Décès : JEAN-PAUL ET JEAN-MARIE

En moins de 24 heures, la grande faucheuse a tranché deux grandes figures du théâtre belgowallon : Jean-Paul Dermont et Jean-Marie Pétiniot.

“Popol” Dermont en gérant du “Camping Cosmos” (avec Lolo Ferrari)

J’avais rencontré Jean-Paul Dermont sur le tournage de « Camping Cosmos », de Jan Bucquoy, et c’était resté depuis un « vi cama » (un « vieux camarade »). Il parlait toujours avec beaucoup d’affection de son père, un artiste de music-hall qui a tragiquement terminé sa vie dans un « poumon d’acier ».
Sur Facebook, il continuait à régulièrement commenter l’actualité ou le quotidien avec sa verve populaire de syndicaliste contrarié, dans de petits billets cinglants qu’il signait souvent « Popaul ».
Je connaissais moins Jean-Marie Pétiniot, avec qui j’ai simplement éclusé quelques godets en parlant du théâtre (pléonasme), dans une de ces grandes brasseries autour du Théâtre Jean-Vilar. Mais c’était un compagnon de jeunesse de mon ami et collègue Roland Depauw, qui livre ici un témoignage poétique sur leurs frasques communes.
Je me suis demandé si Jean-Paul et Jean-Marie avaient eu l’occasion de jouer ensemble.
La réponse est : oui ! Dans « Tartuffe ou l’imposteur », de Molière, mis en scène par Armand Delcampe au Jean Vilar en 1996. Orgon-Dermont et Tartuffe-Pétiniot pourront désormais poursuivre leur dialogue infini sous les étoiles.

Claude Semal, le 29 janvier 2025

UNE DES PLUS BELLES NUITS DE MA VIE par Roland Depauw.

Ce matin, je n’osais pas le croire. Mais il faut me rendre à l’évidence. Pepet n’est plus là. Ma jeunesse avec toi fout le camp et je n’ai pas pu t’écrire ni te saluer. Nous avons vécu ensemble de tellement beaux moments.
Tu étais pour moi, quand j’avais 19 ans, l’ami idéal, le compagnon des petites mais aussi des grandes folies. Ton amour du métier, ton charme légendaire, ton esprit de poète, ton talent pour brûler la vie généreusement mais par tous les bouts m’attiraient et me réjouissaient.
Nous avons partagé ensemble une des plus belles nuits de ma vie, en tablier blanc, au bord d’un lac, assis l’un à côté de l’autre, fixant nos cannes à pêches, sans rien se dire pour ne rater aucun instant du silence vivant qui nous plongeait dans l’infini somnolence du monde. Au petit matin nos rêves se sont achevés dans un bistrot.
Nous avions joué et vécu avec une telle intensité ce que les deux camarades Morissot et Sauvage avaient sans aucun doute partagé dans la nouvelle de Maupassant sur l’île Marrante à Colombes.
Tu m’avais invité par surprise à vivre ce moment parce que je t’avais raconté ma découverte de la littérature sur les bancs du collège Cardinal Mercier à Waterloo en écoutant monsieur Lecapitaine nous lire les deux amis de Maupassant.
J’avais 13 ans et ce fut la première grande émotion de ma vie.

Jean-Marie Pétiniot

Aujourd’hui je suis certain que tu avais certainement voulu me faire revivre ce moment en ta compagnie. Je voulais te remercier de ce cadeau que tu m’avais offert, il y a si longtemps, au bord de ce lac enchanté. Elle était ainsi ton amitié, ta générosité, ton authenticité, ta sincérité. Mon bonheur est de garder de toi ce moment inoubliable mais aussi les souvenirs fous de nos échanges et de nos délires dans « l’Enchanteur Pourrissant » avec Pierre Laroche et tant d’autres, dans le « Cercle de Craie » avec Benno Besson et tant d’autres, au Rideau de Bruxelles, avec Claude Étienne et tant d’autres.
Tu resteras pour toujours mon Pepet adoré. Tu vas me manquer.
Nos chemins se sont séparés quand je me suis retrouvé en France. Je désirais tant te retrouver et te reprendre dans mes bras.
J’espère pouvoir te rejoindre un de ces jours prochains complètement saoul pataugeant de plaisir dans une fontaine en Italie ou ailleurs, qui sait, bien au-delà des nuages, dans un monde dans lequel nous avions rêvé d’être celui des poètes et des « enchanteurs pourrissants » mais surtout éblouissants.

Roland Depauw (sur Facebook)

T’AI-JE VRAIMENT CONNU ? par Michael Delaunoy

T’ai-je vraiment connu, Jean-Marie ? Apprenant brutalement ta mort, c’est la question qui me travaille. Nous avons pourtant passé des moments forts ensemble.
Nous nous sommes rencontrés au Conservatoire de Bruxelles quand j’y étais élève, au tout début des années 90. Tu étais venu relayer Pierre Laroche qui était souffrant. Tu as travaillé avec nous sur Dostoïevski… « Les frères Karamazov ». Ta forte personnalité, ton charisme, ton talent, ton énergie si particulière, faisaient mouche auprès des apprentis acteur·ices que nous étions. J’étais séduit.
Je t’ai connu ensuite sous un jour bien plus intime. Ou devrais-je écrire sous une nuit plus intime ? Ton amour des casinos. Ton côté flambeur généreux. Les hôtels de luxe, le champagne, les discussions (qui se muaient souvent en brillants soliloques) jusqu’aux petites heures. Et puis tes amours compliquées… Ô combien compliquées. Tu ressemblais soudain à un gamin perdu. Nous t’avions accueilli quelques jours chez nous, chaussée d’Ixelles.
Tu étais au bord du gouffre. Et à la fois, tu ne cessais jamais de te mettre en scène. Était-ce pur narcissisme ou éprouvais-tu un réel besoin de transfigurer un réel bien trop insupportable ? Tu étais fascinant, attachant, mais aussi par moments absolument horripilant !

