CHEZ MOI, C’EST Où ? Par Luc Honoré (sur Facebook)

Devant moi, il y a la mer et son orchestre de vagues. Le soleil est de plâtre. Au garçon, je commande un bock de mélancolie. Je suis bien. Et pas bien car, hier, à un ami j’ai déclaré d’un ton décalé: “Je veux rentrer chez moi”. Par “chez moi”, entendez non pas moi-même mais ce décor de mystères perdus qui font qu’on a traversé le temps et qui nous a bâti de la première pierre au vieux bâtiment ouvert aux vents d’hier qu’on est aujourd’hui.
“Chez moi”, c’est l’époque où je n’étais pas orphelin, où mes amis formaient un régiment et non point (à la ligne) un duo ou un trio.
“Chez moi”, c’était mon Borinage. Quand j’étais le p’tit dur de Dour qui, en haut de sa rue attendait le facteur du mercredi qui lui apportait l’hebdo “Spirou”. C’était la mer des Sables, une merveille peu connue, qu’on atteignait en cinq minutes à vélo. C’était Caillou-Qui-Bique, un massif de jonquilles et de muguets que je cueillais pour en faire des bouquets et les vendre à l’entrée du café de la Maison du Peuple pour acheter à la confiserie des karaboudjas ou des chiques du mineur.
“Chez moi”, c’étaient d’Artagnan, le capitaine Fracasse, Nemo, Fantasio, Saint-Ex, P.G. Wodehouse, Allais, Gaston, Camus et mon instit’ monsieur Saussez.

Et des films, des films, des films… Plus tard, ce furent les copains de la brasserie La Renaissance à Saint-Gilles. Et cet éléphant amoureux d’une girafe qu’on pouvait voir au zoo d’Anvers. Ce fut la main d’une petite fille, qui m’appelait Cluc lorsque nous nous promenions jusqu’au Red Monkey, un bistrot à trek-billard de la place du Châtelain.
Mais le temps a ensablé tout cela. Nous sommes encore quelques-uns à marcher sur la dune mais beaucoup sont passés sous les hoyats.
La plupart de mes héros de l’écran, tant de chanteurs de l’Ancienne Belgique qui poussaient le geste et la note ont déjà poussé leur corbillard. Ils me manquent. C’est comme si mon “Chez moi” perdait son papier peint et dont le toit laissait passer la pluie sur la tête de mon moi.
Je suis encore plein d’espoirs et de projets mais j’attends les dimanches, hier si nombreux, qui viennent rarement aujourd’hui: une attente qui me donne l’allure d’un arbre égaré dans le fond d’une cheminée. Et ce n’est pas la grande roue bleue qui, à Toulon, tourne dans un ciel vide, que je prends en consolation. Je cueille encore des roses et des framboises, certes, mais les frissons de ce que le déroulement des heures nous prend nous mettent des souris grises dans une vie pourtant belle. C’est la vie, va, fieux!

Luc Honoré (sur Facebook).

NDLR : Luc Honoré, alors journaliste au Soir, a signé dans sa gazette, en quatre lignes, la première « critique » d’un de mes concerts. C’est au Grenier aux Chansons en… (je n’ose pas le dire)… 1972. (Illustration : Claude et Sam à la plage en 2011 / Photo Laurence Warin).

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