Anouk Grinberg sur Gérard D. : LA VIERGE ET LE CACHALOT

Pendant que Macron défend le droit de cuissage de l’ogre du cinéma français, Anouk Grinberg dénonce les violences faites aux femmes sur les plateaux. Et parle aussi pour défendre une amie. Interview bouleversante sur France Inter (photo de couverture wikimedia commons).

Emmanuel Macron a tenu le crachoir pendant plus de deux heures, le 20 décembre 2023, dans une émission spéciale de « C à vous », sur France 5, en direct des salons de l’Élysée.
Il y a parlé d’un peu de tout, devant un aréopage de journalistes « choisi·es ».
Il était bien sûr d’abord attendu sur la « défense » de « sa loi immigration » – Darmanin et Borne ayant, aux yeux de pratiquement tous les observateurs, introduit dans la législation française plusieurs points du programme du Rassemblement National.
Ce que Macron a ce soir-là farouchement nié, avec l’aplomb d’un arracheur de dents doublé d’un éborgneur professionnel.
La parole pourrie d’un mec qui avait intitulé son livre-programme « Révolution », avant de passer deux mandats à éborgner les manifestants. Un mec qui avait été élu pour faire « barrage à Marine Le Pen », avant de faire voter des points clés de son programme immigration. Un mec qui avait présenté les violences faites aux femmes comme la « grande cause nationale » de son mandat – avant de défendre le droit de cuissage du cinéma français.

Anouk Grinberg au micro de France Inter, face à Sonia Devillers

Était-ce pour allumer un « contre-feu » médiatique face à l’infâme « loi Darmanin » qu’il s’est lancé en fin d’émission dans un panégyrique en freestyle de Gérard D. ? Si c’est le cas, c’est très réussi. Le lendemain, tous les journalistes ne parlaient que de « ça ». Ou parce qu’un prurit de masculinisme priapique l’a irrésistiblement poussé à défendre la main dans le slip et le verre dans le nez du gros copain de Poutine ?
« La légion d’honneur est un Ordre, dont je suis le Grand Maître, qui n’est pas là pour faire la morale ». A répondu le Grand Maître de Mon Cul, avec autant de fatuité que de déshonneur, à sa Ministre de la Culture – qui avait vaguement escompté en priver l’affreux Gégé. On ne parle pourtant pas de « morale », ici, mais d’accusation de viols et de procédure judiciaire. Faut-il sous-entendre dans ce commentaire présidentiel un appel à décorer désormais les inculpés et les criminels ?

En deux rots et un petje suis un grand admirateur de G.D. »… « fierté de la France »… « chasse à l’homme »…), le président de la République a ainsi absous et encensé celui qu’une quinzaine de femmes accusent pourtant désormais de violences sexuelles. « Chasse à l’homme » ? « Chasse aux femmes », plutôt, partout, tout le temps, et pratiquement depuis toujours… ! Mais silence… on tourne !
Adoubées par cette présidentielle onction, deux tribunes de personnalités du cinéma et des arts ont aussitôt volé au secours d’Obélix et de Cyrano. L’âge moyen des signataires de la première est de 69 ans (1). Dans l’autre, on trouve cette perle : « Lorsqu’on s’en prend à Gérard D., c’est à l’art qu’on s’attaque ». Ben voyons ! Attaquons-nous plutôt aux jeunes comédiennes ! Le droit de cuissage n’est-il pas une vieille tradition du cinéma français ? Sans parler du théâtre.

Dans ce concert de beauferies et d’omerta corporatiste, je suis tombé par hasard sur le témoignage solitaire et solaire d’Anouk Grinberg, interviewée par Sonia Devillers, le 11 décembre 2023, dans la tranche matinale de France Inter (2).
Porté par une émotion contenue, avec des pointes de colère et d’indignation, son témoignage m’a bouleversé.
D’autant que, comble du comble, c’est Anouk Grinberg elle-même qui, au final, semblait porter la culpabilité de n’avoir pas « parlé plus tôt ». La marque des justes.
Amie de Charlotte Arnould – une des principales accusatrices de Gérard D. –, elle donne ainsi chair et sens à la rencontre entre Charlotte, très jeune comédienne, et l’ogre médiatisé qui était pour elle un « vieil ami de la famille ».

