo-Kinshasa) et menacent des sites naturels jusque là préservés (comme les projets d’implantation de mines de lithium les hauts-plateaux andins, où vivent trente-trois communautés autonomes). Ces exploitations minières, souvent gigantesques, défigurent en outre des régions entières et polluent durablement les sols et les rivières.
Or le développement des moteurs électriques devrait encore multiplier par deux ou par trois la production de ces métaux. Et cet impact environnemental n’est pratiquement jamais pris en compte dans le “coût” écologique comparatif des technologies électriques.

4. Une infrastructure pharaonique à construire

J’ai brièvement cité, dans mon introduction, les travaux d’infrastructures nécessaires pour permettre à des dizaines de millions de véhicules électriques de circuler en Europe.
Questions : qui financera tous ces travaux ? Car dans toutes les métropoles urbaines, cela impliquera sans doute, tous les huit mètres, une double borne de chargement électrique le long des trottoirs. Un chargement électrique dans ces conditions devrait nécessiter 3 à 4 heures d’immobilisation du véhicule.
Pour ceux qui ont un garage, et rechargent leur batterie à domicile avec un plus faible ampérage, l’opération devrait prendre entre douze et quinze heures.
Avec des bornes électriques à haut débit, comme on en trouvera dans toutes les ex (?) “pompes à essence” des autoroutes, ce temps de chargement devrait être réduit à une grosse demi-heure (pour un chargement de la batterie à 85%).
Mais aux pointes de saturation du réseau autoroutier, comment parquer et immobiliser dix ou vingt mille véhicules par heure sur une autoroute, autour de centaines de bornes électriques qu’il faudra installer au milieu de nulle part ?
Faudra-t-il donc interdire ou règlementer les départs en vacances ? Si oui, il faudrait le dire aujourd’hui.
On peut certes concevoir que les impératifs climatiques nous obligent à reconsidérer certains de nos modes de vie. Mais le dépaysement estival des vacances ne me semble pas un caprice réservé aux seuls petits-bourgeois bohèmes.
Ces déplacements saisonniers, ne les partageons-nous pas avec des centaines d’autres espèces animales, l’été ici, l’hiver là-bas ?
Dans deux de ses livres les plus attachants, “La Gloire de Mon Père” et “Le Château de Ma Mère”, Marcel Pagnol raconte comment, au début du siècle passé, son père, modeste instituteur, emmenait chaque année été sa petite famille en charrette à bras dans les collines de l’arrière-pays, pour fuir la moiteur étouffante de Marseille en été.
Pagnol y a visiblement glané une brassée de fabuleux souvenirs. J’ai moi aussi passé quelques étés à courir au cul des chèvres, ou à pécher les pieds nus dans le Verdon. Pour beaucoup d’entre nous, je doute que le parfum de la garrigue (ou, plus prosaïquement, celui de la crème solaire) soit vraiment négociable.

