CECI N’EST PAS UNE TOILE par Bernard Hennebert

Voici une photo qui fait du bien.
Je l’ai prise ce dimanche 23 juin 2024 au Musée de la Boverie de Liège.

Dans le hall d’entrée, un panneau lumineux affiche les titres des œuvres du fond permanent qui ne sont pas momentanément exposées. Important : le public peut ainsi en prendre connaissance avant de se décider d’acheter son ticket à la caisse.

L’autoritaire « On ne rembourse pas ! »

De nombreux musées se refusent à agir de même.
Par exemple nos grands musées fédéraux comme le Musée d’Art Ancien ou le Musée Magritte. Ceux-ci, en plus, pour éviter tout remboursement qui serait demandé par rapport à pareille carence d’information du contenu réel à découvrir par les futurs visiteurs (c’est-à-dire, non affichage de la liste des œuvres non exposées à proximité du comptoir où s’achètent les tickets et sur le site internet) a osé inscrire dans son « Règlement des Visiteurs » que « La fermeture momentanée de certaines salles ou l’absence ponctuelle de certaines œuvres d’art ne donne droit ni au remboursement, ni à une réduction du prix du billet d’entrée ».

Significatif : ce texte a été ajouté après que le musée Magritte ait remboursé un ticket suite à la plainte d’un visiteur, Mr David H., auprès du médiateur fédéral. Objet de celle-ci : l’une des œuvres les plus connues de l’institution, « L’Empire des Lumières », n’était pas exposée et le visiteur n’en était pas informé avant d’acheter son ticket.
Ce cas est d’autant plus exemplaire qu’à l’époque où David H. avait acheté son ticket, se déroulait une vaste campagne d’affichage dans les métros de Bruxelles présentant le musée Magritte justement avec, en illustration, une reproduction de cet « Empire des Lumières » (voir notre photo).

Une pub dans le métro avec une oeuvre qui n’est pas exposée !

Refus de mettre fin à la confusion

Rebelotte. Toujours actuellement aussi peu d’informations offertes aux visiteurs (ce qui est critiquable, voire condamnable) du 21 février au 21 juillet 2024 afin d’expliquer que le même chef d’œuvre a de à nouveau été décroché du musée (ce qui n’est pas critiquable) pour être exposé dans l’exposition temporaire « Imagine ! » ( dont l’entrée coûte 18 euros alors que celle des collections du Musée Magritte est fixée à 10 euros).
Le futur visiteur qui veut découvrir ce musée n’est donc pas informé de cette absence sur le site internet des Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique (MRBAB) et lorsqu’il s’apprête à y acheter son ticket, sur la page « Billetterie en ligne », il doit choisir par un clic entre plusieurs rubriques dont « Exposition » ou « Collection ».
Ces mots sont mentionnés au cœur de petites vignettes.
Celle qui est intitulée « Collection » propose une photo de « L’Empire des lumières » et elle mène donc à l’achat du ticket pour le Musée Magritte qui, justement, est orphelin provisoirement de ce chef d’œuvre.
Il s’agit là non plus d’une absence d’information mais bien d’une donnée visuelle qui est bien là, en évidence, et qui a de forte chance d’induire en erreur des dizaines de milliers de visiteurs potentiels durant toute la durée de la vente des tickets pour cette activité (1).

J’ai envoyé une plainte aux MRBAB à ce sujet, dès le 12 mars 2024 : « Un simple respect du public qui ne se limiterait pas aux déclarations de principe qui ne mangent pas de pain ainsi qu’un peu de bonne volonté vous permettrait de corriger ces vignettes et d’y prévoir, par exemple, des fonds plus neutres ».
Pas de réponse. S’en est suivi donc ma plainte concernant ce fait auprès du Service de médiation fédérale. Là non plus, aucune réaction concrète. Au moment de faire paraître le présent article, environ cinq mois après l’envoi initial de la plainte, la vignette trompeuse reste en activité.

La Fondation Vasarely à Aix est OK

Sur la même thématique, en France, la Ligue des Usagers Culturels (que je préside) a gagné un combat analogue en France.
La Fondation Vasarely d’Aix-En-Provence écrit à la L.U.C., le 2 novembre 2022, en réponse à sa plainte : « Nous avons bien pris en compte votre remarque dès votre premier envoi de mail en inscrivant la mention suivante : Chers visiteurs, l’alvéole n°6 est temporairement fermée pour cause de restauration. Nous vous prions de bien vouloir nous excuser pour la gêne occasionnée. Cette mention est visible sur notre affichage tarifaire en billetterie/boutique et apparaît également sur notre site internet ».