J’ai décidé de de vous proposer ce témoignage en libre lecture dans l’Asympto.
Je ne sais quelle sera finalement la « vérité judiciaire » de toute cette affaire – ou plutôt, de toutes ces affaires.
Mais j’ai l’intuition que la vérité, la vérité-tout-court, se trouvera plutôt du côté de la voix frémissante et révoltée d’Anouk Grinberg, que j’ai retranscrite ici pour vous, que dans les tribunes gériatriques du « Figaro » à la gloire d’un « monstre » – fut-il « sacré ». Merci à Anouk Grinberg, à la journaliste Sonia Devillers et à France Inter de nous l’avoir préalablement fait entendre.

Claude Semal.

Sonia Devillers : Bonjour, Anouk Grinberg.

Anouk Grinberg : Bonjour.

Sonia D. : L’émission « Complément d’Enquête » sur France 2 a diffusé des séquences tournées lors d’un voyage en Corée du Nord qui filme G.D. en présence de femmes, et chaque femme en présence de qui il se trouve fait l’objet d’invocations graveleuses, y compris une petite fille de dix ans qu’il sexualise de façon super provoquante, et où il se décrit lui-même comme « un chasseur ». Vous avez vu cette émission ? Comment avez-vous réagi ?

Anouk G. : Oui, j’ai vu cette émission. Euh… En fait, cela ne m’a pas étonnée parce qu’il est comme ça tout le temps. Tout le temps. Il n’a pas attendu d’être en Corée pour être aussi vulgaire, aussi grossier, aussi agressif avec les femmes. Sur tous les plateaux de tournage, il est comme ça. Et sur tous les plateaux de tournage, les gens y sont indifférents autant que Yann Moix l’était. Ce qui donne vraiment à réfléchir. Pas seulement sur la monstruosité que Depardieu s’accorde… avec quand même la moitié du genre humain.
Mais aussi… l’autre monstruosité, celle de Yann Moix, qui est celle… des gens du cinéma, qui sont indifférents.
Indifférents au mal qu’on fait aux femmes, aux humiliations qu’on leur inflige, et cette indifférence-là, elle est incompréhensible, elle est assourdissante !
Moi, cela fait trente ans que je le connais, j’ai fait deux ou trois films avec lui, et puis, il se trouve que e le connaissais parce que dans une vie bien lointaine, j’étais la compagne de Blier, et Depardieu était très ami avec Blier…

Photo Wikimedia Commons

Sonia D. : … Bertrand Blier, c’est le metteur en scène des « Valseuses ».

Anouk G. : Des « Valseuses », de « Mon Homme », de délicatesses comme ça…
Je l’ai vu. D. est comme ça. Et il est aussi comme ça parce que TOUT LE MONDE lui permet d’être comme ça.
Donc ce n’est pas seulement lui qui est une crapule, qui se conduit comme une crapule avec les femmes, c’est tous les autres qui le laissent l’être, qui l’encouragent à l’être, qui l’applaudissent pour ça, qui le payent pour ça, qui le laissent… qui le laissent mettre sa grosse main dans les culottes des femmes, qui le laissent démolir des femmes pour leur vie entière, et lui rigole. Mais il est seul à rire. Alors que le rire, ce n’est pas une affaire solitaire, ça ne doit pas être une affaire solitaire…

Sonia D. : Il est le seul à rire, peut-être, mais dans le reportage de Complément d’Enquête diffusé sur France 2, il y a trois témoignages : une régisseuse, sur « Diamant 13 », une actrice, dans « Marseille », une figurante, dans un film qui s’appelle « Disco », qui racontent le tournage avec G.D., qui racontent ce qu’on leur a infligé, et qui racontent que cela a fait rire tout le monde…

Anouk G. : Oui…

Sonia D. : Pas seulement G.D. Tout le monde !

