Culture, Horeca, jeunesse : LE STATU QUO N’EST PLUS UNE OPTION

« Ca ne peut plus continuer durer », diraient les vieux Bruxellois.
Les signes d’un réel décrochage se multiplient, ces dernières semaines, entre les édits « autori-sanitaires » du gouvernement belge, et les secteurs les plus meurtris par une année blanche de confinement (en particulier l’Horeca, la culture, les « métiers de corps » et la jeunesse).

Avec le retour des beaux jours, il y a eu ces rassemblements populaires, récréatifs et festifs dans les parcs, particulièrement à Liège et à Bruxelles. Beaucoup de jeunes, mais pas que, dans ces deux villes où « faire la fête » a gardé certaines lettres de noblesse, même si elles relèvent plutôt aujourd’hui de la nostalgie.
Il y a eu ces théâtres occupés (Théâtre National, Théâtre de la Monnaie, Théâtre de la Balsamine…), dont la forme parfois symbolique ne doit pas masquer l’exaspération et la colère d’un milieu culturel arrivé « au bout de sa patience ».
La récente annulation sine die d’un concert « test », « COVID free », qui aurait pu ouvrir de réelles perspectives au secteur musical, a par exemple été reçue comme une humiliation « de trop », une incompréhensible gifle, par tout un milieu culturel chauffé à blanc.
D’autant que, juste derrière cette première ligne mobile des « chevaux légers » de la culture, les grosses machines culturelles se mettent peu à peu en mouvement, et sortent à leur tour du bois.
Le KVS, la principale structure culturelle flamande à Bruxelles, vient par exemple d’annoncer sa réouverture officielle pour le 26 avril, dans le strict respect des protocoles sanitaires, mais sans attendre la moindre décision du Codeco.
A mon humble avis, pour empêcher les spectateurs d’y entrer ce soir-là, il faudrait y envoyer les autopompes et la cavalerie, et le prix politique à payer, rue de Flandre, sera bien plus lourd que pour piétiner les pogoteurs du Bois de la Cambre.
Enfin, dans le domaine de l’Horeca, beaucoup de cafetiers et de restaurateurs considèrent désormais la date du premier mai comme une date butoir incontournable. Ce jour-là… on ouvre !
La porte-parole liégeoise du Collectif Horeca Wallonie vient ainsi de déclarer au quotidien « Le Soir » : « Notre manière de manifester, ce sera de rouvrir le 1er mai. On demande au gouvernement d’agir pour que cela soit possible. Mais si cela ne l’est pas, beaucoup de nos confrères choisiront alors de désobéir. C’est préférable à la multiplication des restaurants et des cafés clandestins à laquelle on assiste, comme au temps de la prohibition ».

Dans ce contexte social tendu, la parution d’une carte blanche, aujourd’hui dans « Le Soir », apparaît à la fois comme un ballon d’essai, et comme la porte ouverte à de possibles négociations.
Ses trois signataires sont Nathan Clumeck, professeur en maladies infectieuses à ULB, Leila Belkhir, infectiologue aux Cliniques universitaires Saint-Luc, et Marius Gilbert, bien connu de nos lecteurs, chercheur en épidémiologie à l’ULB (1).
Ce qu’ils proposent, en fait, c’est un réel changement de stratégie face au COVID-19.
Plutôt que d’ouvrir et fermer des secteurs entiers, ce qui a été fait jusqu’ici, dans l’urgence du début de l’épidémie, ils proposent de conditionner l’ouverture des lieux et des services, tous secteurs confondus, au respect d’un certain nombre de protocoles sanitaires. Mais bon sang, c’est bien sûr !
Pour l’Horeca et la culture, cela ne devrait pas être trop difficile, puisque, mis à part peut-être quelques innovations dans le domaine de l’assainissement de l’air et de l’aération, ces protocoles sont en fait prêts depuis plus d’un an.