5. La fracture entre les villes et les campagnes

Quand je vis à Bruxelles, je pourrais presque entièrement me passer de voiture. Tout est accessible ici à pied ou en transports en commun. Il en serait de même, je crois, si je vivais dans une autre grande métropole européenne.
Mais quand je vis à Saint-Sulpice, dans le nord du Périgord, c’est pratiquement impossible. Nous avons encore la chance, alléluia, d’avoir une petite épicerie au village.
Mais pour tout le reste, pharmacie, médecin, presse, loisirs, baignades, grosses courses, il faut faire six ou huit kilomètres aller-retour. Trente pour un cinoche ou un hôpital.
Dans cette France périphérique, celle des gilets jaunes et des ronds-points, comme dans la Belgique des Ardennes et des campagnes, la bagnole n’est donc pas un choix de vie, mais une nécessité d’existence. On y use souvent les bagnoles jusqu’à la corde, jusqu’au plancher, jusqu’au seuil même de la casse.
Je connais un paysan qui roule encore en Citroën 2CV (verte), dont le dernier exemplaire fut fabriqué en 1990. Il y a trente-deux ans !
Imagine-t-on ce que cela représentera, pour toute cette population, de devoir acheter une voiture électrique neuve au double du prix d’une voiture diesel ou d’une essence ? Avec un marché d’occasion pratiquement inexistant – puisque le secteur électrique est seulement le train de se constituer ?
Mais même avec une “prime à l’achat” gouvernementale, tout le monde ne pourra pas se payer un tel véhicule neuf. Et que feront tous les autres ?
Je laisse le mot de la fin à Célia Izoard, puisque la documentation de cet article lui doit beaucoup : “Du point de vue de l’écologie, le passage à l’électromobilité s’apparente donc à un pari pour le moins fragile. En France, ce n’est rien moins qu’un pari à 8 milliards d’euros de fonds publics qui nécessite d’espérer que les usagers n’achèteront ni berline ni SUV, utiliseront les transports en commun pour partir en vacances, feront du covoiturage, ne rechargeront pas leurs véhicules en mode rapide parce qu’ils sont pressés (ce qui fait décroître la longévité de la batterie), ni tous en même temps aux heures de pointe (auquel cas, ils sont alimentés par des centrales électriques diesel), ne remplaceront pas leurs trajets en vélo par une balade en Zoe — et de prier pour qu’on arrive à gérer les fuites et les déchets qui sortent des centrales nucléaires, ou qu’on les démonte rapidement. Et, bien entendu, de prier pour que les batteries et les métaux que contiennent les autos électriques soient bel et bien recyclés, sans quoi les ravages des activités minières sont voués à s’intensifier — et les véhicules électriques serviront autant à délocaliser les pollutions qu’à déplacer les personnes” (2).

Claude Semal, 2 juillet 2022.

(1) dernier livre paru : “Merci de changer de métier, lettres aux humains qui robotisent le monde” (Éditions Dernière Lettre, 2020).
(2) https://reporterre.net/Non-la-voiture-electrique-n-est-pas-ecologique
(3) https://reporterre.net/La-voiture-electrique-cause-une-enorme-pollution-miniere
(4) https://reporterre.net/Derriere-la-voiture-electrique-l-empire-des-Gafam
(5) Mon premier 33T s’est vendu à 200 exemplaires à la FNAC de Bruxelles (un chiffre qui doit faire rêver bien des musiciens aujourd’hui!). La responsable du secteur “variétés”, qui est également devenue ensuite déléguée principale SETCa de la boîte, était une certaine… Irène Kaufer, avec qui je partage aujourd’hui la rédaction de l’Asymptomatique ;-).
(6) « Sensitivity Analysis in the Life-Cycle Assessment of Electric vs. Combustion Engine Cars under Approximate Real-World Conditions », Eckard Helmers, Johannes Dietz and Martin Weiss, Sustainability, février 2020.

6 Commentaires
  • Jean Hanssens
    Publié à 10:29h, 04 juillet

    Oui, Claude et quand ils auront installé avec, notamment, l’argent public des milliers de bornes de rechargement pour voitures électriques, les constructeurs Japonais et Coréens vendront sur le marché européen avec leurs voitures à hydrogène., comme le font déjà actuellement Toyota et Hyundai. Un peu comme les passages des supports musicaux successifs, dont tu parles. Le tout électrique, est une industrie très polluante et intermédiaire vers le tout à l’hydrogène propre, produite sans énergies fossiles. En attendant, les constructeurs automobiles remplissent leur tirelire en polluant davantage la planète.

    • Semal
      Publié à 07:07h, 05 juillet

      Excellente remarque. Je n’ai pas encore suivi la piste de l’hydrogène, que je ne connais que sous la forme H2O ;-).

    • François-Marie Gerard
      Publié à 12:40h, 05 juillet

      C’est tout à fait exact. Et cela montre bien que le principal ennemi sont les constructeurs qui ne songent qu’à vendre. Le reste, ils s’en foutent…

  • Semal
    Publié à 19:38h, 03 juillet

    Cher François-Marie, je viens de parcourir le lien que tu cites sous ton article. Pour le coup, cela me semble foutrement de la pure propagande. (et le titre du machin ne se cache même pas d’être un lobbyiste de la voiture électrique).

