BILLY VEUT PAYER SON DÛ par Marie Wiener

Billy vient du Tigray, une région du Nord-Ouest de l’Éthiopie plongée dans un bain de sang durant au moins 2 ans (de novembre 2020 à novembre 2022). Il est arrivé chez moi avec 2 copains érythréens. Il m’a semblé bien plus réservé que les 2 autres, paraissant longtemps sur ses gardes. Il avait l’air de se demander qui j’étais et pourquoi je les hébergeais, dans quel piège j’essayais possiblement de les attirer…

La glace a été brisée à deux occasions marquantes: d’abord, je l’ai conduit à la consultation juridique de la Plateforme, où il a pu s’expliquer, avec traduction dans sa langue.
Ensuite, il a eu besoin d’une radiographie. Et le personnel de l’hôpital l’a accueilli avec égards et bienveillance, tant les administratifs que les soignants et techniciens.
Il restait méfiant, cependant: tout ça “FOR FREE?!?” Ça ne se peut pas.
Il m’explique que quand sa procédure sera achevée, quel que soit le résultat, qu’il obtienne l’asile ou pas: il paiera. Il tient à rembourser ce qu’il doit pour ces services.
J’essaie de lui expliquer qu’avec nos impôts (je ne tente pas de différencier pour lui le fisc proprement dit des cotisations), la Belgique organise quelque chose que nous appelons la sécurité sociale. Je m’avance en essayant de décrire ma propre situation: moi, je paie la médecine, mais pas à 100%. Parce que justement, je paie aussi des impôts (et des cotisations).
Il me croit, parce qu’avec ces “miracles” que j’ai opérés devant lui, pour lui, sûrement je sais de quoi je parle. Mais, en fait non, il ne me croit pas tout à fait.
Car COMMENT cela serait-il possible? Sûrement je cache des choses – ou je les embellis.

Et Billy se détend. En avril dernier, il a vu des images de la zone traversée par la tornade de Rolling Fork (Mississippi). Il m’a affirmé que chez lui, la guerre a fait les mêmes ravages (à plus grande échelle, sûrement).
Une ou deux semaines plus tard: “Madame Mari, tu as vu? Ca pète aussi au Soudan, ces jours-ci! L’Afrique, en fait, c’est presque partout l’enfer.”

Un soir en mai, je déplie une nappe fleurie au jardin.
Billy s’est prosterné juste avant le repas. L’autre “colocataire” se signe devant l’assiette servie. Avec moi dont la mère est juive, les 3 confessions du Livre sont réunies. Ils insistent pour trinquer, ce qui change évidemment en divin breuvage le Château La Pompe habituel. “It is a party, sourit Billy. A family party!”

Puis son dossier a progressé. Fedasil lui a enfin attribué une place en centre ouvert.
Alors il fait des aller-retour entre le centre et chez moi, pour voir les copains, changer d’ambiance. Et aussi pour faire sa lessive.
Un dimanche d’été, il m’a accompagnée “to the open market”, sur la place communale de Boitsfort. Chez le boucher marocain – ils se connaissent, ils se sont déjà rencontrés lors de précédents marchés, ils se parlent en arabe – je lui dis de choisir ce qu’on mangera ce soir. OK: des pilons de poulet marinés.
All right! You will cook it. And I will prepare the salad!” Ainsi fut fait.
Nous sommes juste à deux ce soir-là, mais ce sera tout de même “a family party“, au jardin et avec la nappe, dans la relative fraîcheur et la belle lumière d’après l’orage.
“Good food!” conclut Billy, rassasié.

A partir du mois d’août, j’ai été beaucoup moins disponible. J’ai pris une semaine pour aller voir les amis et amies qui s’étaient installés en Grande-Bretagne. Fin septembre, j’ai organisé des travaux de rénovation de la maison. Etc. Billy est parti vivre sa vie.

Début décembre, via messenger:
Hello Mami, how are you today? I am very happy that I was allowed to take the Belgian paper”. La joie ! Une joie littéralement éclatante. Comme à chaque bonne nouvelle de ce genre que je reçois.

Hier, il est revenu pour quelques jours. Pour me revoir, me souhaiter la bonne année.
Et pour “payer” son dû ? Comme il l’avait annoncé ?
Il a en tout cas déballé un lourd sac à dos: une bouteille de détergent vaisselle, un bidon de “Mr Propre”, un autre contenant du produit anticalcaire pour nettoyer la salle de bain, une pochette de six lavettes jaunes, un paquet de six éponges de cuisine (avec la face verte pour récurer les casseroles). Et un pack d’essuie-tout.

Marie Wiener, hébergeuse

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