COMMENT ON EST PASSÉ DU DISQUE À YOUTUBE par Bruno Ruiz

Enregistrer un disque fut pour moi un objet artistique avant d’être une objet commercial. Le choix des éléments qui le composait, la longueur des silences entre les fragments chantés, tout cela contribuait à donner à entendre un ensemble contrôlé et minutieux qui faisait sens. Ainsi pouvais-je préférer enregistrer une chanson que j’estimais plus faible que les autres simplement parce qu’elle avait vocation, par sa simple fonction de charnière, de participer à une dynamique d’ensemble. J’imaginais que la meilleure façon d’écouter mon CD était d’abord de l’écouter in extenso.
J’en parle au presque-passé parce que tout ce travail de construction vole en éclat aujourd’hui par le nouveau mode d’accès qu’impose la diffusion des chansons sur le net. Je ne dis pas que c’est une mauvaise chose. Je le constate seulement. Les plateformes, par leur fonction commerciale d’accès, réduisent à néant ce travail de construction. Un peu comme si vous pouviez acheter un livre sans tenir compte de l’ordre des chapitres.
C’est l’une des mutations de lecture qui s’opère aujourd’hui mais il y en a bien d’autres.
Par exemple l’absence de contrôle des vidéos que tout un chacun peut mettre en ligne sur Youtube. Non seulement cela se pratique sans aucune autorisation de l’intéressé, mais avec un support d’image dont l’artiste n’a plus aucune maîtrise. Et je ne parle pas des vidéos de spectacle postées souvent avec le son et l’image pourrie d’un téléphone. Evidemment on peut demander à ce qu’elles soient retirées de la sphère publique, mais comment le faire quand on sait que cela a été fait avec la meilleure des intentions, celle du fameux « partage », pratique fondatrice des réseaux sociaux ?
Ainsi, l’artiste est non seulement dépossédé du contrôle de l’image qu’il veut donner de lui, mais aussi de sa propriété artistique.
Ce sont ces pratiques qui, parfois partant d’un bon sentiment de résistance à un marché de masse, ont participé en partie à la débâcle du CD.
Il est vrai qu’il existe encore une poignée de consommateurs pour préférer l’achat pour l’écoute construite du CD, mais la tendance est à la disparition de ce qui constituait encore hier le meilleur accès à l’œuvre originale du chanteur.
Je le dis avec d’autant plus d’agacement que je suis le premier à céder à ces mauvaises pratiques. Par exemple, lorsque j’entends parler d’une chanteur – ou d’une personne en général –, ma première réaction est d’aller écouter les vidéos que je peux trouver sur Youtube ou ailleurs. Et mon jugement est bien tributaire de cette image parcellaire et fausse, dépend de cette image dont l’artiste n’est pas totalement responsable. Il s’ensuit beaucoup de confusion, de malentendus, de préjugés, d’appréciations souvent préjudiciables à l’artiste sans qu’il ait le moindre moyen de rectifier le tir.
Reste à l’artiste à s’adapter à ces nouveaux codes de diffusion. Le MP3 ouvre évidemment des perspectives de durées des œuvres, il permet l’interaction d’images et/ou de vidéos, mais cela ne change rien au contrôle véritable du marché.

Bruno Ruiz (avec l’aimable autorisation de l’auteur)

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