Pour plaider ce changement de stratégie, les auteurs avancent plusieurs arguments.
D’abord, l’avancement de la campagne de vaccination, qui a déjà pu « couvrir » toute la population âgée, c’est à dire la population plus fragile.
Ensuite, l’impossibilité d’arriver chez nous à l’objectif « zéro virus », qui semble incompatible avec notre économie, l’ouverture de nos frontières et notre mode de vie. Nous ne sommes ni une île, ni une dictature. Il faudra donc apprendre à vivre, non pas « avec le virus », mais « malgré lui », car « les risques de reprises épidémiques, en particulier lors de l’automne et de l’hiver prochain, ne peuvent être ignorés ».
Ce qui impliquera le « risque résiduel » d’une circulation du virus à bas régime, qui fera certes un certain nombre de victimes, mais pas plus que d’autres fléaux avec lesquels nous avons pris l’habitude de vivre (et de mourir) – comme les accidents de la route, le cancer ou les maladies cardio-vasculaires.

Le gouvernement sera-t-il sensible à ces arguments ? Les partis qui représentent les commerçants et les classes moyennes y seront sans doute favorables, et les autres, peut-être bien contents de trouver une porte de sortie.
Les protocoles sanitaires seront-ils économiquement viables pour les lieux et structures qui s’y soumettront ? Ce sera je pense tout l’enjeu des négociations.
Le système hospitalier pourra-t-il enfin s’adapter à cette nouvelle situation ? Il ne tient qu’à nous de lui donner structurellement plus de moyens humains et matériels.
Une chose est sûre : ou la digue va céder, ou la ligne de front va bouger.
Aujourd’hui, le statu quo n’est plus une option.

Claude Semal, le 12 avril 2021.
Lire aussi la réaction de Stll Standing For Culture en réaction à cette carte blanche :
https://www.facebook.com/stillstandingforculture/photos/a.108255144291346/279082823875243/

La carte blanche du Soir

«Il est temps d’adapter notre stratégie»

Par Nathan Clumeck (professeur en maladies infectieuses, ULB), Marius Gilbert (chercheur en épidémiologie, ULB), Leila Belkhir infectiologue (Cliniques universitaires Saint-Luc)

A l’heure où s’amorce une diminution des hospitalisations, où une proportion croissante de la population à risque est vaccinée, et avec l’arrivée prochaine de la saison estivale, la reprise de toute une série d’activités devrait être envisagée. Nous entrons donc dans une période particulièrement critique.

A court terme, le report éventuel de l’ouverture de différents secteurs en raison d’un taux d’occupation des soins intensifs encore trop élevé va venir se heurter de plein fouet à une résistance de plus en plus organisée et déterminée à s’affranchir des mesures par des professions à bout de souffle et par des segments de la population en mal-être psychologique, social ou économique. Qu’on en juge : les théâtres expriment leur exaspération par des occupations qui s’étendent, certains dans l’Horeca annoncent une ouverture au 1er mai quelles que soient les décisions gouvernementales, des rassemblements festifs s’organisent plus ou moins spontanément dans plusieurs villes. Il suffit également de se rendre dans des lieux touristiques et/ou publics pour se rendre compte de la très relative application de la distanciation physique et/ou du port correct du masque sans parler de la bulle sociale limitée à une personne, impossible à contrôler et dont l’application se délite complètement. Face à cette situation, le risque est grand d’une escalade dans la répression de la part des autorités qui persisteraient à appliquer les mêmes mesures indistinctes.

Une stratégie « zéro covid » non envisageable en Belgique

A long terme, la stratégie centrée sur la vaccination des personnes à risque et qui considère qu’il faut tenir avec les dispositifs actuels pour pouvoir reprendre une vie « normale » dès qu’une part suffisante de la population aura été vaccinée présente de nombreux risques. La conséquence des dynamiques évolutives qui conditionnent l’apparition et la propagation de différents variants résistants aux vaccins reste encore très difficile à prévoir. En outre, la recherche d’une couverture vaccinale suffisante pour empêcher la transmission dans la population risque de se heurter à l’hésitation vaccinale, en particulier dans les groupes d’âge où la balance bénéfice/risque sera plus faible. Une stratégie « zéro covid », comme celle appliquée par certains pays, ne semble pas envisageable à l’échelle de la Belgique, en raison de notre situation géographique et de notre économie ouverte. En tout état de cause, et malgré la vaccination, les risques de reprises épidémiques, en particulier lors de l’automne et de l’hiver prochain, ne peuvent être ignorés.

Alors que faire ?

