CELA FAIT CINQUANTE ANS QUE JE VIS PARMI VOUS, par Sfia Bouarfa

50 ans déjà! Il y a 50 ans, je quittais mon pays natal et ma ville Jerada-Oujda en quête de liberté et pour étudier en Belgique.
J’ai quitté ma famille, mes amies et surtout mes deux meilleurs amis, avec qui j’avais passé les quatre mois précédants à bloquer les examens du bac : philo, lettres, histoire-géo…
Elhoussine Choukri et feu Mimoun Benas, décédé dans un accident de moto peu d’années après, et qui nous manque terriblement. Avec ce dernier je partageais une grande complicité, le goût pour les langues, la littérature et la poésie du 17ème et 18ème siècles, et surtout la musique underground, et curieusement aussi la musique country.
Un des profs nous prêtait des disques. J’avais plein de rêves et d’objectifs. J’en ai réalisé quelques uns. Je me suis battue pour que d’autres réalisent les leurs.
J’ai rencontré des gens merveilleux, qui ont toujours été présents pour moi, et sans qui j’aurais déclaré forfait quand je n’avais plus de bourse d’étude.
La 1ère génération immigrée maghrébine, mais aussi italienne, grecque et turque… m’ont soutenue dans mon parcours. Pour les remercier, je faisais leurs démarches administratives, j’aidais leurs enfants pour les devoirs. Ils ont toujours été là physiquement quand j’ai eu ma 1ère vilaine grippe. Ils étaient là avec leur couscous, leur moussaka, leur spaghetti, leur börek. Ils ont été une réelle famille pour moi. Je ne les remercierai jamais assez.
Sur mon chemin, j’ai aussi eu la chance de rencontrer des personnalités qui ont joué un grand rôle au début des années ’70.
Yvonne Jospa, qui a fondé le MRAX, où j’ai atterri quand on avait refusé de me louer un appartement Rue de l’olivier à Schaerbeek. J’y ai fait mon stage par après. Mme Jospa fut d’une bienveillance infinie, et s’arrangeait pour m’inviter au restaurant, ou chez elle, pour que j’aie au moins un bon repas, où elle m’envoyait à des stages d’animation socio culturelle dans les Ardennes, pour reprendre des forces quand elle voyait que j’étais fatiguée ou amaigrie. J’ai appris plus tard qu’elle avait toujours tout payé de sa poche.
Il faut bien avouer qu’entre les études, et les jobs pour les payer à 4h du matin ( je préparais les p’tits dej’ à l’Hotel Atlanta au bd Adolphe Max), c’était parfois difficile.
Mauro Sbolgi, responsable du Service des étrangers à l’époque, actuellement Sireas, où j’ai aussi fait un stage, a également été d’une grande bonté à mon égard. Affection et reconnaissance.
Il y avait aussi Guy Cudell, le premier homme politique que j’ai rencontré. Il était déjà bourgmestre et président du MRAX. Mme Jospa lui avait parlé de moi, et tout à coup, fini le réveil aux aurores et le manque de sommeil.
J’allais à sa permanence de temps en temps contre rémunération, pour faire de traduction, ou pour faire le relais des besoins des gens avec le MRAX ou avec le service social des étrangers. Comme je voudrais retrouver un reportage tourné avec lui fen 1973-74 par la RTBF !!
Je savais que je pouvais compter sur ces personnes, et que je pouvais les appeler en cas de besoin. Ce qui est arrivé quand je fus arrêtée et mise au cachot rue de Louvain avec des camarades, après une manif pour je ne sais plus quelle cause, contre la guerre au Vietnam? Contre la dictature en Grèce? Pour la Palestine? Sans doute pour plusieurs causes pour moi.
Mme Jospa a dépêché les avocats engagés, Jacques Hamaide ( qui est devenu président du Conseil Supérieur de la justice et dont j’ai soutenu la candidature au sénat) et GH Beauthier, pour nous sortir du pétrin. Guy Cudell était intervenu également, m’a t-on appris plus tard.
Eh oui, ma vie n’a jamais été un long fleuve tranquille!
D’autres personnes de grand cœur, trop nombreuses pour que puisse toutes les citer, ont croisé mon destin. Elles y ont semé la joie, et sans elles je ne serais pas ce que je suis.
Les Michel Pieront-Versou, les familles Léthé, Louis du CNCD, la famille de Paul Maurissen, qui m’a accueillie pendant près d’une semaine quand j’ai été malade, M. Polet du MOC, Mme Wynants de Vie Féminine, des personnes de Solidarité Socialiste et des Étudiants Socialistes, Mme Émilienne Brunfaut qui a fait des pieds et des mains pour que je rentre comme stagiaire à la commission européenne, ce qui me donnait six mois de répit puisque j’avais fini mes études et qu’il fallait prolonger la carte de séjour!
J’allais oublier une personne qui a compté pour moi, et plus tard pour mes enfants, jusqu’à sa disparition : Suzanne Andre Cateaux.
Suzanne habitait l’appartement en dessous de moi à la rue Darwin où j’avais un petit studio d’étudiante. Elle était artiste peintre. Elle avait 65 ans quand j’en avais 25. Elle travaillait dans une galerie d’art, l’Angle Aigu à l’avenue Louise. Son mari feu André était aussi artiste et avait fait tous les décors et plus encore de l’oiseau de feu de Béjart.
Suzanne m’a un peu initiée à cette grande culture à laquelle je n’aurais même pas cherché à avoir accès. Elle était amie avec les Huisman (père et oncle de Michel Huisman) de l’opéra et du théâtre royal de Bruxelles, ainsi que du sympathique et célèbre sculpteur Olivier Strebelle, et bien d’autres artistes comme Béjart, qui m’avait invitée à un de ses spectacles au Cirque Royal. Tout ce petit monde venait souvent diner chez Suzanne, et j’étais bien sûr de la fête. Nous allions souvent voir Olivier Strebelle en train de sculpter dans son atelier, et sa charmante et jolie épouse américaine Kelly. Et bien évidemment, j’accompagnais Suzanne à l’opéra et au théâtre, où j’étais invitée par les Huisman.
Suzanne a beaucoup compté pour moi. Elle a vu naître mes enfants, et sa photo trône toujours sur une étagère avec les photos de famille.
MERCI DU FOND DU CŒUR À TOUTES CES PERSONNES. Qu’elles soient parties ou toujours parmi nous. 50 ans ce n’est pas le bilan, on continue.
J’ai beaucoup donné, mais pas autant que j’ai reçu !

Sfia Bouarfa, le 30 août sur sa page Facebook

Ci-dessus, la photo de sa 1ère carte d’identité en Belgique.

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