Anouk : Oui, c’est vrai. Ou ça les fait rire, ou ils sont indifférents, comme on a pu voir Yann Moix à la télé, indifférent vraiment, indifférent aux malheurs des autres…
Mais sinon, oui, tout le monde rit, y compris les femmes, et peut-être même les femmes en premier.

Sonia D. : Pourquoi ? Les femmes en premier ?

Anouk G. : Je ne sais pas. Peut-être d’abord parce que…

Sonia D. : Dans l’enquête, on voit Josée Dayan, qui est une réalisatrice de cinéma et de télévision, qui dit : « Violeur, jamais ! Jamais ! Il aime les femmes, il a eu les plus belles femmes du monde dans ses bras, dans son lit, il est adoré par les femmes, il a beaucoup d’amies femmes, il respecte les femmes, il avait une passion pour Barbara… Violeur, jamais ! ». C’est une femme qui parle !?

Anouk G. : On peut avoir une passion pour une femme qui a été violée et « incestuée » – comme Barbara –, et avoir dans un autre cercle, un cercle plus « privé », des comportements plus que déviants…
Josée Dayan… Josée Dayan, je la connais un peu, j’ai travaillé un peu avec elle… C’est à la fois un camionneur et en même temps une femme très généreuse…
Moi je pense que c’est compliqué pour les amis de D., compliqué de rester ami avec lui aujourd’hui. C’est compliqué, parce qu’il faut « qu’ils transportent le mort » avec lui…
D., il fabrique… il détruit… il détruit à jamais des gens… Et les amis, ils choisissent la cécité, l’indifférence, le déni, pour sauver quelque chose qui est aussi sacré – l’amitié, c’est sacré !
Moi, je ne sais pas comment je ferais. Ce n’est pas mon ami, D., mais ce n’est pas mon ennemi non plus, je ne suis pas… Je n’ai pas envie de le mettre à terre, il y est déjà. Par contre, il y a quelque chose, c’est que le corporatisme de ce métier ne devrait pas empêcher la vérité d’éclore. Parce qu’on en a besoin, de la vérité.
D., c’est un « cas à part » … C’est un « cas à part », parce que c’était un des « monstres sacrés » du cinéma, mais cela l’a autorisé, et tout le monde l’a autorisé, à devenir un monstre tout court, et ce monstre-là…
Moi, je ne dis pas qu’il doit aller en prison, ce n’est pas mon affaire de dire ça, par contre, quand on dit de lui qu’il « va mal », je suis contente… C’est peut-être le début d’un moment où il va enfin (…enfin !) réfléchir à ce qu’il dit, à ce qu’il fait.
Je ne sais pas s’il en est encore capable, parce que je crois qu’il est fou, je crois qu’il est devenu fou, qu’il est malade mental…
On voit… On voit dans le documentaire de Yann Moix, on voit quelqu’un qui est dérangé mentalement, qui devrait se faire aider. Et peut-être que la Justice peut mettre fin à cette espèce de course folle que le cinéma permet. Et le cinéma le permet aussi parce que …
Vous savez, il y a une telle porosité, dans notre métier, une telle porosité entre ce qu’on joue et… entre ce qui est vrai et ce qui est faux… entre ce qui est feint et ce qui ne l’est pas… Beaucoup de scènes d’amour, par exemple, ne sont pas simulées.
Blier a d’ailleurs été l’un des premiers à l’exciter, pour devenir ce voyou du cinéma…
Je me souviens dans le premier film, « Les Valseuses », ils étaient à deux sur Brigitte Fossey, pour lui titiller les seins, et Blier, dans une interview, dit qu’ils rigolaient tous, énormément. Ce qui se passe, en ce moment, ce n’est pas seulement que D. tombe, et j’espère que quelque chose va tomber de lui, et si quelque chose tombe de lui, peut-être que quelque chose va réémerger – une capacité à être honnête avec soi-même, à se dire : « Là mon gars, j’ai merdé. J’ai vraiment merdé. Et je demande pardon ».