Il y a aujourd’hui un large consensus pour reconnaître la transmission aérogène par des patients porteurs de charges virales élevées est le mode majeur de transmission, et ce particulièrement dans des lieux non ou mal ventilés avec absence ou malposition d’un masque efficace. Ces personnes à charge virale élevée peuvent être asymptomatiques ou pré-symptomatiques et peuvent maintenant être dépistées par des tests rapides antigéniques ou par des autotests dont la généralisation et l’accessibilité ne semblent plus limitantes.

L’approche secteur par secteur qui a pu se justifier dans l’urgence du premier déconfinement montre aujourd’hui ses limites. Il y a aujourd’hui bien plus de différences entre les situations épidémiologiques au sein d’un même secteur qu’entre eux. Tant dans le secteur de l’Horeca que dans le secteur culturel ou celui des métiers de contact, il est possible d’adapter les lieux et les protocoles de manière à permettre une réduction considérable des risques de transmission. En outre, la logique de réglementation par secteur alimente à la fois une stigmatisation des métiers concernés, une opposition de certains secteurs par rapport à d’autres ainsi qu’un marchandage politique permanent et délétère pour la confiance que peut avoir la population dans le bien-fondé des mesures. Le problème, ce ne sont pas les restaurants, les coiffeurs, les salles de spectacle ou les étudiants. Le problème, ce sont les situations où un grand nombre de personnes parlent sans masque dans un lieu mal ventilé.

Un risque résiduel parfaitement acceptable

Or, il y a des parallèles évidents. Les incendies, aussi dramatiques soient-ils, ont un impact extrêmement limité en santé publique. Pourtant, il n’est pas possible en Belgique d’ouvrir un lieu public sans que celui-ci ait fait l’objet d’un examen minutieux du point de vue de la sécurité incendie, et les propriétaires savent bien qu’il n’y a pas lieu de transiger avec ce risque-là.

Dispositifs de ventilation, dispositifs de désinfection de l’air, filtres EPA, détecteurs CO2, protocoles de circulation : tous ces moyens existent et devraient être mobilisés pour contribuer à faire de nos lieux publics des endroits où la transmission peut être réduite à un risque résiduel parfaitement acceptable, quitte à les compléter par des protocoles additionnels comme le port du masque ou l’utilisation de tests pendant des périodes sensibles. Les communes pourraient être investies de la responsabilité de conseiller, soutenir et vérifier la conformité « covid safe » des lieux publics. La même démarche devrait être entreprise dans les entreprises publiques ou privées. Des normes existent et sont édictées par le Conseil supérieur de la santé dans de nombreux domaines. Elles devraient être appliquées avec pédagogie et avec un soutien financier éventuel de l’Etat. Il est probablement nettement moins coûteux pour les dépenses publiques de soutenir ces investissements que de payer des subsides pour fermeture ou chômage partiel des activités dites non essentielles auxquelles de nouvelles résurgences épidémiques pourraient nous exposer.

Vivre « malgré le virus »

Nous avons également aujourd’hui les moyens de définir le risque relatif de toute activité professionnelle ou de loisir en fonction de son contexte, de son lieu, des caractéristiques de ventilation et de sa durée. Pour une activité en plein air, avec port de masque, le risque peut être considéré comme négligeable. Dans une salle de spectacle, de cinéma, de lieu de culte, de réunion, de sport, le risque relatif est faible avec le port du masque, la distanciation sociale et une ventilation adéquate. Ce risque peut être encore mieux réduit par l’utilisation de tests ou, dans certaines circonstances, par l’utilisation de certificats de vaccination. Quantifier les risques de différentes activités en fonction de leur contexte précis permettrait d’adapter beaucoup plus finement les limites et interdictions si par malheur une reprise épidémique devait un jour les justifier.

Il ne s’agit pas ici de prôner un « vivre avec le virus », mais « malgré le virus ». On ne « vit » pas avec un virus dangereux. Il s’agit de réduire les risques de transmission de manière beaucoup plus ciblée et d’accepter un risque résiduel comme nous l’avons toujours fait dans d’autres domaines, comme celui de la sécurité routière ou de l’incendie. Oui, cette diminution du risque nécessite des investissements humains et matériels. Mais il s’agirait ici d’investissements stratégiques qui s’inscrivent dans une vision à long terme contre ce virus et d’autres éventuels virus émergents. Il est temps de quitter l’approche sectorielle qui ne valorise pas pleinement les instruments conceptuels et techniques dont nous disposons aujourd’hui pour lutter contre la transmission de ce virus.

