CETTE PHOTO A UNE HISTOIRE (SUR LES INCENDIES EN GRÈCE) par Christos Dulkeridis (sur Facebook)

C’est une photo cliché parmi d’autres qui évoquent les ravages liés à la dérégulation climatique qui frappent un peu partout dans le monde tantôt avec des inondations, tantôt avec des incendies ou la sécheresse liée aux températures trop élevées.

 
Ce cliché a une histoire familiale. La mienne. Je devais avoir 19 ou 20 ans, mes parents faisaient les marchés depuis plusieurs années déjà. Ils avaient une camionnette dans laquelle ils chargeaient à la fois tous les produits que nous vendions mais aussi l’échoppe démontable en métal. Tous les matins de marché commençaient par le chargement de la camionnette à la maison et le déchargement sur les marchés. Une bâche jaune lourde était déposée par dessus l’échoppe et servait à nous protéger de la pluie, de la neige, du vent ou du soleil. Un jour, la camionnette a été accidentée sur le chemin d’un marché. Il nous fallait trouver une alternative. Le temps était peut-être venu pour rechercher une solution plus pratique. Nous avons donc fait l’acquisition d’une remorque de plus de 7 mètres de long dans laquelle nous installerions un frigo et des étalages fixes. Nous y serions aussi plus à l’aise face aux conditions météorologiques parfois ingrates.

La vie de marchand sur les marchés n’est pas des plus paisibles. Pour mes parents, mon jeune frère et moi-même qui les aidions depuis notre plus jeune âge, cette difficulté était accentuée par le fait qu’une grande partie des produits que nous vendions était préparée dans notre tout petit appartement, essentiellement par ma mère.
Moussakas, feuilles de vigne, tarama, calamars frits, boulettes de viande ou de courgette, tzatziki… c’était notre spécificité alors de proposer cette offre. L’épuisement les guettait. Le médecin de ma mère tira la sonnette d’alarme. Il faut arrêter.
Se présenta alors le dilemme suivant : continuer de travailler au risque de perdre complètement sa santé ou arrêter et vivre avec la pension misérable de mon père qui ne leur permettait même pas de payer le loyer de ce tout petit appartement dans lequel ils vivaient.
Ma mère, malgré le fait qu’elle avait travaillé pendant de nombreuses années quasi jour et nuit n’avait aucun revenu avec son statut d’aidante.
Mon père, malgré sa carrière dans les mines de charbon, la construction, le taxi, l’épicerie et les marchés se retrouvait avec une pension de misère.
Plus tard, j’ai utilisé cette formule : « les petits indépendants, ces oubliés de la gauche, ces arnaqués de la droite »…

Mes parents (surtout mon père) décidèrent donc la seule voie possible : quitter la Belgique et partir à Rhodes où ils pourraient vivre dans la petite maison de mes grands-parents maternels. Tout recommencer là-bas. Etre « étranger » à nouveau avec la réputation de revenir d’un pays où ils auraient fait fortune. S’éloigner de leurs enfants.

J’ai fait le voyage du retour avec mon père. On a chargé tous les meubles qu’ils voulaient emporter dans la remorque du marché et on a pris la route vers Ancona, puis le bateau jusqu’à Patras, puis le bateau à nouveau au Pirée vers leur destination finale, Rhodes. On a déchargé la remorque et on l’a posée sur un terrain où mon père a planté quelques arbres fruitiers et des oliviers. Ce cliché a une histoire. La remorque a résisté aux trajets sous la pluie, sous la neige et la grêle. Elle a fait un long voyage. Elle n’aura pas résisté aux incendies de cet été 2021. Elle sera partie en fumée comme les oliviers qui produisaient des olives comme on les vendait sur les marchés.

par Christos Dulkeridis sur Facebook le 6 août

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