COURTE HISTOIRE DE LA MUSIQUE DE 1980 À DEMAIN par Jean-Pierre Froidebise

1980. Avec l’invention du walkman et du baladeur – que l’on considère à l’époque comme une formidable innovation –, la musique perd une des principales fonctions qu’elle avait depuis la nuit des temps, celle de réunir les gens. Elle servira désormais d’isoloir.

Il est très intéressant de remarquer que c’est précisément au même moment, c’est à dire au début des années 80, qu’apparaissent les premières boîtes à rythmes qui feront rapidement disparaître les batteurs des studios d’enregistrements, suivi de peu par l’Emulator, qui en fera disparaître les instrumentistes de tout poil, la machine permettant de reproduire leur son.
Voici venu le temps de la musique virtuelle réalisée par des pousse-boutons,… et par la même occasion la disparition des arrangeurs, à la grande joie des producteurs qui se voient faire de substantielles économies.

De plus en plus intéressant, c’est à ce moment précis qu’apparaît MTV, qui privilégie définitivement l’image au contenu musical, et qu’on assiste à la disparition des groupes de bal – où jusqu’ alors la plupart des musiciens faisaient leurs classes –, au profit de DJ’s qui se contentaient de passer des disques, mais en gagnant la même somme, voire plus qu’un orchestre au complet.
C’est également à ce moment que les médias qui jusqu’alors “chassaient le talent” comprennent subitement que s’ils produisent, éditent, diffusent et vendent eux-mêmes leurs “produits”, plus un centime ne sort de la crèmerie, ils sont les rois absolus du marché et les seuls à en profiter.
Le métier devient de plus en plus difficile, les artistes de variété renonçant alors à leurs orchestres, et tournant généralement avec des bandes orchestrales en compagnie de deux ou trois poulettes bien roulées, dont les poses suggestives et les savant déshabillés proviennent en droite ligne des chaînes ” musicales ” de télévision.

Une gravure de Jean-Claude Salémi

Très peu de temps après on voit alors surgir la grande vague du sampling, qui consiste à fabriquer de la musique éminemment répétitive en utilisant des bribes de musique précédemment enregistrées, dont les auteurs les plus pillés ne peuvent pas revendiquer le moindre droit. Le champion du monde de ce phénomène de momification sonore étant bien entendu l’immense James Brown, qui fut plus pillé que tous les pharaons d’Egypte réunis et qui perdit tous les procès intentés à ce douloureux sujet…
La musique n’est à ce moment plus le fait des musiciens, mais de techniciens et de technocrates, et le plus sidérant est de constater qu’à partir de ce moment, presque toute la musique dite “populaire” ne provient nullement du peuple, mais est fabriquée de toute pièce par un frange de la bourgeoisie soi-disant “branchée” qui bidouille des machines dernier cri et considère sa clientèle comme étant juste bonne à bouffer de la viande pour chien (“Oui, coco, c’est ça, vas-y, c’est tellement con qu’ils vont adorer”, phrase-type de producteur que j’ai réellement entendue en studio à plusieurs reprises).
Ajoutons une touche humoristique en rappelant la célèbre pub “Don’t copy music” largement diffusée en télé par la firme Sony … à l’instant précis où elle commercialisait le graveur de CD !

Paradoxalement, c’est quelques années plus tard qu’on voit surgir un peu partout des écoles musicales non classiques, conservatoires de jazz, rock-schools, et diverses écoles de ” chant de variété “, d’où sortent chaque année des légions d’adolescents formés et avertis, qui entrent en lice sur un marché qui s’est rétréci en peau de chagrin.
La concurrence devenant carrément infernale, les médias propageant le slogan ” Tout le monde peut être une vedette ” – ce qui est d’ailleurs parfaitement exact, Elvis Presley lui-même ayant déclaré lors d’une interview ” Il n’est pas nécessaire de connaître la musique pour faire le métier que je fais ” –, les foules s’ engouffrant dans le piège à rêve, tout le monde y allant de sa petite chanson, les home-studios se multiplient, tout le monde court la poule aux œufs d’ or…et la profession s’effondre.
On brade les prix, on joue “au chapeau” là où autrefois on avait un cachet, et il n’est pas rare qu’on doive payer pour jouer en première partie d’une vedette ou acheter soi-même tous les billets d’une salle de renom ! (no joke).
Le sommet étant atteint lorsque des étudiants américains en vacances proposent de jouer pour un casier de bière dans des clubs où les musiciens locaux se battent pour jouer…. et décrochent évidemment l’affaire…puisqu’ils sont américains !

Ajoutons à présent la problématique du disque qui est désormais piraté, copié, pompé sur le net avant même que vous ayez l’idée de l’enregistrer, que le moindre ado qui passe en rue se trimballe avec 37.000 chansons en poche, que les divers secteurs de la culture confondent désormais leur mission première de “découverte” avec “rentabilité”, et bien je peux vous dire que l’avenir de la profession est tellement brillant que dès demain je cours acheter des lunettes solaires. Mais pas de panique.
Rien au monde, absolument rien ne peut arrêter celui dont la vocation est d’être musicien, car pour lui… seule la musique prime, le reste est totalement secondaire, et comme me l’a dit un percussionniste au fond de la brousse : ” L’être humain est le seul être vivant à savoir faire de la musique, et l’univers en a besoin. ”

Je vous souhaite une excellente journée

Jean-Pierre Froidebise (sur sa page Facebook perso, avec l’aimable autorisation de l’auteur)

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