DÎNER DE CONS POUR HALLOWEEN

 

L’épidémie mondiale du COVID-19 est un de ces événements majeurs qui bouleversent toutes les existences.

Guerre, épidémie, coup d’état, grands mouvements sociaux, chacun de nous en croisera deux ou trois par siècle.

Ce sont des moments de bascule, de détresse, de refondation, de révolution. Ils bousculent nos vies, nos métiers, notre avenir.

Encore faut-il, au moment où ils émergent, pouvoir les reconnaître, les nommer et les comprendre.

Ne pas se tromper de train, de camp, de théorie.

Car ils engendrent souvent des mécanismes de déni à la hauteur des chocs émotionnels qu’ils provoquent.

Si évidents et spectaculaires soient-ils, ils semblent toujours aveugler une partie de ceux qui les observent. Et dans cet angle mort, naissent des monstres et des cornichonneries.

Ainsi a-t-on vu apparaître les thèses révisionnistes qui nient l’existence des chambres à gaz et de la Shoah.

Ainsi pullule sur le Net toute une abracadabrante littérature, accompagnée de moult vidéos démonstratives, affirmant que les Twin Towers n’ont pas été attaquées par des terroristes islamistes dans des avions civils.

Ainsi, avant une brutale prise de conscience collective, a-t-il fallu plusieurs années pour que le SIDA, dans les milieux mêmes où il sévissait, soit perçu comme une « vraie » maladie, et non comme un méchant complot réactionnaire contre les backrooms et les milieux homosexuels. Et pourtant, à San Francisco, ils ne connaissaient pas encore les réseaux sociaux !

 

De la Chine à Bergame

 

Quand le COVID-19 a surgi en Chine, les autorités chinoises ne savaient rien de cette maladie. Mais elles connaissaient d’autres coronavirus, et, après une première tentative pour étouffer l’affaire, elles ont jugé le COVID-19 suffisamment inquiétant pour lancer, via l’OMS, une alerte mondiale. Elles ont également appliqué, de façon très autoritaire, de fortes mesures prophylactiques (masques généralisés, quarantaine, confinement, contrôle sanitaire de la population). Elles semblent avoir ainsi maîtrisé la « première vague » de l’infection.

Puis le COVID-19 a débarqué en Europe, via le Nord de l’Italie. Elle a aussitôt démontré que sa réputation n’était pas usurpée.

En quelques semaines, il a saturé tous les services hospitaliers.

En Lombardie, on se croyait revenu au temps de la peste et du choléra, avec des malades agonisants jusque dans les couloirs. Parmi les victimes, plus de quatre-vingt médecins et infirmier.es, fauché.es par la maladie qu’ils et elles étaient en train de combattre (1).

C’est dans ce contexte sanitaire que d’autres gouvernements européens, surpris par la violence de l’épidémie, ont à leur tour pris des mesures de confinement. Avec ce que nous savions alors de la maladie, il n’y avait sans doute pas vraiment d’autres choix.

 

Les héroïnes du quotidien

 

Et là, pendant ce premier confinement, il s’est passé un truc extraordinaire. Nous nous sommes tous et toutes retrouvé·es du même côté de la barrière. Tous ceux et toutes celles qu’on ne voyait jamais, qu’on n’entendait jamais. Les héroïnes du quotidien.

Les caissières du LIDL et de Carrefour, la factrice et les éboueurs, la boulangère et le boucher. Les pompiers, les conductrices de tramway et d’ambulance, les cheminots, les enseignant.es et les buralistes. Et même, oui oui, les écrivain.es, les musicien·nes et les journalistes.

Tout un peuple réinventé. Tous les « utiles ». Toutes les « solidaires ».

Tous ceux qui avaient « le sens du sens commun ».

Face à nous, il n’y avait plus qu’un sale microbe, une poignée d’incompétents et de criminels, et le système absurde qui les avait engendrés.

Ce gouvernement fédéral, qui avait fait brûler notre stock stratégique de masques, qui se montrait ridiculement incapable d’en acheter de nouveaux, et qui avait laissé des milliers de vieux mourir dans les homes, sans protections et sans soins.