Professionnellement, nous nous sommes brièvement côtoyés sans vraiment nous trouver. Un rendez-vous manqué. J’en conserve une forme de regret. C’était sur une de mes créations les moins abouties. Une commande que je n’ai pas vraiment réussi à transformer en un projet nécessaire. L’accouchement fut difficile. Le résultat décevant.
De ton côté, tu réclamais une attention de tous les instants mais m’apparaissais comme littéralement insaisissable. Comment te guider ? Souhaitais-tu l’être ? Et puis, il y avait tes incessants problèmes de santé, entre hypocondrie et pathologies réelles. Pas facile de faire le tri. Était-ce là, à nouveau, pur narcissisme, ou bien appel au secours ? Je n’ai pas réussi à trouver la réponse. Nous nous sommes ensuite éloignés l’un de l’autre. Jusqu’à nous perdre complètement de vue. Tu demeures et demeureras dans ma mémoire comme cet être intense, flamboyant et à jamais indéchiffrable que j’ai connu sans le connaître.
Je t’embrasse.

Michael Delaunoy (sur Facebook)

IL M’A PRIS SOUS SON AILE par Pierre Dherte

O non, décidément… ! Voilà que c’est maintenant Popaul (Jean-Paul Dermont) qui nous quitte …
Excellent comédien de théâtre, on se souviendra de Jean-Paul dans de nombreux rôles, notamment au Théâtre du Poche, où il a beaucoup joué…
« Les videurs » de John Goldber mis en scène par Richard Lewis m’avaient marqué à l’époque. J’ai eu la chance de jouer avec lui au Poche en 1991 dans « Greek » de Steven Berkoff mise en scène par le même Richard Lewis et Roland Mahauden.
Très vite, nous nous sommes bien entendus et Popaul m’a pris sous son aile.
Nous avions un petit côté « syndical » qui nous rapprochait. Ensuite, il est devenu mon « parrain de publicité », il m’a littéralement emmené dans une dizaine de studios d’enregistrement dans la capitale et en Wallonie, et c’est donc grâce à lui que pendant plus de 15 ans, j’ai réalisé des centaines de publicités, voix off radio et télé.
Tu verras, me disait-il, « ça mettra beaucoup de beurre dans tes épinards ». Sans rien m’apprendre vraiment, je l’ai simplement regardé faire. Il m’a pourtant « donné » tous les trucs pour réaliser ce job et faire peu à peu partie du cercle très fermé des voix off francophones… Comment faire des pack shot (signatures) percutants, trouver le ton juste pour vendre un produit en quelques secondes, poser correctement sa voix, etc.
Avec Popaul, on discutait toujours à cœurs ouverts de tout : du montant de nos cachets respectifs, de la politique rarement satisfaisante, des injustices dans le monde … Avec lui, le travail c’était avant tout d’abord parler du monde, de ce qui s’y passait, comme si tout ce grand fardeau n’était que les prémices indispensables au travail du verbe sur le plateau… D’abord les rapports humains. Ensuite le jeu.
Bye-bye, Parrain rebelle. Va donc en emmerder quelques-uns là-haut ; ils ne font pas toujours bien leur job !

par Pierre Dherte (sur Facebook)

POPOL ET MAMAN par Michael Delaunoy

Jean-Paul Dermont

Popol. C’est comme ça qu’on te surnommait affectueusement. J’étais enfant quand je t’ai connu dans les années 70. À l’époque du Théâtre du Nouveau Gymnase (devenu ensuite Théâtre de la Place et enfin Théâtre de Liège). Tu y jouais avec ma maman. Tu étais toujours adorable et attentionné avec moi. Et drôle.
Nous n’avons jamais travaillé ensemble mais on s’envoyait des petits mots affectueux sur les réseaux sociaux. Tu t’y indignais quasi quotidiennement – et à raison – de la marche du monde. Mais tu avais toujours la révolte chaleureuse, généreuse.
Tu étais un vrai artisan du théâtre et de l’écran. Celles et ceux qui t’ont côtoyé le savent. Un authentique homme de troupe, comme on disait jadis, capable de passer d’une famille théâtrale à l’autre, de la scène à l’écran, de la radio à la pub et au doublage… Tu n’as jamais renié cette fibre de saltimbanque qui te venait de ton père, un fantaisiste qui avait brillamment animé les scènes liégeoises d’antan, avant de se retrouver dans un « poumon d’acier »… La destinée cruelle de ton papa t’avait durablement marqué. Même si tu évoquais cette pénible expérience avec pudeur.
J’ai souvent pensé te rendre une petite visite dans la Cité ardente. Je savais que ta santé déclinait. Et puis voilà… À la revoyure, cher Popol. Merci d’avoir pris soin du gamin que j’étais. Je t’embrasse.

Micha (sur Facebook)

Les funérailles de Jean-Paul Dermont auront lieu ce mercredi 5 février à 12h au 1, rue des coquelicots à 4020 Liège.

 

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