Anouk Ginberg / Photo Wikimedia Commons

Sonia D. : Anouk Ginberg, vous avez accordé une interview au magazine « Elle » il y a presque deux mois, dans laquelle vous avez dit les choses très frontalement.
À l’exception de quelques mots de Sophie Marceau, des mots comme les vôtres, il n’y en a jamais eu de la part d’une femme, de la part d’une professionnelle du théâtre et du cinéma. Vous commencez cette interview en disant : « Toute personne qui a travaillé avec lui sait qu’il a toujours agressé les femmes – et qu’il agresse les femmes »…

Anouk G. : … verbalement et physiquement.

Sonia D. : Quelles réactions après cette interview ?

Anouk G. : Aucune. Personne ne m’a rien dit. Absolument personne. Mais moi je n’ai pas fait cette interview pour recevoir des câlins, je l’ai faite… parce que je ne pouvais pas… parce que je ne pouvais plus me taire. Me taire, je l’avais déjà fait. Longtemps… Alors que je savais tout ça. Je savais tout ça.
D’abord… Je suis une victime collatérale. Quand on assiste à ce genre de violences, on est sidérée soi-même… On est interdit… On est bouche-cousue… Devant, encore une fois, sa violence à lui, et devant la violence des autres, qui la permettent, qui se taisent, qui rient…

Sonia D. : Et on rit avec les autres ?

Anouk G. : On rit avec les autres, parce que sinon, c’est pire encore ce qui vous arrive. Oui, j’ai ri pendant plusieurs années. Moi, c’est encore… (silence). J’ai même vécu avec quelqu’un qui, vraiment, participait à cette violence de façon active.

Sonia D. : Alors, il y a un grand producteur de cinéma qui s’appelle Jean-Louis Livi, qui est aussi un agent, qui est un très vieil ami de G.D., qui a plus de quatre-vingt ans, qui est le seul du milieu du cinéma à avoir accepté de participer à « Complément d’Enquête », à avoir accepté de répondre aux questions de Tristan Waleckx, et Jean-Louis Livi dit, à propos de cette interview que vous avez accordée à « Elle » il y a deux mois : « Anouk Ginberg, il lui vient soudain un courage trente-trois ans après ». « Soudain ». Il est « soudain », votre courage ?

Anouk G. : Non. Enfin… (silence). D’abord, j’ai envie de dire à Jean-Louis Livi qu’il vaut mieux avoir du courage trente-trois ans après que jamais. Et encore une fois, quand on a été victime, et je l’ai été, il faut beaucoup de temps pour se dire les choses, pour que le sens vous parvienne, pour qu’on comprenne sa propre vie…

Sonia D. : Charlotte Arnould, c’est cette jeune femme qui en août 2018 se rend chez G.D. un matin…

Anouk G. : … À la demande de G.

Sonia D. : Voilà. Elle le connait depuis sa toute…

Anouk G. : Son enfance.

Sonia D. : … Parce que son père est ami avec G.D., et qu’elle est apprentie comédienne, G.D. lui demande des nouvelles, elle se rend chez lui, et c’est elle qui a porté plainte pour viol.

Anouk G. : Charlotte se rend chez lui comme elle pourrait aller chez son père, son grand-père. C’est vraiment une figure familiale, pour elle. Pas le gros, le grand, l’immense G.D. Elle va voir un ami. Et il lui dit : « Viens, je voudrais savoir comment tu vas, la danse, le théâtre, combien tu payes de loyer… ». Alors elle y va en confiance, mais il sait très bien ce qu’il fait, ce n’est pas de l’amitié, ça, c’est un hameçon, c’est… c’est une manière d’accrocher sa proie.
Ensuite, très, très vite, quand elle est chez lui, il lui dit que cela fait une semaine qu’il fantasme sur son petit corps de garçon, parce qu’elle est toute maigre, Charlotte…

Sonia D. : Elle est anorexique…

Charlotte Arnould

Anouk G. : Elle est anorexique, mais elle est toute fine, et quand il lui dit qu’il fantasme sur elle depuis une semaine… (C’est dire combien il avait prémédité cela…) … et puis il… elle… Elle st sidérée, elle commence à… (parce qu’on est amies…) … Elle m’a dit qu’elle se donnait des ordres (« Pars ! Pars !), mais il n’y avait plus aucune commande en elle.
Après, ce que j’ai vu dans « Complément d’Enquête » et qui est vraiment dégueulasse, c’est qu’ils ont montré une partie du compte-rendu que D. a donné à la police, et il est dit que G. lui aurait dit : « Viens, on va aller dans ma chambre là-haut ». Et Charlotte aurait montré du doigt la chambre là-haut.
Mais cela ne s’est pas passé comme ça. Ce n’est pas vrai. G. lui a dit : « On va aller dans le jardin ». Et Charlotte s’est dit : « Heureusement, dans le jardin, il ne va rien m’arriver ».