Ces politiques néolibérales, qui avaient saigné à blanc les hôpitaux et les services publics, comme de quelconques médecins de Molière.

Ce système absurde, qui faisait voyager les tomates et les microbes sur quinze mille kilomètres jusqu’à nos assiettes.

Ces grandes entreprises esclavagistes, qui prétendaient continuer à vendre et produire pendant l’épidémie, comme elles avaient continué à vendre et produire pendant l’occupation.

La contradiction principale, elle était là, aux yeux de tous, entre les besoins maladifs du capitalisme, cette machine folle à produire et consommer, et les besoins sanitaires de la population, qui nous imposaient de tout arrêter, de réfléchir et d’agir.

Oui, vraiment, plus jamais ça.

Ensemble, nous allions réinventer le monde d’après.

Nous étions le nombre, nous étions la force, et nous avions la légitimité.

 

Chloroquine mon amour

 

Et puis, sur les réseaux sociaux, on a commencé à entendre une étrange petite musique. D’abord, cette maladie mortelle n’en était pas vraiment une (coucou, voilà le déni !). On « exagérait ». « Seuls les vieux mouraient », et ils ne mouraient pas plus que les autres années.

Tenez, voici les chiffres. Enfin, des chiffres.

C’était un complot de Big Pharma pour nous vendre des vaccins.

Non, un complot d’Amazon pour tuer le petit commerce.

Non, un complot du patronat pour nous imposer le télétravail et la 5G.

Non, un complot du gouvernement pour faire de nous des moutons, des êtres fichés, dociles et soumis.

Non, un complot de la Chine pour mettre l’économie de l’Europe et des USA à genoux.

Enfin, bref, un super complot qui mélangeait un peu tout ça (2).

La preuve ? Il existait un super traitement, presque gratuit, qu’on voulait absolument nous cacher.

Nous avons pétitionné pour la chloroquine, la vitamine C et l’huile essentielle de Ravintsara.

Et la Suède ? Ah ! La Suède !

Là-bas, on pouvait danser le jerk toute la nuit à poil dans un sauna, sans masque ni rien, et le lendemain, jamais malades !

Parce que les scientifiques étaient en désaccord entre eux, nous nous sommes choisis des gourous à la hauteur de nos espérances.

A chacun son docteur à lunettes, sa petite vidéo sur Youtube et ses explications miracle.

Et au lieu de nous battre contre le coronavirus, contre l’impréparation et le néolibéralisme du gouvernement, nous avons commencé à nous battre entre nous.

A nous battre contre les mesures sanitaires que le gouvernement avait été, bien malgré lui, acculé à prendre.

Masques, anti-masques. Confinement, anti-confinement. Vaccin, pas vaccin. Joe-la-Peur contre Kid-le-Déni. COVID contre Goliath.

Dîner de cons chez Halloween.

Les muselières

 

Les « masques » étaient une mesure préventive pour limiter la transmission de la COVID-19 par aérosol.

Nous les avons rebaptisés « muselières », et nous en avons fait le symbole d’une insupportable atteinte à nos libertés individuelles.

Dans plusieurs grandes villes d’Europe, des « rebelles » ont manifesté à côté de l’extrême-droite organisée et des Trumpistes les plus ras-la-casquette. A bas le confinement ! A bas les masques ! Mon virus, c’est ma liberté !

Tout le peuple était uni derrière le personnel soignant : ils ont préféré défiler à côté des ennemis de la liberté. En se tirant assez de balles dans les jambes pour ouvrir une armurerie.

Aujourd’hui que « la seconde vague » fait à nouveau déborder les hôpitaux, on entend un peu moins les avocats d’une « maladie inventée ». Tant mieux.

Par contre, le débat public semble s’être totalement clivé entre les propagandistes de la peur et les propagandistes du déni.

Cela ne laisse pas beaucoup de place à la bienveillance et à la raison. Je ne sais si le COVID-19 s’attaque plutôt au cœur ou aux poumons, mais il est sûr qu’il perturbe gravement le cerveau.