  • Semal
    Publié à 19:28h, 03 juillet

    Hello François-Marie, mon article est sourcé et référencé et “Reporterre” est le principal Web-Magazine écologiste, fondé par le gars qui tenait la rubrique “écologie” au Monde. Chaque fois que tu dis “non”, je veux bien te croire, mais quelles sont tes sources à toi ? Et à ton avis, qui construira ces voitures électriques, si ce n’est les mêmes multinationales pourries qui fabriquent aujourd’hui les voitures à essence ? Ce n’est pas un “green” bashing, mais un “shit” bashing. contre un certain productivisme qui pourri la planète – et si Volkswagen et Renault nous vendent cela comme de l’air pur en flacon, on n’est peut-être pas obligatoirement obligé de les croire. ni de les défendre comme s’ils nous vendaient des vélos et des tomates bios.

  • François-Marie Gerard
    Publié à 11:02h, 03 juillet

    Ainsi donc, L’asymptomatique participe joyeusement au “green bashing”. Bravo, pour une surprise, c’est une surprise ! Personnellement, je ne crois pas que la voiture électrique est la solution miracle (et je n’en aurai pas avant longtemps…), mais je crois qu’elle peut participer – de manière transitoire – à avancer dans la bonne direction, malgré les différentes questions qu’elle pose (bornes à installer, dépense inutile pour de nombreuses personnes, etc.). Mais je reprends ici une série d’infos qui contredisent de nombreux arguments des détracteurs de cette piste :

    • non, la voiture électrique n’émet pas autant, voire plus de CO2 sur son cycle de vie qu’une voiture thermique. En réalité, la construction de cette dernière ainsi que la production et le traitement des hydrocarbures émettent énormément de CO2, contrairement à la fabrication des batteries. Une étude de la VUB a pu montrer qu’en considérant tout le cycle de vie, les émissions de CO2 diminuent – pour une voiture électrique circulant en Belgique – de 65% par rapport à une voiture thermique ;
    • non, la voiture électrique n’utilise pas de manière abusive des terres rares (qui ne sont en réalité pas rares du tout) ou des métaux rares dont l’extraction serait très polluante. Par ailleurs, ces « terres rares » sont abondamment utilisées dans le raffinage du pétrole et les pots catalytiques des voitures à moteur thermique, les écrans et de nombreux appareils électroménagers, qui ne sont jamais mis en cause pour cela ;
    • non, la consommation d’eau pour produire le lithium utilisé dans les batteries n’est pas exagérée par rapport à celle nécessaire pour produire le carburant des voitures thermiques ;
    • non, la voiture électrique n’utilise pas du cobalt provenant de mines exploitant des enfants. Au Congo, il y a bien 10% de mines illégales qui font malheureusement travailler des enfants, mais les 90% autres sont des mines officielles exploitées avec des moyens techniques modernes, sans aucun enfant. Les producteurs de voitures électriques veillent désormais particulièrement à la qualité de la filière d’extraction du cobalt. En 2017, Amnesty International a d’ailleurs relevé les efforts du constructeur Tesla contre l’exploitation des enfants ;
    • non, le recyclage des batteries électriques n’est pas un problème. Leur longévité est très grande, et lorsqu’elles ne peuvent plus être utilisées efficacement pour alimenter un moteur électrique, elles peuvent servir de manière statique. Puis, une fois inutilisables, les techniques de recyclage existent ;
    • non, il n’est pas nécessaire de produire de nouvelles centrales pour recharger les batteries des voitures électriques, même si leur nombre était en nette augmentation. Parce que la plupart sont rechargées la nuit, en dehors des pics horaires de consommation, il n’y a aucun risque de blackout dans les années qui viennent.

    Juste une référence parmi d’autres pour en savoir un peu plus : https://www.automobile-propre.com/a-contresens-le-film-qui-demonte-les-intox-sur-la-voiture-electrique-tient-ses-promesses/

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