Sonia D. : C’est-à-dire que la description dont vous parlez, ce sont les images de vidéo-surveillance. Ce sont des images muettes, et il faut les faire « parler ».

Anouk G. : Images qui ont été « interprétées » par un « technicien » qui dit par exemple que, quand elle est sortie de chez D., elle avait l’air « très calme ». (avec colère) Mais qu’est-ce qu’il en sait, ce mec ? Il était dans sa tête ? Les images la montre de dos. Elle était en larmes. Elle a parlé à sa mère pour lui dire « Au secours, voilà ce qui vient de m’arriver ».
Et quand, quelques jours plus tard, parce qu’encore une fois, c’était un ami de la famille, et donc un ami pour elle… elle était perdue, elle était vulnérable… Quand, quelques jours plus tard, elle prend son courage à deux mains pour aller le voir et aller lui dire ses quatre vérités, lui dire : « ça, tu n’aurais pas dû… ».
Parce que « ça », c’est quoi ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Ce que personne ne sait. C’est que Charlotte était vierge. G. lui a demandé… G.D. lui a demandé si elle l’était. Elle lui a dit la vérité.
Et au lieu que cela fabrique du respect chez lui… Parce qu’une jeune femme de son âge, quand on est vierge, c’est parce qu’on se garde pour l’amour, ce n’est pas rien la virginité… Et cette espèce de salaud l’a violée avec son gros doigt de pute, et Charlotte raconte qu’immédiatement, elle est redevenue comme une enfant de quatre ans, elle ne pouvait plus bouger, elle ne pouvait plus parler, elle ne pouvait plus rien lui dire de ce pour quoi elle était venue… Et je vous assure, Charlotte, je la connais, c’est une battante, ce n’est pas un puceron, et il recommencé… Il a recommencé à la violer.
Et quand les gens, quand les gens comme Élisabeth D. ou comme d’autres, se mettent à dire que cette jeune fille était « consentante », est-ce qu’ils étaient à l’endroit où cela s’est passé ? Est-ce qu’ils étaient dans la tête de Charlotte ? Il y a une seule personne au monde qui peut dire si elle était consentante : c’est elle.

Anouk Grinberg / Photo Wikimedia Commons

Sonia D. : Est-ce pour elle que vous avez décidé de parler trente-trois ans après… « Soudain », comme dirait Jean-Louis Livi ? C’est pour elle ?