Et j’ai le sentiment d’avoir lu plus de conneries sur le coronavirus en trois mois sur Facebook, que durant toute ma vie sur tous les autres sujets.

 

Un cocktail liberticide

 

La parole des autorités belges et française est aujourd’hui totalement discréditée. En temps ordinaire, je m’en serais plutôt réjoui.

Mais pour combattre une épidémie, c’est une catastrophe.

Dans un parallélisme touchant, on a ainsi vu Maggy De Block, l’ex-ministre fédérale belge de la Santé, et Olivier Véran, son homologue français, nous « expliquer » en mars que les masques ne servaient à rien. Moins de trois semaines plus tard, le même duo de clowns, avec la même morgue et la même suffisance, nous « expliquait » qu’ils étaient devenus obligatoires. Même si vous vous promeniez tout seul au fond de la Foret de Soignes. A défaut, il vous en coûterait 250 euros en Belgique et 135 euros en France.

Quand les ministres racontent n’importe quoi, plus personne ne les écoute. Et on finit par « régler » un problème sanitaire par des mesures de police, parfois tout aussi absurdes (3).

Etre en permanence obligé à porter un masque, devoir s’enfermer chez soi, ne plus voir ses amis ou ses parents, cela a, bien sûr, quelque chose d’inhumain.

On ne peut pas vivre très longtemps comme cela.

Les premières mesures de confinement, si nécessaires soient-elles, ont provoqué des dégâts collatéraux, psychologiques et sanitaires.

Dans les homes, on est autant mort du COVID que de solitude.

J’ai un ado de treize ans : le priver de sport, de copains et d’école, c’est le priver de sa vie. Ces contraintes sanitaires sont donc violentes.

Elles engendrent souvent la déprime, la colère, l’incompréhension.

Nous sommes des animaux sociaux, pas des rats de laboratoire condamnés à la prison de leur cage.

Il est donc compréhensible que nous nous soyons précipités sur n’importe quelle sornette qui prétendait nous en délivrer.

D’autant que le corps scientifique lui-même semblait souvent divisé face aux mesures à prendre.

En démocratie, ces contradictions doivent avoir un cadre légal où elles pourront publiquement être débattues et tranchées.

Cela exige du temps, de la participation et de la transparence.

Alors que l’urgence sanitaire pousserait plutôt à l’autoritarisme et à l’arbitraire. Et, en Belgique, à l’incohérence et au surréalisme, pour avoir été ballotée entre nos six ou sept structures de pouvoir.

En outre, le cocktail COVID-19 / mesures anti-terroristes, qui a saisi nos sociétés en tenaille, a encore amplifié ces mécanismes liberticides.

En France, c’est aujourd’hui un « Conseil de la Défense », une structure totalement opaque, qui gère l’état d’urgence autour du président Macron, en dehors même du Conseil des ministres. Les libertés de réunion, de manifestation et de circulation ont été suspendues.

Ceux qui s’inquiètent des atteintes à nos libertés fondamentales sont donc parfaitement fondés à le faire.

Entre la peur et le déni, entre l’autoritarisme et le laisser-faire, entre les mensonges et les ukases, il doit pourtant y avoir une place pour la raison, la bienveillance, les soins et la démocratie.

A chacun·e de nous de participer à sa construction.

 

Prenez soin de vous,

Claude Semal.

 

(1) « Un Hussard sur le Toit » est un livre magnifique de Jean Giono (je l’ai déjà lu trois fois 😉 ). Il se passe en Italie pendant la grande épidémie de choléra. Le héros galope dans un été somptueux, la maladie sur les talons. Un soir, il s’arrête dans une auberge. Une troupe de voyageurs et de voyageuses, compagnons de hasard, est occupée à boire, bouffer, danser, s’embrasser, baiser. Le héros se réfugie seul dans sa chambre. Quand il descend le lendemain matin, ils sont tous morts. Une belle scène dantesque de déni.

(2) Le film-documentaire « Le Hold-up », qui vient de sortir, est une “belle” illustration de ces théories.

(3) 45.000 amendes « corona » en France depuis le mois de mai (Le Figaro, 18 sept. 2020).

 

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