(1) MARIUS GILBERT : DES PETITES BÊTES AU GRAND MECHANT LOUP (interview)

« Nous en avons assez d’être gentils »

(la carte blanche de la Fédération des Festivals dans Le Vif / L’Express)

Depuis plus d’un an maintenant, le gouvernement a débranché la prise du secteur culturel et évènementiel. Plus d’un an d’obscurité sans la moindre lueur.
Nous n’avons pourtant pas ménagé nos efforts pour nous réinventer, pour apporter à nos responsables toutes les informations sur notre secteur souvent trop méconnu, pour comprendre des décisions sanitaires pas toujours cohérentes, et surtout pour pouvoir garder la tête hors de l’eau… mais toujours avec ce sentiment de n’avoir même jamais aperçu la moindre main tendue de nos dirigeants.
Il est vrai que la tolérance et le sens de la responsabilité nous caractérisent. Ce qui nous ramène très souvent à une image gentille, sans doute trop gentille même. Mais aujourd’hui nous n’en pouvons plus d’être gentils!

Nous n’en pouvons plus d’avoir cette impression de ne pas exister.
Nous n’en pouvons plus de voir nos équipes, nos fournisseurs, nos amis, nos artistes, nos techniciens ramer financièrement, changer de métier, sombrer dans la dépression, et parfois, hélas partir tout court.
Nous n’en pouvons plus de ne pas avoir de réponses à nos questions.
Alors, mesdames et messieurs “les décideurs” politiques, prenez vos responsabilités!
Nous ne vous demandons pas de nous laisser travailler comme nous le souhaiterions, nous nous rendons compte que ce sera très difficile. Nous vous demandons simplement de répondre à nos questions:
Pourquoi est-ce si difficile de nous donner une réponse claire sur la possibilité d’organiser des événements de plus de 5.000 personnes cet été? Un oui ou un non nous suffirait…
Pourquoi est-ce si difficile de nous proposer un protocole clair et progressif pour une réouverture du secteur culturel et événementiel? Cela nous permettrait de préparer un été qui ne serait pas vide de culture…
Pourquoi est-ce si difficile de proposer des événements test ? Les résultats de ces tests seraient de fameux outils pour une relance progressive et en toute sécurité du secteur…
Pourquoi est-ce si difficile de nous rassurer, comme la Flandre l’a fait en proposant des fonds de garantie et des soutiens financiers clairs, adaptés et proportionnels? Ceci permettrait d’offrir au secteur des perspectives encourageantes pour l’avenir…
Pourquoi est-ce si difficile de donner quelques perspectives à notre jeunesse en manque d’événements et de contacts sociaux? Ceci éviterait sans doute de devoir envoyer la cavalerie dans les parcs…

Les festivals francophones de musique en ont assez d’être gentils. En l’absence de réponse et d’un minimum de considération politique, devrions-nous, comme le fait le secteur HORECA, proposer une réouverture de la culture le 1er mai et donner rendez-vous à tous nos festivaliers dans les parcs de Wallonie et de Bruxelles?
Il serait sans doute plus simple et plus efficace de répondre à nos questions qui nous paraissent à la fois urgentes et légitimes.

Signataires

Les festivals membres de la FFMFWB: Fédération des Festivals de Musique de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Austral Boréal Festival, Balkan Trafik, Baudet’stival, Bear Rock, Beauraing Is Not Dead, Blue Bird Festival, Brussels Jazz Weekend, BSF – Brussels Summer Festival, Chimay Spring Festival, Couleur Café, Dour Festival, Durbuy Rock Festival, Esperanzah!, FCKNYE Festival, Feel Good Festival, Festival d’Art de Huy, Festival Les Gens d’Ere, Fête de la Musique, Fifty Lab, Fly Away Festival, Folestival, Franco’Faune, Francofolies de Spa, Gaume Jazz Festival, Inc’Rock, Lamberm’on Stage Rock Tribute, LaSemo, Les Aralunaires, Les Ardentes, Les Nuits Botanique, Les Solidarités, Microfestival, Park Rock Festival, Ronquières Festival, Roots & Roses, Scène sur Sambre, So W’Happy Festival, Verdur et Vintage Music Festival

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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