Anouk G. : … Elle était trop seule. Ce n’était pas juste. Le monde tout autour la fuit, la traite de menteuse, la calomnie… Moi, je sais qu’elle dit la vérité. J’ai vu ses bras scarifiés (elle montre plusieurs coupures en travers de ses bras), il n’y a plus un bout de peau intact. Ses jambes, pareil.
Il a tellement créé du dégoût d’elle-même chez elle, que ce dégoût dure encore aujourd’hui. Elle essaye de survivre à ça – et elle va y arriver – mais pour y arriver, il faut que le monde… le monde du cinéma, qui protège G., et le monde en général, entendent ce que c’est une femme qui ne hurle pas.
Une femme qui ne hurle pas, ce n’est pas une femme qui dit « oui ». C’est une femme qui… C’est une femme qui est morte. Qui est morte, pas « comme ça » (elle fait un geste tournant en l’air avec la main droite). Elle est morte parce qu’un homme « ne se tient pas ».
Cet homme-là… C’est homme-là pouvait avoir toutes prostituées qu’il veut. Faut pas déconner, non plus, quand on dit qu’elle était « consentante », une jeune femme de son âge, frêle comme elle est, vierge comme elle l’était, vous pensez qu’elle voudrait se faire dépuceler par un cachalot ? (Elle se frappe plusieurs fois le front avec l’index) Faut penser à cela, quoi !
Quand les gens se permettent de dire : « Elle était consentante », qu’est-ce qu’ils protègent d’eux-mêmes ? On se dit, finalement, D. , ce n’est pas le monstre de tous ? Est-ce que lui se permet, publiquement, et intimement, ce que tout le monde finalement porte un peu en lui ? C’est une question que je pose. Je ne le sais pas. Je ne le sais pas, mais je le sais quand même un peu, en fait. Et cela… Cela touche autant les hommes que les femmes. Et moi je m’étonne de cela dans un milieu… (silence).
… Notre métier – si j’ai compris ce que je fais dans ma vie –, … notre métier, c’est quand même… On ne peut pas le faire sans empathie. On ne peut pas. Il faut comprendre les gens qu’on joue… il faut comprendre les gens avec qui on joue… L’empathie, c’est la matrice… Comment c’est possible que dans ce métier-là, il y ait autant d’inhumanité ? Autant d’incompréhension et d’indifférence – qui enlaidissent tout ?
Alors, pour ce qui est de mes trente-trois ans de silence… (un temps). Je suis complice. je l’ai été à mon corps défendant… Je ne savais pas comment faire… Je ne savais pas comment faire.. pour parler. J’ai eu tort.

Sonia D. : Merci, Anouk Ginberg.

Anouk G. : De rien.

Propos retranscrits par Claude Semal le 27 décembre 2023.

(1) https://www.dailymotion.com/video/x8qwa9n
(2) https://www.youtube.com/watch?v=wmXSlKkHWIU

 

5 Commentaires
  • Christine Badot
    Publié à 20:38h, 04 janvier

    N’obligez pas vos enfants à obéir, faites-leur confiance, ça les sauve d’être libres!

  • Anne Laure Lagae-Kokkinos
    Publié à 16:34h, 31 décembre

    On pourrait parler des hommes qui se font abuser et violer aussi. Souvent, ils n’osent pas en parler. C’est pas une question de sexe, LGBTQI, etc…

    Je ne comprends pas qu’on traite de propos obscène de parler du plaisir possible de la fillette, qu’on appelle Madame au début de l’article

    Si on dit: je vais te tuer, etc….ça c’est pas obscène, la violence est acceptée, pas les propos gaulois .

    Alala

  • Philippe Malarme
    Publié à 16:17h, 30 décembre

    La présomption d’innocence est une des mailles de la démocratie. La défaire, c’est détricoter tout notre tissu social. Le gros Gégé ne m’est en rien sympathique, mais son lynchage ne fera pas progresser la justice.

    • Anne Laure Lagae-Kokkinos
      Publié à 10:32h, 31 décembre

      Merci de tout cœur ❤️
      Un travail psy serait utile aussi pour les victimes, je l’ai été, pas avec Gérard, avec un pépé, grand père d’une amie d’école primaire.

      J’ai fait un travail psy sur cet abus , et les racines remontent parfois plusieurs générations

  • Catherine Kestelyn
    Publié à 14:05h, 29 décembre

    Merci, Claude!
    Anouck explique bien la “complicité”, la sidération.
    J’ai été témoin, dans mon cercle amical rapproché, de scènes incestueuses.
    Devais-je intervenir, ou du moins marquer ma réprobation?
    En présence, un beau-père et sa belle-fille, 10-11 ans. Il tenait des propos “gaulois”, dont la fillette était le centre.
    Je me suis tue, par indécision et incertitude sur l’interprétation qu’il fallait donner à ce que je voyais.
    Et aussi pour deux raisons plus nettes:
    – je risquais de me faire taxer d'”ombrageuse et farouche provinciale” – c’était déjà arrivé
    – et, pensais-je: “la mère est là, je la crois parfaitement compétente. S’il y a lieu, c’est à elle de réagir!
    Puisqu’elle ne bronche pas, c’est qu’il n’y a que moi que ça met mal à l’aise”.

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