Succès à Liège de l’art dit dégénéré

Heureusement, en Fédération Wallonie Bruxelles, dans les musées aidés par celle-ci, ce type de non information n’est plus possible grâce aux point 2 et 3 du « Code des Usagers Culturels » qui doit être impérativement appliqué. Pour lire ces deux points : (2).
L’intérêt de la photo que j’ai prise ce 23 juin 2023 est que les musées de la ville de Liège, dont ce Musée de la Boverie, ont pris maintenant l’habitude, sans qu’on doive déposer plainte sur tel ou tel cas précis, de mieux renseigner le public, avant que celui-ci s’engage financièrement.

Ailleurs, dans le monde entier, l’absence d’une toile est le plus souvent bien annoncée, mais par un avis placé là où elle devait se trouver… et donc après paiement du ticket. Ce qui est différent et contraire aux législations économiques qui protègent (un peu) sur quelques points concrets tous les consommateurs.
En culture, il ne faut pas, sur ce thème, créer une nouvelle législation. Il suffit d’appliquer celle qui existe, ce qui reste quasi inconcevable pour beaucoup.

Informer le public avant qu’il ne passe à la caisse

Le Musée de la Boverie depuis de très nombreuses années, décroche régulièrement quelques-unes de ses toiles les plus connues pour des expositions temporaires se déroulant dans le monde entier.
Elles sont extraites du fonds acquis par la Ville de Liège lors de la vente dite « d’art dégénéré » organisée à Lucerne, le 30 juin 1939: principalement des toiles de Picasso, de Gauguin, de James Ensor, de Marie Laurencin, etc.
À plusieurs reprises (depuis 1998, alors que cette institution se nommait encore le MAMAC), je me suis battu, en vain, pour que ces retraits temporaires soient clairement annoncés.
Finalement, c’est en s’appuyant sur les obligations du Code des usagers culturels (créé entretemps notamment pour remédier à ce type de problématiques) que ma plainte de décembre 2022 a été suivie d’effets positifs. Elle a été envoyée lors d’une exposition de ces fameuses toiles en Suisse, au Kunstmuseum Basel, pour l’exposition « La modernité déchirée. Les acquisitions bâloises d’art dégénéré » (3).

Le musée a finalement affiché à son comptoir un document avec la liste des titres des œuvres absentes et les noms de leurs auteurs. Il y avait également des photos en couleur de chacune de ces peintures (voir notre photo).
Pierre Paquet, le Directeur des (nombreux) Musées de la Ville de Liège a été particulièrement coopératif dans ce dossier, et ceci, il faut aussi le signaler. Quant à ma photo prise ce 23 juin 2024, elle montre que les musées de Liège semblent avoir intégrer pour le long terme cette obligation d’information du contenu détaillé avant paiement.

Certaines toiles trop souvent absentes ?

Cet affichage de la non disponibilité des œuvres a beaucoup d’utilité, outre le fait qu’il peut permettre à une partie de public de mieux choisir la période où il va découvrir la collection d’un musée.
Par exemple, il permet de plus facilement déceler si telle œuvre voyage très souvent, voire trop souvent, par rapport à d’autres, de s’interroger sur une surabondance des prêts (des œuvres de Magritte à Bruxelles ou de Picasso à Liège ?) qui peut rendre difficile la contemplation d’une œuvre particulièrement connue aux habitants de la ville ou du pays où se situe l’institution détentrice de celle-ci. Ces informations permettent aussi de s’interroger sur la fragilité de certains éléments de notre patrimoine et de se demander s’il est opportun qu’ils voyagent aussi fréquemment.

Mieux les visiteurs sont informés, plus leurs visites « consommation » peuvent se compléter ainsi aussi d’une dimension participative, voire citoyenne, avec une perception accrue des enjeux économiques.

Bernard Hennebert (texte et photos)

(1) https://fineartsmuseum.recreatex.be

(2) https://www.culture.be/index.php?eID=tx_nawsecuredl&u=0&g=0&hash=585202c32356d68ca00c6a9dc87a53e7df3a5974&file=fileadmin/sites/culture/upload/culture_super_editor/culture_editor/documents/Documents_utiles/Droits_des_usagers_et_publics_de_la_Culture/202211-A3-codeusagers-web.pdf

(3)http://la-luc.blogspot.com/search?q=Boverie

1 Commentaire
  • Philippe Malarme
    Publié à 12:01h, 13 juillet

    Je ne paierai plus mon abonnement à l’Asymptomatique tant que n’y sera pas reprise une liste complète des mots qui n’y sont pas utilisés.

    (mais non, Claude, je blague…)

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